mercredi 3 décembre 2008

La cousine Simone

Silent talking

Ma grand-mère et elle étaient cousines germaines. Je l'ai vue une seule et unique fois, à la Bellière, près de Forges-les-Eaux, où elle vivait alors avec son mari Xavier. Ben oui, il y a TOUJOURS dans ma vie des liens avec la Normandie ! J'avais six ans. Un petit cadeau m'attendait à mon arrivée. Elle avait pensé à moi. Sa gentillesse m'avait touchée. Et puis l'endroit était magique. C'était la campagne. Il y avait dans sa cour une sorte de bassin où glissaient des insectes à longues pattes, dans la chaleur de cette journée d'été. J'avais joué une partie de l'après-midi avec les petits voisins.
Les années ont passé. Après avoir connu les mondanités de la capitale, Simone vivait fort retirée dans sa villa de Cavalaire. Elle était veuve. Elle était entourée de chats. Car les chats, elle les aimait. Elle les soignait, veillait à leur bien-être. Elle se ruinait chez le veto. Elle parlait de ses compagnons défunts avec des larmes dans la voix.
Je crois qu'elle avait fini par préférer leur compagnie à celle des humains...
Elle regrettait la Normandie. Nous nous téléphonions. Un peu de nostalgie, parfois, chez Simone, lorsqu'elle égrenait ses souvenirs de jeunesse de sa voix grave. Ma grand-mère et elle étaient très amies. Je crois qu'elles avaient beaucoup de points communs. Elles faisaient aussi tourner les têtes !
Simone est partie en 2000. Sa fille a demandé que les chats soient euthanasiés. Pensez-vous, ils devaient être tous malades ! Elle parlait de sa mère comme d'une folle. De quelqu'un d'à peine fréquentable. Pourtant, des deux, c'est Simone qui était dans le vrai. Elle avait fait ses choix. Elle suivait son cœur et se souciait peu du paraître. Elle était dans l'amour, le dévouement. Un scandale !
Qu'on se le dise, la connerie n'est jamais du côté des chats !
J'aurais aimé la revoir. Je m'étais promis de le faire. J'aurais traversé la France, en voiture, au train... Mais c'est loin, Cavalaire, et le temps passe. C'est fou comme les futilités vous font dévier de l'essentiel. On se persuade qu'on n'y peut rien. Et je garde toujours des regrets, sinon des remords...
C'est avec Mascaret et son beau regard que je rends hommage à Simone. Le temps n'a pas de prise sur le regard des chats. Mascaret me semble avoir toutes les réponses. Sa sérénité en fait foi. Cette lueur d'interrogation ne s'adresse qu'à moi : "Pourquoi ces questions, pourquoi êtes-vous si compliqués, vous les humains ?".

C'est ce regard qui m'a donné envie de parler de toi, Simone.

lundi 29 septembre 2008

La petite chapelle

Un reportage sur la 3, voici quelques jours. Une expo Doisneau dans un lieu dont j'ignore tout et qui pourtant se trouve dans un périmètre connu. C'est la chapelle de Flainville. Il me faut chercher sur la carte. C'est entre St-Aubin-sur-Mer et le Bourg-Dun. Le grand Robert a photographié cette côte, ce long feston de falaises, visage tourmenté et blafard que la terre offre à la mer.
Je tourne à gauche et quitte la route qui va de Varengeville à Veûles. Dès lors s'ouvre un entrelacs de chemins vicinaux. Ça monte. On s'enfonce dans la forêt. Quelques intersections plus loin, deux panneaux indiquent la chapelle dans des directions opposées. Je dois demander mon chemin. Je suis en fait tout près du but. La chapelle de Flainville est à portée de main.
C'est un charmant édifice fortifié, adossé à une colline, que j'ai sous les yeux. La magie opère immédiatement. L'expo est terminée, la chapelle est fermée mais qu'importe. Un lieu "vrai", isolé, préservé. La campagne normande recèle ainsi des joyaux cachés. Il faut vouloir les trouver. S'aventurer loin des routes touristiques. J'ai le sentiment, la certitude de parcourir un pays des merveilles secrètes, serein et beau, qui s'ouvre devant moi au fil de mes pas.
La paix des lieux est à peine troublée par le passage de convois agricoles - des tracteurs à la remorque chargée de meules de paille -, une ferme jouxte l'édifice. La vie rurale se poursuit sous ces murs plusieurs fois centenaires. Activité humaine et méditation, nature et mysticisme sont ainsi liés ici.
J'admire le calvaire ancien sculpté dans la pierre, saisissant par son dépouillement même. Instants de vérité. Ici dans la solitude on ne triche pas. Les blessures de l'âme sont pansées.
Ce lieu m'a prise au cœur. Peut-on s'en éloigner vraiment une fois qu'on le connaît ?
Je reviendrai.

dimanche 31 août 2008

Le prochain amour

On a beau n'être que fin août, l'été s'en est allé insensiblement, il a commencé à s'éclipser depuis une bonne quinzaine de jours. Le temps de sentir un dernier souffle de chaleur, tel l'appel d'air d'un train qui passe, pof, il était parti. Pour preuve qu'on a déjà un pied (et même un pied et demi !) dans l'automne, les araignées viennent chercher quelques degrés supplémentaires dans les maisons. C'est tôt. Il y en avait une énorme l'autre soir sur le mur de ma chambre. Sans doute plus terrorisée que moi, la pauvre ! (Et, oui, je sais, on n'a jamais vu de petites bêtes en manger de grosses ;-) !) Pas question de l'estourbir, mais pas question non plus d'aller camper au salon ! Alors nous avons opté pour un modus vivendi, un pacte de non-agression. D'ailleurs mon chat Mascaret, pelotonné contre ma tête, a joué les forces d'interposition entre la bête et moi ! Au matin elle avait disparu - cachée où, bon sang ?!
Le temps est à l'automne, il est gris, malgré un semblant de revenez-y estival. Le temps n'est plus à Sables. Déjà... Et cela m'attriste, comme chaque année au même moment. Je reviens à Muscs Koublaï Khan, dont je m'étais quelque peu lassée au printemps dernier. Il me surprend agréablement et s'accorde bien au temps et à l'humeur de ces journées. Mais j'ai d'autres "projets" en tête. Deux - disons trois - parfums m'ont séduite cet été. Il ne s'agit pas de coups de foudre ! Juste des fragrances qui ont captivé mon attention et dont j'aime la compagnie...
Il y a quelques mois, j'ai eu envie de re-sentir Private Collection de Lauder. Idée saugrenue. Un fleuri vert, à l'opposé de ce que j'aime ! Envie d'un parfum "de dame". Je me suis sans doute dit qu'à mon âge, il fallait passer aux choses sérieuses ;-) ! Je me souvenais d'une odeur d'humus, de forêt équatoriale, de germination qui lui conférait un côté sombre, "vénéneux". Le chrysanthème qui fait partie de ses composants, peut-être, à mi-chemin entre éclosion et putréfaction, avec les images disons morbides qu'il suscite (dans notre culture du moins) ? Une création assez proche de Niki de Saint-Phalle, c'est tout dire. Un reformulation a vraisemblablement eu lieu. La nouvelle version est plus policée, plus "politiquement correcte", moins opulente, plus savonneuse. Elle m'a tout d'abord déroutée. Je me méfie aussi du décalage qui existe entre le souvenir d'un parfum - d'autant plus sujet à distorsion qu'il est lointain - et sa réalité. Nouvel essai en parfumerie quelques semaines plus tard, puis chez moi, à nez et tête reposés. Et là, hum... Je ne dirais pas non à un petit bout de route ensemble ! Le chrysanthème est toujours là. J'ai aimé la finale ambrée, chaude, qui vient contrebalancer cette "verdeur" et arrondir la composition. A noter que LE flacon de Private Collection disponible ne figurait pas sur les rayonnages des parfumeries, mais se trouvait relégué au fond d'un tiroir, accompagné, Dieu merci, d'un testeur... Trop peu connu et demandé... Dommage ! C'est un jus qui pour moi développe toute une atmosphère, fait naître aussi des images plus ou moins stéréotypées. Soirées chics, dîners d'été... Il ne me viendrait pas à l'esprit de le porter dans la journée, en jean... Comme quoi les clichés ;-) ! J'en trimballe une précieuse "flûte" dans mon sac depuis trois mois, et je redoute le moment où le minuscule contenant sera vide.
Safran Troublant de l'Artisan Parfumeur m'a lui aussi... troublée ! Pot-pourri dans une coupelle de porcelaine anglaise. Clous de girofle sur un lit moelleux de pétales de roses vanillés. Un peu trop de roses, d'ailleurs. C'est cette note trop présente qui me ferait hésiter. Et un safran trop volatil pour mon nez, peut-être ! Mais un jus chaleureux, intimiste. Comme un soleil automnal encore chaud. Est-ce ce que j'aimerais porter cet automne, voire cet hiver ? L'engouement survivra-t-il à l'échantillon qui m'a été gentiment offert à la boutique L'Artisan Parfumeur de Rouen (où je venais m'enquérir de la disparition annoncée de Dzing, un musc que j'ai beaucoup aimé. D'après la vendeuse, il n'en serait rien !) ?
Et puis il y a L de Lolita Lempicka, que j'ai redécouvert grâce à Ambre Gris. Une bouffée pétillante d'agrumes suivie d'une vanille un peu "salée" qui rappelle les petits-beurre ou les croquants à la noix de coco Bonne Maman ! Cette abondance de douceurs s'articule avec un fond boisé où je remarque particulièrement le vétiver. Un parfum "léger", sans arrière-pensées, sans discours sous-jacent, sans prise de tête. Rien que du bonheur ! J'ai plus d'une fois failli craquer. Pourtant il est pour moi tellement associé à l'été que j'envisage mal un automne avec lui. A moins qu'au contraire il n'apporte le rayon de soleil nécessaire aux jours gris...

Alors, le prochain amour ? Un de ceux-là ? Ou un non encore senti, mais espéré ?...

vendredi 15 août 2008

Le sourire du marin inconnu

Triste constat ce jeudi matin dans la chambre normande du quai du Havre où j'ai établi mes quartiers d'été. Mes pieds ont bien morflé. Dessous, un peu plus bas que les orteils, ils s'ornent d'énormes ampoules. Les décos de Noël des Champs-Elysées, c'est rien à côté ! Perçage, désinfection, pansements. Je suis parée - enfin, il faut le dire vite - à appareiller.
Les bateaux, ce sera pour cet après-midi. Toujours ce besoin de me fondre dans le cœur de la ville, d'en retrouver les contours. La matinée se termine par un café à la Brasserie Paul, un lieu que je suis heureuse de retrouver. Il est immuable, rassurant. Mais là comme ailleurs on ne s'attarde pas...
Il est l'heure de déjeuner. Le Big Ben Pub (dit "le Big") propose une petite restauration le midi. Il est niché au pied du Gros Horloge. C'est un endroit "hanté", où il suffit d'un claquement de doigts pour convoquer les souvenirs. Je pénètre dans cet antre tout de pénombre et de bois luisant. Et un double croque-monsieur au chèvre, un ! Je choisis pour l'accompagner une bière belge d'abbaye, la Saint Idesbald. Je connais. Pas la bière, mais le nom et l'endroit. C'est sur la côte belge. J'ai passé mes toutes premières vacances dans la ville juste à côté. J'avais trois mois.
On m'apporte quelque chose qui a, en gros, le volume, disons, des Bienveillantes. J'ai eu le yeux plus gros que le ventre... mais c'est délicieux ! On déjeune au calme, dans la semi-obscurité. Contraste avec l'agitation du dehors. Des touristes photographient le "Gros". Du monde, du monde. Mais les vieilles pierres du Big sont bien amarrées et le fleuve de la rue ne m'entraîne pas...
A moi les quais, les bateaux... la foule ! Rive gauche, aujourd'hui. La pluie s'est mise à tomber. Pluie drue, lancinante, têtue. Le franchissement du pont Guillaume est un exploit en soi. Files compactes, montantes et descendantes, de visiteurs dans les escaliers. On se bouscule, et la politesse n'est pas à l'ordre du jour pour certains (elle ne l'est sans doute jamais). Malgré le temps la file s'allonge à la coupée du Vespucci. Je dédaigne le géant italien. Le Mir aussi. Il faut pour approcher du navire viking Dreknor franchir des passerelles peu rassurantes. Un peu plus loin, l'Artémis. Bon, je suis ici pour visiter des bateaux ! Je m'engage sur la première coupée. Sous les pieds le ponton tangue et roule. On se croirait en mer. Le voilier constitue un abri précaire - et relatif ! - contre la pluie. Discussion avec un organisateur de l'Armada. Mais il ne faut pas traîner pour quitter le bateau, car d'autres visiteurs attendent...
A terre, les pieds barbotent dans des sandales qui font eau, les cheveux sont trempés. C'est la Berezina ! Retour rive droite dans les mêmes conditions. J'échoue dans un café installé sous chapiteau. C'est la pagaille. Il me faut patienter un quart d'heure à la caisse pour obtenir un café qui me requinque à peine.
Il pleut tant que mon téléphone portable prend l'humidité dans mon sac à main. Les touches ne répondent plus ! Je dois en changer en catastrophe. Il y a un espace SFR rue du Gros, côté Vieux-Marché, où je suis très rapidement et très bien accueillie. Je sors de là un nouvel appareil dans mon sac. Mais je me rends compte qu'un coup de sèche-cheveux suffit à rendre la forme à mon "vieux" téléphone... Telle est la technologie du XXIe siècle...
Dernier soir. Dîner créole rue du Vieux-Palais. Dehors, c'est un défilé ininterrompu. On va vers les quais, on en remonte. Des uniformes émergent du flot, tels des îlots sombres. Non, ce n'est pas "comme d'habitude". L'atmosphère, la "saveur" de cette soirée que je perçois dans un kaléidoscope d'éléments disparates mais qui me disent tous : "Tu es en Normandie. Tu es à Rouen. Tu es un peu chez toi. C'est l'été. C'est la fête". Rouen est transfigurée. Je l'aime - aussi - comme ça. Comment se fait-il que, malgré la quiétude de ce moment, de ces moments, je me sente en dehors de l'animation, de la liesse, sans attaches ? Sans autres liens, sans autre appui que ce qui me relie au passé et va se délitant sous l'effet du temps et des caprices du ciel comme un drapeau fatigué ? Exilée et à jamais étrangère ?
Pourtant - est-ce le ti punch ? - je suis bien, dans mes contradictions mêmes...
Après un tour nocturne sur la rive droite, je rentre à l'hôtel en longeant le quai du Havre. Un marin mexicain en grand uniforme m'adresse en me croisant un sourire spontané, lumineux. Le premier sourire de marin de cette Armada. Cafard. Je rentre demain. Ces sourires déchirants sont les plus beaux, bien sûr. On ne les reverra plus jamais. Jamais est bien l'un des seuls mots qui aient encore un poids dans une vie humaine. Enfin, je l'espère, même si ce mot est aussi le plus désespérant. Comme une chanson de Brel. Comme un poème de Baudelaire. Mais les poèmes ne sont pas la vie. Et la vie vous touche en plein cœur, en pleine chair.
Demain je quitte Rouen.

samedi 26 juillet 2008

Juste quelques mots...

... entre deux épisodes de mes péripéties armadesques (car il y en aura d'autres, oui !), pour souhaiter une bonne fête à ma mère ! C'est aujourd'hui le 26 juillet, la Sainte Anne, dont son prénom est une variante !
Sur la photo, Tosca !
Bisous et tendresses, Maman.

samedi 19 juillet 2008

Foule sentimentale

Mercredi 9 juillet. Ça commence mal, ou plutôt ça commence comme je m'y attendais : le parking Haute Vieille Tour est complet. Il faut attendre à l'entrée qu'une place se libère pour accéder à ce lieu stratégique. Finalement les choses se passent plutôt vite. Lorsque je me présente à la barrière, la borne veut bien me délivrer un ticket illico. Mais ce n'est qu'au troisième sous-sol que je trouve une place, au mépris d'un sens interdit !
Retour à la surface de la terre. Je suis à Rouen ! Pour l'Armada ! Je ne vais pas me ruer sur les quais. Il faut songer à se restaurer. Place de la Calende, à peine un coup d'œil à la vitrine de l'Artisan Parfumeur qui propose pourtant ses soldes, rue des Carmes... Je me dirige vers le Bistrot des Carmes*, place des Carmes. Un lieu que j'avais apprécié et où je n'ai pas mis les pieds depuis plus de deux ans. Une éternité. Je garde de bons souvenirs de leurs tartines et de leur colombelle, ce vin blanc sec et fruité du Gers. Eh bien, je ne suis pas déçue. "Comme d'hab" il y a foule, mais une table située près de l'entrée m'attend. Sur une affiche, un petit singe stylisé me fait penser à Bébé, mon chat, "mon petit singe", qui nous a quittés voici une semaine... La tartine "Eglantine" (au foie gras) est excellente. Elle a aussi un goût de retrouvailles. Retrouvailles avec Rouen. Je reprends pied dans ma ville grise et bleue.
Me voilà sur le quai rive droite. Les bateaux sont là. On aperçoit leurs mâts bien avant le pont Guillaume. Vision saisissante dans un rayon de soleil. C'est sur place que ça se complique, mais c'est la même chose à chaque "édition". Il faut se frayer un chemin à travers les différents "courants" qui avancent à des vitesses très variables et la progression est difficile ! Il est plus de 16 h 45 et le Christian Radich, voilier norvégien, est fermé à la visite. Pas la peine d'espérer monter à bord du Cuauhtemoc, sinon au prix d'une longue attente. Le Sørlandet, un autre norvégien, a l'air de m'attendre... Je m'élance sur l'échelle de coupée - un moment que je n'ai pas vécu depuis longtemps. Emotion. En vertu du principe d'exterritorialité, je suis à présent au pays de la Fée. Je pense à elle sans cesse. Le zap clique. Une moisson d'images, tout saisir, pour ne pas oublier. On ne visite que les parties non couvertes du bateau. Je note que la cuisine propose du lapskaus, un nom que j'ai déjà croisé chez Staalesen. Il s'agit d'un ragoût typique de la Norvège. Ma culture nordico-policière me sert :-) !
Je me sens bien à bord d'un bateau. La vie semble s'y écouler à un autre rythme. J'aime être sur l'eau. Le Sørlandet a beau n'être pas le plus couru des navires présents, on se bouscule un peu. Que vient-on chercher ici ? Le rêve, l'évasion par procuration ? Car, on le sait, "ils" vont repartir. Vers d'autres mers, d'autres rivages. Et ils ne nous emmèneront pas.
En 89, aux "Voiles de la Liberté" (appellation moins guerrière qu'"Armada" !), je ne savais pas que de tels bateaux existaient encore.
Je marche jusqu'au Staadsraad Lehmkul, le troisième et dernier norvégien de l'aventure. Le plus grand, aussi. Machine arrière. Je n'irai pas plus loin. Les derniers bateaux - des "gris", des navires militaires - sont au tonnerre de Dieu. Un café à la terrasse du Bureau. On est "filtré" par un cerbère à l'entrée. Je n'aime pas. Mais j'apprécie de me poser. Le soleil est là, mais le vent souffle en bourrasques. La foule défile à mes pieds, en quête d'images éphémères.
Je reprends mon cheminement vers le pont Guillaume, qui semble bien loin, si loin. La fatigue, la lassitude aussi, commencent à me gagner. Trop de monde, trop de bruit. Pourtant je suis heureuse d'être ici. La lumière de fin d'après-midi, les mâts qui strient le ciel... Un rendez-vous honoré...


* Le Bistrot des Carmes
37, place des Carmes
02 35 71 66 89
Formule à 9,50 € (tartine ou salade, dessert et café).

mardi 8 juillet 2008

Partir...

... même pour deux jours. Eh oui, je vais voir les bateaux de l'Armada à Rouen. Ce n'est plus tout à fait l'enthousiasme des premières années, pourtant je n'aurais pas voulu manquer l'événement - encore une de mes contradictions ! Retrouvailles pleines d'appréhension. La ville m'a-t-elle oubliée ? Que vais-je y trouver ? Des bouffées de mémoire éparse. Et l'ombre de celle que je fus. La question n'appelle pas forcément de réponse, du moins pas de réponse formulable.
On verra !

dimanche 29 juin 2008

Rendez-vous

Vous n'ignorez plus rien maintenant de mon goût pour les aires d'autoroute. Voilà qui va corroborer cette opinion, mais il s'agit là d'une occasion très spéciale.
Je démarre d'assez bonne heure en ce lundi matin. Autoroutes A2 puis A1, puis direction sud-ouest. Pas d'arrêt sur "mon" aire, je ne veux pas arriver trop tard. Qu'est-ce qui me fait courir aujourd'hui ? J'ai rendez-vous avec les grosses cylindrées qui arrivent droit des Vingt-Quatre Heures du Mans et font halte aux confins de la Normandie. Je me suis trouvée là par hasard il y a trois ans. Prise dans une nuée de voitures toutes plus belles, plus prestigieuses les unes que les autres, alors que je venais acheter une bouteille d'eau. L'année suivante je suis revenue, exprès cette fois-là.
16 juin 2008. Les Vingt-Quatre Heures ont pris fin hier. Une fois de plus l'aire de Bosc-Mesnil accueille ces vagabondes. J'embouque l'autoroute A28. Des paysages familiers éclosent devant mes yeux. C'est un parcours que j'ai suivi bien des fois, à une autre époque. Déjà on croise des véhicules de rêve que j'essaie d'identifier "à la volée" et pas toujours avec succès. Je pousse des "ah" et des "oh". Mais je ne suis pas encore rendue. Il me faut quitter l'autoroute, effectuer un demi-tour sur une départementale puis reprendre la même autoroute dans la direction opposée. Manœuvres indispensables qui m'apparaissent cependant comme une perte de temps tant j'ai hâte d'être sur place.
Nous y voilà. J'ai le cœur qui bat un peu vite. Déception : pas de files de gloutonnes aux pompes à essence pour m'accueillir. Les citoyens britanniques ont-ils manqué le rendez-vous ? Suis-je venue pour rien ?
Mais plus loin, sur le parking, "elles" sont là. Le fougueux troupeau est au pacage, temporairement assagi. J'emprunte allègrement un sens interdit - c'est ça ou quitter l'aire ! - et trouve une place au beau milieu des poids lourds. Il n'y a plus qu'à s'émerveiller, courir partout et faire cliquer le zap.
Je photographie des Aston Martin, des Ferrari qui arrivent à la queue-leu-leu et une chose orange et toute plate - mais spectaculaire - qui est une Lamborghini Murcielago. Beaucoup de Porsche Carrera et de Caterham, ces jolies répliques de bolides anciens. Mais je ne retrouve curieusement pas l'effervescence des années précédentes. Moins de "choix" aussi qu'il y a deux et trois ans. Pas de Maserati, par exemple, une de mes marques préférées. La hausse du prix des carburants a-t-elle un effet sur le moral des heureux propriétaires ?
Et puis on m'a coulé du plomb dans le cœur. Ma Garance n'est plus là. Son absence m'obsède et déteint sur tout ce qui m'entoure. Un voile gris étreint le monde. La lumière est moins vive, l'oxygène de l'air moins abondant. Autour de moi les voitures ont beau parader, étinceler et rugir...
Quand même, le spectacle ne peut me laisser indifférente. Au loin une Countach rouge s'éclipse "ventre à terre". Trop tard ! Elle échappera à mon objectif.
14 heures 30. Je songe à rentrer. Mon "chez moi" n'est pas la porte à côté. D'ailleurs ici le gros de la troupe commence à s'égailler. Albion est encore loin. Même à plus de 200 kilomètres/heure.
Je n'oublie pas, malgré la brièveté de l'incursion, que je suis en Normandie. Rouen est à 40 kilomètres, Dieppe à 35. Frustration. Je laisse une fois de plus tout ce que j'aime derrière moi. Dernier éclat de ce bref séjour automobile, une Cayman bleue me double alors que je vais bientôt quitter l'autoroute. J'aimerais en essayer une. Pour comparer avec la Carrera. "C'est complètement différent", m'a dit un client. Peut-être, mais je voudrais pouvoir m'en assurer par moi-même !
Je rentre épuisée. Trop de kilomètres, trop de décalage. J'ai besoin de repos, de repli. Les voitures de course sont derrière moi, comme un rêve dont je ne suis pas bien sûre d'être éveillée, et j'ai un peu de mal à réintégrer mon décor quotidien.
Les heures qui suivent la Normandie sont encore un peu la Normandie.

mercredi 18 juin 2008

Je l'aimais

Les missions des Fées sur Terre n'ont qu'un temps. Elles viennent illuminer la vie des humains pendant un moment, puis regagnent leur Royaume Magique. On a beau le savoir, elles partent en laissant le vide, le manque et la souffrance. Ainsi Garance s'en est allée.
J'arrive enfin à écrire un peu sur toi, Garance...
Garance... tous ces mots que je ne dirai plus... Toutes ces caresses que je ne donnerai plus... Tous ces baisers que je ne déposerai plus sur ton long nez - à ton grand courroux ! - ... Ton magnifique regard que je ne croiserai plus... Tout ce qu'il me faudra réprimer, parce que tu n'es plus là...
Au retour d'un week-end et ou quand mon cœur était faible ou blessé, j'aimais te serrer dans mes bras contre moi. Tu me communiquais ta force, ce geste me réconfortait. Mais tu n'aimais rien de ce qui pouvait entraver ta liberté et te débattais jusqu'à ce que je te délivre !
Tu m'as enrichie, Garance... Tu m'as fait découvrir d'autres horizons : la Norvège, la mythologie scandinave... Quelle fierté, quel bonheur, quel privilège d'accueillir, non seulement une Fée, mais une divinité viking... Sans toi, je n'aurais pas connu Gunnar Staalesen, Jo Nesbø... Surtout, je n'aurais rien su du monde magique des Fées... Je porte d'ailleurs une petite fée d'argent à mon annulaire gauche... Et bien sûr je n'aurais jamais goûté le côtes-du-rhône qui porte ton nom...
Tu m'as appris la patience et le respect de ta dignité de Fée...
Je voulais te voir devenir une "vieille Fée", un peu rhumatisante, peut-être, mais l'œil et la griffe toujours alertes !
Ton rôle auprès de moi n'était pas achevé, Garance, et tu me manques cruellement. Tes amis de par le monde se sont émus. Je te pleure et te pleurerai longtemps.
Reposez en paix, Madame la Fée. Puisse votre magie ne jamais me quitter.

Ma magnifique, ma merveilleuse Garance...

Garance, automne 2001 (?) - 10 juin 2008

Les Fées ne meurent jamais.



dimanche 1 juin 2008

Le chat du menuisier



C'est la Fée, la tendrement chérie, l'objet de ma vénération. Cette Fée féline a une histoire. Nous aurions pu nous louper. Je n'ose même pas y penser.
Un samedi de juin 2002. Il est un peu plus de neuf heures. On sonne. C'est Victor, le menuisier dont l'atelier se trouve de l'autre côté de la rue. Il tient dans ses bras un chat. "C'est à vous, ce chat-là ?", s'enquiert-il. L'esprit de l'escalier et un manque flagrant de capacité à anticiper m'empêchent de répondre "Ce n'est pas encore mon chat". Mais je réponds que non, celui-ci est inconnu au bataillon. Peu importe, puisque Victor me colle séance tenante la bête dans les bras. C'est une demoiselle. Elle ronronne, comme pour se rassurer. Je ne la trouve pas très belle avec son long nez et ses yeux rapprochés. Elle reste. Nous espérons secrètement, pauvres de nous, que l'animal va filer et ne plus revenir. Le nom d'un bois est approprié pour un chat de menuisier et la chatte est baptisée Okoumé. Mais plus tard dans la journée, un autre nom s'impose, venu de je ne sais où : Garance. Garance. Rien à voir, du moins pas consciemment, avec Les Enfants du Paradis ! Je trouve que cela sonne bien. Tête triangulaire, regard alerte, queue touffue : la bête ressemble à un Chat des Forêts norvégiennes. D'ailleurs, le nom de Victor n'est-il pas la contraction de Viking et de Thor ? Ahah ! Il est décidé que Garance est un skogkatt !
Il m'a fallu une quinzaine de jours pour m'habituer à elle - pour l'aimer. Elle n'était au début qu'un chat de plus. Elle était trop : trop touffue, trop petite, trop sauvage, trop asociale et peu soucieuse de se faire accepter. Elle était de trop. Et puis un jour je me suis rendu compte que je ne pouvais plus me passer d'elle. Un mois plus tard j'ai passé quelques jours difficiles et, croyez-le ou non, penser à elle m'a maintenu la tête hors de l'eau !
Garance, ça pourrait être un nom de rivière. La fusion de Garonne et de Durance. Je n'ai jamais remis en question ses origines nordiques. Dans les contes scandinaves, les chats sont des chats-fées. C'est donc tout naturellement qu'elle est devenue la Fée, surnom qu'elle connaît parfaitement bien ! A noter que Garance est un vrai chat-fée, pléonasme puisqu'il n'existe pas de faux chats-fées. Et une vraie Norvégienne. A cause d'elle (ou grâce à elle !), je me suis intéressée à la géographie de la Norvège, à ses traditions, sa littérature, sa cuisine... A cause d'un chat !
Elle griffe, mord, grogne, feule si d'aventure on lui manque de respect. Elle ne connaît pas le miaulement mais sait exprimer clairement ses désirs ou son mécontentement. C'est une irréductible. Je ne sais pas ce qu'elle a en plus, mais elle l'a ! Ses pouvoirs magiques - ah, parfois j'aimerais qu'elle sache changer un bout de papier en billet de 500 € ;-) ! - sont dans son regard et sa présence. Et, ô miracle, les photos qu'elle me permet de faire d'elle restituent ce regard unique où se mêlent intelligence, sauvagerie et, parfois, tendresse.
Garance est vraiment une créature magique. C'est bien une Fée que le destin, par l'intermédiaire du menuisier, a mise sur ma route.

Je publie ce post inachevé, imparfait. J'aurais dû le faire depuis longtemps. Le Chat-Fée souffre d'une insuffisance rénale chronique - le fléau des chats. Le diagnostic a été confirmé il y a une dizaine de jours. J'avoue passer par des hauts et des bas très éprouvants. Traitements allopathique et homéopathique, aliments appauvris en protéines... Mais elle ne mange pas. Confiance modérée dans les vétérinaires, mais pas tellement d'illusions. Je ne sais plus que faire. Je suis prête à échanger des années de chambre normande contre la vie de la Fée - si cela pouvait se passer ainsi...

lundi 26 mai 2008

Au bout du bout du quai



C'est mon restaurant préféré à Dieppe. Peut-être mon restaurant préféré tout court.
Un quartier excentré, dans le port de commerce, aujourd'hui bien calme. Rien à voir avec le quai Henri IV où se pressent les uns contre les autres des restaurants pas toujours dignes de ce nom... Il ne faut pas craindre de s'aventurer hors des circuits balisés, hors du touristique, du "joli". D'aller au bout du bout du quai, là où la terre ferme s'arrête, où on entre en pur monde maritime. Cours de Dakar, quai de Norvège. De ces noms qui font rêver. Qui emmènent ailleurs. On passe du Sénégal à Oslo. J'aime la Norvège. Je vous dirai peut-être pourquoi un jour. Je n'y suis jamais allée. En attendant, la Norvège, elle est à Dieppe. Son âme imprègne ces quais, ces entrepôts de mareyeurs qui posent un décor à la Mac Orlan que les yeux incapables de poésie verront austère et triste. J'imagine les bateaux chargés de grumes*, de bois odoriférants venus de profondes forêts scandinaves. L'animation d'autrefois, dont il ne reste rien...
C'est dans ce cadre que se trouve Le Comptoir à Huîtres. Je l'ai découvert voici près de deux ans, à la faveur d'une errance sur les quais, en quête de sujets pour mon zap** sans doute... ou attirée par ce nom magique de Norvège. La première fois, je ne savais pas de quoi il s'agissait. Juste un nom que j'avais retenu, des lieux que j'avais déjà repérés. Un coup d'œil à la carte. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, et "pour une fois", me suis-je dit, j'ai poussé la porte.
Ce restaurant, c'est mon luxe. Pourtant rien de clinquant ici. D'immenses bouquets colorés ornent toujours la salle et la façade. Le décor, carreaux de faïence peints et homards géants grimpant aux murs, est inspiré par la mer. Beaucoup de toiles, aussi... Le maître des lieux est amateur de peinture et compte des artistes parmi ses amis.
Midi ou soir, l'établissement est toujours très animé. Son nom n'est pas usurpé. Ici l'huître est reine. Bon, j'avoue ne pas être fan de la bestiole. Mais elle ne constitue pas la seule proposition, et il y a de quoi se rattraper. Sur la carte, pas de poisson. Que des fruits de mer. Mollusques et crustacés. Déclinés de toutes les façons. Servis crus sur d'immenses plateaux, cuits à la plancha ou en "nage", des moules de Barfleur aux somptueux homards bretons. Risotto, ratatouille niçoise ou délicieuse purée aux olives et à l'ail les accompagnent... Simplicité, raffinement et abondance... Et les desserts...
Un apéritif pour se mettre en train ? Je vous recommande l'americano maison. Le ti punch aussi.
Et puis on est bien accueilli, et cela compte beaucoup. Le patron, Stéphane Barq, règne avec "poigne", dynamisme et sourire sur une équipe adorable. Le service est effectué par deux jeunes gens attentionnés, serviables, aux petits soins. Je me sens bien ici. J'aime l'ambiance, jamais guindée. Je passe au "Comptoir" des moments d'exception. A la fin du repas je commande souvent un deuxième café, histoire de prolonger la soirée. De faire durer le plaisir d'être là. Car le temps passe toujours trop vite...
A chaque visite, trois ou quatre fois par an, s'ajoute le souvenir des moments sans prix vécus ici. Des moments simples, réconfortants. Au cœur du monde portuaire, loin de l'agitation de la ville, c'est un lieu où revenir. Une petite partie de mon histoire dieppoise s'écrit là...
Comme lorsque je quitte Dieppe ou Rouen : quand, la prochaine fois ?

Monsieur Barq, un déjeuner ou un dîner chez vous, c'est une fête.


Le Comptoir à Huîtres
12, cours de Dakar
Quai de Norvège
76200 Dieppe
02 35 84 19 37

Fermé les dimanches et lundis.

*Un mot que ma mère m'a appris à Dieppe alors que j'avais sept ans. Ou peut-être six. Je me souviens très bien des circonstances de cette découverte. J'étais étonnée qu'un mot puisse être si proche d'"agrume" et en même temps si éloigné par le sens. Merci, Maman ;-) !
**Z'appareil numérique... mais vous devez le savoir maintenant !

mercredi 21 mai 2008

Comme à Ostende et comme à Dieppe


Ce n'était pas mon week-end le plus réussi. Il a plu les deux tiers de la journée de dimanche. Pas des gouttelettes, des hallebardes. On nous a servi des moules à l'odeur suspecte dans une brasserie du quai Duquesne dont je tairai le nom. Le patron et la serveuse nous ont fait la gueule, par-dessus le marché ! Je me suis promis de ne plus y aller. C'était depuis un an un de mes "points de chute" dieppois, mais la perte est-elle si grosse finalement ? Question réthorique, bien sûr ! J'ai eu froid. Et, drame suprême, je n'ai rien vu de tentant dans les vitrines.
La Normandie, je la vois et la voudrais parfaite. Mais pourquoi faudrait-il que tout soit toujours réussi, hein ? Tout ne peut pas toujours être parfait ! L'idéal, la perfection ne sont pas de ce monde. Dieppe vit, oscille, change d'humeur à un rythme qui n'est pas forcément le mien. Parfois la représentation refuse de se superposer à la réalité, mais c'est le pari, le risque de vivre, et il me faut accepter cela. Je l'ai compris, je crois. Deviendrais-je philosophe ?
J'ai découvert le château de Miromesnil, où est né Maupassant. Un peu chère, la visite, soit dit en passant (et, non, ce n'est pas pour la rime !) ! Bel édifice dont j'ai tout de même préféré la façade "invisible", visage de briques plus rustique et plus noble. Chapelle, pièces du rez-de-chaussée, jardins parcourus avec un guide agréable - le maître des lieux si j'ai bien compris ! On zappe la chambre natale de Guy. Pas d'émotion particulière... du moins pas liée au grand homme, un de mes auteurs préférés pourtant (lire : un des plus consolateurs, des plus aptes à entretenir mon inextinguible nostalgie). La veille, visite nocturne du château-musée de Dieppe à l'occasion de la Nuit des Musées. Magique ! Un musée la nuit, c'est presque un interdit transgressé, un fantasme réalisé. Entre les vitrines aux ivoires sculptés, les toiles de Boudin, Pissaro, Sisley, les maquettes de bateaux réunies dans un ensemble quelque peu disparate mais attachant, on bascule dans l'irréel. Mais c'est la fête. Les visiteurs se pressent, les enfants courent. On se perd dans les allées, on se trompe de sortie, on se tord les pieds dans les pavés, mais ce n'est pas grave, c'est juste délicieusement angoissant, dans cette montée éclairée par des torches, cette cour, baignée d'une lumière jaune vacillante, qui doit ressembler à ce qu'elle était au Moyen Âge...
J'ai aussi goûté l'Oban, tourbé mais pourtant miellé et suave, dont il faudra que je m'offre une bouteille un jour...
Pourtant j'ai ressenti cette fois-ci quelque chose qui ressemblait à de l'ennui (hum hum, je crois bien que j'ai fait une litote...). Comme un vide que j'emporterais toujours avec moi. Mise face à face avec mon errance, peut-être. Ni avec, ni sans. Ni là, ni ailleurs. Pourtant, dès que je tourne le dos à la mer et sors de Dieppe, le manque s'installe. Un manque de tous les instants. La route du retour se déroule, la Normandie s'effiloche, s'éloigne, disparaît. Quand, la prochaine fois ? Vais-je "tenir" jusque là ?
En attendant, écrire, parcourir les cartes routières, rêver, se forger des certitudes face à un horizon brumeux...


samedi 26 avril 2008

La fille de l'aire



C'est à 68 kilomètres de chez moi, sur l'autoroute A1. Une étape presque "obligée" du trajet vers la Normandie. A une si courte distance de mon point de départ, direz-vous ? En fait, je n'ai pas besoin de m'arrêter, ou plutôt la nécessité n'est pas d'un ordre pratique. C'est que l'aire d'Assevillers, c'est déjà le voyage. Je la connais depuis des années. J'y avais ma place de parking juste en face de la boutique. J'y prenais (vous comprendrez bientôt pourquoi j'utilise l'imparfait) ma première tasse de café, tirée d'une Thermos. J'en jetais les dernières gouttes au sol, rituellement. Conservé dans ces conditions, le petit jus n'a pas bon goût, mais qu'importe. Je partais. La Normandie m'attendait. Pas un trajet sans une halte, comme avant d'entamer la dernière ligne droite, d'être aspirée par l'asphalte jusqu'à ma destination, sans retour possible. Souvenirs du temps où la route était pleine d'espoir. Où j'étais partagée chaque fois entre l'excitation et l'appréhension. Les circonstances changeaient, mon aire était immuable.
J'ai éprouvé un choc au mois d'août dernier. On avait effectué, en un peu plus de trois mois, des travaux de grande ampleur. Ma "petite aire" avait été défigurée, dénaturée. La boutique avait disparu, mon parking aussi. A la place s'élevait une sorte de galerie marchande abritant plusieurs établissements de restauration rapide et un magasin de souvenirs. Je vouais immédiatement la plus vive hostilité à la nouvelle construction. On m'avait spoliée de ce point fixe de ma route que je fréquentais depuis si longtemps. Désarroi, dépit... que me restait-il de mes itinéraires sacrés de voyageuse inter-régionale ? Ceux où je fourrais tant de rêve ?
Mais... "Un animal qui s'habitue à tout, telle est ma définition de l'homme", disait Dostoïevski. Il a suffi de quelques trajets pour que je me forge de nouvelles habitudes. C'est toujours mon aire, après tout. Alors arrêt-pipi règlementaire ! J'ai renoncé à la Thermos. Je m'octroie une pause chez Pomme de Pain. On y est servi avec le sourire. On y boit un bon café, servi dans de petits verres, on y trouve de bons sandwiches (je vous recommande le "Norvégien"). Le sandwich est l'auxiliaire indispensable du voyageur. Ce qu'on mange ou boit en transit a toujours meilleurs goût, pour moi du moins. Même en son temps le café de la Thermos. Puis on reprend la route, on file vers l'inconnu...
Comme le lierre qui s'attache ou qui meurt, je suis en quelque sorte implantée sur "ma petite aire", je me suis acclimatée, comme s'il s'agissait d'une question de survie. Ceux qui font halte sont toujours les mêmes. Ils me semblent juste un peu plus nombreux, mais peut-être est-ce dû aux nouvelles dimensions des lieux. Il y a toujours des regards, des sourires échangés. Nous les voyageurs, nous nous reconnaissons. Qu'on vienne de près ou de loin. Je scrute les immatriculations lointaines. Place à l'imaginaire ! L'aire est une plaque tournante, un arrêt qui nous fait tous nomades, jetés sur les routes, un peu perdus (j'exagère : nous savons où nous allons). Ce n'est pas encore l'ailleurs, ce n'est plus tout à fait chez soi. Un lieu de l'entre-deux, comme ma petite route. On a envie de s'attarder, mais on sait bien qu'on ne peut pas, qu'on n'est pas arrivé...
En voiture !
Est-ce donc la destination qui compte ? Mon aire, c'est le règne du fugace, un temps d'arrêt dans le transitoire, un instant nécessairement appelé à ne pas se prolonger. Et c'est ça que j'aime. Nous sommes décidément de passage où que nous nous trouvions.

mercredi 9 avril 2008

Une métaphore navale, nautique et maritime



Impression que mon passé s'effiloche, sans que rien soit venu le remplacer au présent, ni dans ses éléments ni sans sa globalité. Les points de repère dont j'essayais de me convaincre qu'ils étaient immuables ont disparu. Tout ceci fait l'objet de sombres ruminations. J'ai eu de plus une journée de merde : cette nuit des crétins ont détérioré ma voiture. Soucis redoublés par les démarches inévitables qui s'ensuivent. Je me sens un peu comme le Frya qui, dans son chantier naval dieppois, attend une improbable partance. Et puis... Coup de fil d'un client. Nous parlons quelques minutes et c'est agréable. Nous échangeons au sujet de nos métiers respectifs. J'entends des propos posés et sensés. Et, accessoirement, une promesse de travail (j'ai l'habitude et je reste prudente). Mais ça n'est pas l'essentiel. La conversation m'a sortie de mes pensées, remise à flot. C'est temporaire, mes étoiles ne se sont pas rallumées, mais mon instinct de survie est satisfait ! Celui-là...
Ça ne me fait pas oublier que la Normandie me manque à mourir.

PS : le lendemain, le Frya avait quitté son chantier...

vendredi 28 mars 2008

Aux petits bonheurs

Au coeur de Lille - A mon grand-père...

Je serais injuste si je ne parlais pas de la région où je vis et en particulier de Lille. Cent kilomètres aller-retour, l'histoire d'un après-midi. J'y fais régulièrement un petit tour. Rarement seule. Plutôt avec ma mère ou mon amie Valérie. C'est bien mieux pour le resto et les essayages en tout genre, fringues, maquillage et parfum ! Le "petit tour" doit être un partage, l'occasion de vivre des moments de complicité entre filles.
Ces petits tours sont stimulants, salutaires. Je vois du monde, je découvre des nouveautés. Je n'échappe pas au cafard quand je rentre, même si je suis heureuse de retrouver mon antre avec chats, ordi et bouquins.
Lille absorbe mon trop-plein d'ennui, de spleen. Elle m'aide à patienter en attendant de retrouver la Normandie. J'y transpose - provisoirement ! - mon ailleurs quand la Normandie se fait lointaine, incertaine, presque inaccessible... C'est bien réducteur, me direz-vous ! Pour moi, c'est important. J'ai des liens affectifs forts avec Lille, consolidés par des décennies années de fréquentation. J'y ai bien des souvenirs. J'y ai mes habitudes, mes incontournables. Mes lieux et mes sourires qui réchauffent le cœur. Un "noisette" à La Chicorée, du furetage au Furet et du fnacage à la FNAC, un arrêt (prolongé) au stand Mac du Printemps... Ce parcours n'est pas immuable, heureusement ! S'y greffent de nouveaux lieux, de nouveaux itinéraires, de nouvelles rencontres qui viennent enrichir mes "acquis". Découverte d'une jolie papeterie, d'un marchand de thé du Vieux-Lille... nouveaux points de repère qui me rendront la ville plus précieuse, plus consolatrice...
Lille, ville vivante, chaleureuse à laquelle manque pourtant l'ouverture de la mer ou d'un fleuve... Mais je ne saurais me passer de ces "petits tours", de ces bribes de bonheur entrevues ça et là.

Le bonheur, n'est-ce pas seulement une bonne heure ?*

Il ne faut pas négliger les petits bonheurs - surtout que l'existence du grand n'est pas avérée...

* Alfred de Vigny

vendredi 14 mars 2008

Amours impérisSables

Certains jours ensoleillés de cette fin d'hiver, j'ai envie de revenir à lui. Juste un pschitt sur les poignets. Pas plus - si je peux me limiter ! Je me dis qu'il est trop tôt, qu'il ne se développe, ne s'épanouit que lorsque le soleil commence à chauffer la peau. Comme lorsque je l'ai découvert, éblouie, par cette chaude journée de juillet, aux Galeries Lafayette Haussmann, il y a bien longtemps. Lui, c'est Sables, un parfum d'Annick Goutal. Un vieux compagnon de qui il me reste encore beaucoup à découvrir.

On ne dit rien
Quand le temps assassin
Enterre nos amours périssables
Sous le sable
Mouvant

Non, le premier pschitt sera pour les beaux jours. Je pourrai alors m'en envelopper sans retenue. Il m'attend, je l'attends. Comme la ritournelle nostalgique de Keren Ann, sa polyphonie m'interpelle. Rien de triste chez lui pourtant. Plutôt une impression de plénitude solaire. Les effluves qui s'échappent du flacon que je garde en permanence dans mon sac de voyage viennent me frôler, telles des bribes d'été flottant dans l'air, arrachées au temps passé.
Ce qui m'a séduite et continue à me séduire chez Sables, c'est qu'il ne ressemble pas à un parfum ! Là résident son originalité et le pouvoir d'attraction qu'il a sur moi depuis près de dix-neuf ans ! Il a surgi dans ma vie quatre ans après l'Heure Bleue, et mes deux amours ont longtemps cohabité dans mon cœur et - en alternance - sur ma peau. Le Guerlain m'enveloppait l'hiver, le Goutal m'accompagnait à la belle saison. Pas de jaloux !
Sables, créé par Annick Goutal pour son mari violoncelliste, ne possède "à mon nez" rien de spécifiquement masculin... ni féminin ! "Inclassable", pour reprendre l'argumentaire de la maison Goutal, est une épithète qui lui convient. Chaud, voire brûlant, tel que je l'ai ressenti la première fois sur ma peau, il est sans emphase et ne libère pas de volutes florales entêtantes, hormis l'odeur des immortelles, qui me rappelle celle poivrée et légèrement sucrée des giroflées. Ou les promenades estivales sur le Grand-Bé, à Saint-Malo ! Une note étonnante m'évoque la casse, une gousse ligneuse qui renferme des graines connues pour leurs vertus... laxatives ! Elle perdure, perdure, alliée à une odeur herbeuse, terreuse de plantes macérées dans l'eau-de-vie. Luca Turin* parle, à propos de Sables, d'herboristerie : on ne pouvait plus justement qualifier cette phase de son développement ! Opopanax et patchouli ne figurent pas dans la liste de ses composants, mais je jurerais qu'il en contient. Quoi qu'il en soit il ne ressemble à rien d'autre...
Je lui reproche parfois sa volatilité, son manque de tenue sur la peau. Paradoxe : il m'arrive d'en retrouver les arômes - vanille et opopanax en tête - sur des vêtements lavés, repassés et rangés dans une armoire, bien des mois après le "parfumage". C'est à chaque fois une impression étrange, comme si mon parfum m'avait donné rendez-vous...
Oriental (je lui trouve parfois des accents de Shalimar !) et original, unique dans la parfumerie, Sables a son langage. Secret mais radieux, il est pour moi moins entaché de sombre mémoire que l'Heure Bleue. Il n'a cessé de murmurer à mon oreille sa mélodie envoûtante, promesse infinie de soleil. Elle est semblable au bruissement du vent dans les herbes hautes.
Sables, c'est mon parfum des printemps qui s'en reviennent, des étés éternels. Mon grand réchauffeur de peau. J'en ai laissé quelques molécules dans mes chambres normandes. Nos amours sont périssables, et lui et moi avons l'un contre l'autre enterré bien des étés, bien des heures précieuses, bien des soleils couchants. Je n'exclus pas la perspective d'infidélités (atroce mentalité !) et louche du côté du Palais-Royal. Mais une évidence s'impose au milieu de mes incertitudes. Le "temps assassin" n'a pas encore eu de prise sur Sables.

*Parfums: le guide. Merci Ambre Gris ;-) !

mercredi 27 février 2008

Ne (me) reste presque rien...

Voilà, j'ai retrouvé* la citation de Cortázar** dont je vous parlais au sujet de Colette de Saint-Saëns.

En y repensant, Derrida a pleinement raison quand il dit, quand il me dit : Ne (me) reste presque rien, ni la chose, ni son existence, ni la mienne, ni le pur objet ni le pur sujet, aucun intérêt de rien qui soit à rien qui soit. Aucun intérêt, vraiment, car chercher Anabel loin dans le temps c'est tomber encore une fois au fond de moi, et c'est si triste d'écrire sur soi, quand bien même je voudrais continuer à me figurer que j'écris sur Anabel.

Silence.

* Merci Maman ;-) !
**Heures indues
, nouvelles, Gallimard

lundi 25 février 2008

Billet d'Hummer



Je hais les 4 x 4. Non. Haïr est un terme et un sentiment trop fort. La haine est une perte inutile d'énergie. Elle fait plus de mal à soi qu'à ceux qu'on hait. Elle ne mène à rien. Je lui préfère l'ironie... ou l'indifférence ! De plus j'ai passé l'âge des sentiments passionnés, voyons ! Je dirais que je n'aime pas les 4 x 4, leur façon de vampiriser les routes, leur esthétique plus que discutable et leur utilité en ville tout aussi contestable. Ils sont peut-être un signe de réussite. Mais ce ne sont que des voitures. Les gens font ce qui leur plaît et mettent leur amour-propre où ils veulent. Libre à moi de ne pas partager leurs goûts et leurs choix automobiles.
Il existe une exception. Une exception qui me met toujours à la frange du malaise. J'ai nommé le Hummer, grand générateur de passions et de polémiques, souvent présenté comme le symbole d'un capitalisme échevelé, irresponsable, qui n'a cure de l'environnement planétaire.
La première fois que j'ai croisé la route d'un de ces engins, c'était... à Duclair ! Juin 2005. Je remontais péniblement à pied la côte qui mène au Catel, non loin du parking du cimetière. J'ai vu une sorte de blindé haut sur pattes garé sur le bas-côté. Il était jaune Poclain et immatriculé en Lithuanie. Rencontre aussi inattendue qu'insolite. Mon sac à provisions à bout de bras, j'aurais voulu en approcher, mais le propriétaire était sorti du véhicule, une petite fille juchée sur ses épaules, et... D'ailleurs, ai-je réellement eu le désir de le voir de près ? J'étais inhibée par l'étonnement de voir "enfin" le monstre dont j'avais seulement entendu parler. Quelques mois auparavant, je ne savais pas de quoi il s'agissait... L'engin était impressionnant, anguleux, haut, long, large... énorme, à y perdre ses superlatifs et ses hyperboles. Une voiture hypertophiée, un peu comme ces porte-conteneurs géants qui ne ressemblent plus à des bateaux.
Je me suis demandé ce qu'il fichait là et j'ai poursuivi mon chemin, un peu éberluée, pour regagner ma chambre normande d'alors...
J'ai vu quelques autres Hummer depuis. Je les ai entendu gronder et rugir au passage. J'ai appris à les distinguer. Il y a les petits z'Hummer et les gros z'Hummer. Le petit z'Hummer n'est guère plus gros ni spectaculaire qu'un GrosToyo. C'est le H3. Le gros z'Hummer, le plus impressionnant, c'est le H2. C'est que je suis devenue une spécialiste. Les "petits noms" gaga que je leur ai attribués m'aident à désamorcer la charge menaçante de ces véhicules et l'angoisse (si !) qu'ils m'inspirent. L'un d'eux, un "gros" - "fréquente" même ma petite ville et je l'ai croisé - ou suivi ! - à plusieurs reprises sur la route de Lille. Sa présence ici détonne et reste entourée de mystère. Et puis je dois bien me l'avouer, il me fait peur. Il erre comme une créature redoutable et mortifère à laquelle rien ne saurait échapper. Il est un animal prêt à vous agresser, à mordre, à déchirer votre carrosserie et aller vous cueillir, pétrifié d'effroi, au milieux des tôles. Comme le T-rex de Spielberg ! S'il m'arrive de le voir - c'est rare - c'est plus fort que moi, je rentre la tête dans les épaules. Au cas où la bête, la machine de guerre originelle qui sommeille, se réveillerait, comme le camion de Duel qui semble animé d'une vindicte propre à l'égard de sa malheureuse "proie". Encore une référence à Steven ! Jeu de cache-cache terrifiant et délicieux qui pimente un peu ma vie...
Vous l'avez compris, j'éprouve une inexplicable fascination à l'égard des Hummer. C'est la voiture que je déteste aimer. Une peur d'enfant perpétuée ? Peut-être parce qu'on a besoin de monstres pour vivre et alimenter son imaginaire ?
Le bien-penser voudrait qu'on stigmatise ces engins, incarnations du politiquement incorrect, et leurs conducteurs. Chez moi l'indulgence l'emporte presque sur l'irritation. Les défis au raisonnable me séduisent. Tant qu'à faire, autant choisir la démesure... Je reste cependant critique. Je déplore l'ostentation. Mais l'arrogance est-elle dans la machine ou dans l'esprit des hommes ?
Le hideux Hummer H2 n'existe peut-être que pour satisfaire mon besoin de me raconter des histoires, et cela me suffit.

dimanche 17 février 2008

A l'autre bout du jour

Un atomiseur de métal doré, encore aux deux tiers plein, souvenir d'un après-midi normand. Un pschitt sur l'avant-bras, pour m'accorder une petite bouffée de revenez-y. Un parfum qui, après tant d'années, commence à s'altérer, à émettre sur la peau des notes dissonnantes. Serait-ce que

J'ai laissé le soleil à l'autre bout du jour

Je n'ai plus que la nuit pour trouver mon amour

Il y a plus de vingt ans, une journaliste de Marie-Claire - je crois ! - citait la chanson "Petite annonce" d'Alain Souchon pour évoquer L'Heure Bleue. J'étais jeune, romantique et depuis j'ai appris à ne plus me laisser séduire par les mirages du langage journalistique dès lors qu'il s'applique au parfum.
C'est à Rouen que ma mère m'a offert ma première bouteille d'Heure Bleue. J'avais vingt et un ans. La parfumerie de la rue de la Champmeslé existe toujours mais, signe des temps, elle a changé d'enseigne et arbore désormais les couleurs d'une chaîne. Autant dire que ce n'est plus du tout la même chose, mais je ne vais pas me lancer dans une vaine diatribe contre les parfumeries-supermarchés ! C'est dans ce lieu également que j'ai senti pour la première fois Après l'Ondée... L'infidélité déjà en germe !
Je n'en étais pas à mon premier Guerlain. Nahéma et Chamade avaient déjà accompagné mes rêves d'adolescente. L'Heure Bleue était, avec le confidentiel Après l'Ondée, le seul Guerlain que je ne connaissais pas. Je n'étais pas pressée de le découvrir : j'avais lu qu'il était fleuri, doux, suave... tout ce qui m'évoquait la mièvrerie ! C'est dans une parfumerie de la rue Saint-Jean au Touquet que je l'ai senti pour la première fois. Coup de foudre. Des notes florales qui se fondent en un cœur balsamique irrésistible. C'était me semble-t-il ce que je recherchais depuis toujours... Il s'est accroché à la bandoulière de mon sac trois semaines durant. Je le respirais avec extase et incrédulité : j'avais "trouvé". Jusqu'à cet achat rue de la Champmeslé où j'ai pu l'avoir rien qu'à moi et à volonté.
C'est d'abord une bouffée hespéridée, plus ou moins prononcée selon les jours. Ces notes piquantes, épicées s'adoucissent en une composition suave, en effet, mais non dénuée de caractère. Ce que j'aime le plus dans L'Heure Bleue, ce sont les notes héliotrope et benjoin. L'héliotrope miellée me ramène encore à la Normandie, à Saint-Saëns où - bien plus tard - un loustic m'en avait offert chez le fleuriste de la place quatre plants qui n'ont guère survécu... eux non plus :-) ! L'héliotrope, c'est aussi pour moi les jardins de Trianon et la nuée de jardiniers en effervescence dans les parterres. Le benjoin, c'est enfin le baume apaisant, réconfortant qui se love au cœur du parfum. Celui-ci embaume, au sens propre du terme. Pendant des années, il a été mon bouclier contre la laideur et la violence environnantes, mon refuge suprême. Un petit nuage d'Heure Bleue autour de moi, et je ne touchais plus terre. Je pense à ces moments, et je me vois marchant dans l'air figé d'un matin d'hiver. Le froid craquant cristallise les notes poudrées et balsamiques. Mon parfum m'auréole d'un poudroiement presque tangible, grisant tant pour les sens que pour l'esprit.
Trop d'amour tue l'amour - oh je voudrais tant que ce ne soit pas vrai ! Je pourrais dire que L'Heure Bleue s'est chargé d'un affect trop lourd, accumulé en plus de vingt années ! Mais surtout, j'ai évolué, et mes goûts aussi. J'ai quitté la peau de la jeune fille des années 80. J'ai découvert d'autres univers parfumés. En parallèle à cette dés-affection, je trouve depuis quelque temps que l'aspect aldéhydé se fait plus présent. Ceci explique-t-il en partie cela ? Qui a changé, lui ou moi ?
Je ressens maintenant L'Heure Bleue comme un parfum crépusculaire. Il rejoint en cela l'intention de son créateur, Jacques Guerlain. Un cycle s'est accompli. C'est le parfum du temps arrêté, de l'attente. Je voudrais encore l'aimer autant que je l'aimais autrefois. J'en conçois un regret poignant. C'est comme un grand amour. Au fond on sait qu'il est unique. On voudrait encore y croire, parfois. Mais on ne se réchauffe pas au feu de soleils révolus.
Je me suis rendue à l'évidence : le parfum d'une vie n'existe pas... Une idée coriace qui se dilue dans la réalité. Ou dans la vie, tout simplement, dans la loi de l'évolution qui nous pousse en avant, nous fait avancer et nous modèle inlassablement au fil de nos rencontres. Renoncer à l'idée d'éternité parfumée, rassurante certes, mais aussi sclérosante, et se dire que le plus beau reste toujours à venir ?
Oui. Peut-être.
La dernière fois que j'ai porté L'Heure Bleue, c'était la veille de Noël. J'en ressentais le besoin. Mais j'étais un peu triste. Ce n'était plus moi. Seules les notes de fond gardaient leur pouvoir évocateur. Il me parlait du passé, de ma jeunesse. J'avais l'impression de me complaire dans une inutile nostalgie.
Je le hume encore de temps en temps, comme si notre histoire n'était pas finie. Trop forte, trop belle pour avoir définitivement gagné l'ombre. Malgré tout, sa magie n'en finit pas de trouver un écho en moi. Qu'ai-je donc laissé "à l'autre bout du jour" ?

lundi 11 février 2008

Drive me to the Moon

Un lundi de juin 2005. Je rentre de Normandie. J'ai voulu faire un détour par Saint-Saëns. Par nostalgie. Pour me remémorer des lieux que j'aime. Je compte reprendre l'autoroute au Pucheuil. Je m'aperçois que ma bouteille d'eau est vide. Qu'à cela ne tienne, je vais tâcher de rejoindre l'aire autoroutière de Bosc-Mesnil, c'est sur ma route.
Il règne une drôle d'atmosphère sur cette aire. Il y a du monde. Beaucoup de monde. Ça ressemble à un retour de vacances, mais ce n'est pas la saison. J'aperçois alors une Maserati. C'est suffisamment rare pour que j'y prête attention. Ce n'est pas fini. Un signal d'alarme se met à vibrer dans ma tête. Je repère une autre "belle voiture", puis deux, puis trois. Des files entières aux pompes à essence. La concentration au mètre carré de ces bolides est anormale. Que se passe-t-il ? Je n'ai pas bu et n'ai rien fumé de répréhensible. Est-on en train de tourner un film sur la vie de Johnny Hallyday ?
J'essaie de garder mes esprits tandis que je prends au pas la direction du parking, les yeux rivés sur ma droite. J'énumère : une Aston Martin. Des Maserati à la pelle. Des Lotus à bouche-que-veux-tu. Des Porsche comme s'il en pleuvait. Des Caterham à gogo. Des Ferrari en pagaille. Autant d'"aspirateurs à minettes", comme dirait une de mes amies. Qui les a déversées en nombre sur ce coin de Normandie ? Et d'autres, des raretés. Des autos anciennes qui voyagent sur des remorques, fragiles et fascinantes. Toutes sont immatriculées outre-Manche. C'est un embouteillage de cinéma, comme je n'ai jamais osé en rêver. Je ne me tiens plus d'excitation. Je vais, incrédule, me garer à côté d'une Lamborghini Countach. Rouge, évidemment. C'est le modèle le plus spectaculaire de la marque. Basse et redoutable, elle semble prête à bondir : l'immobilité ne lui convient pas. J'ai dû en voir quatre au grand maximum en vingt ans...
Je comprends aux badges apposés sur les pare-brise que ce sont des Anglais qui rentrent des Vingt-Quatre Heures du Mans. Se déplacent-ils toujours en hardes spectaculaires ? Sur l'autoroute, c'est le défilé de ceux qui omettent cette halte. Dommage...
Je n'en peux plus de m'extasier sur toutes ces stunning cars. L'effet de masse est réussi ! J'essaie de ne pas oublier que je suis ici pour acheter une bouteille d'eau. Dans la boutique, des commandos d'Anglais en casquettes aux couleurs d'écuries de course. Je déambule au milieu des voitures qui attendent à la station, dans une symphonie de cylindres. L'odeur me saute au nez, une odeur d'huile chaude qui m'est familière et n'appartient qu'aux autos de sport. Elle m'émeut sans doute plus que les grondements, bruissements et autres vrombissements des moteurs qui s'élèvent en ralentis onctueux et en accélérations tonitruantes. C'est les Vingt-Quatre Heures du Mans auxquelles j'ai assisté plusieurs fois. C'est...
Je reviens dans le présent. Il est assez "occupant" pour cela et m'en met plein les mirettes. Sur le parking je lie la conversation avec un jeune homme venu de Rouen et muni d'un appareil numérique. J'apprends que la même parade a lieu tous les ans, le lundi qui suit les Vingt-Quatre Heures. C'est le passage obligé entre le circuit de la Sarthe et le Tunnel sous la Manche. Il fallait me le dire ! Le jeune homme note mon adresse : il m'enverra un CD de ses photos. Ma mère prend des clichés avec son téléphone mobile : la voiture à côté d'une "Lambo", il faut voir ça !
Et puis, un moment de doute... Ma petite voix intérieure me rappelle que les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence*. C'est probablement le cas des conducteurs de ces engins. Noms légendaires, ailes galbées, jantes XXL, puissances déraisonnables... C'est bien beau tout cela, c'est fabuleux mais... ce ne sont que des voitures. Une voiture, c'est important et pas important. On peut apprécier l'esthétique, le plaisir de conduite, les performances, c'est un fait. On peut narguer le retrait de permis. Certes, le rêve est sans prix. Et ce genre de vision, j'en redemande ! Mais je crois que je vois avant tout dans l'auto un instrument de liberté. Pas un déversoir à vanité. Pas une extension de l'ego. Et si c'est une dépendance, eh bien je la revendique comme telle ! Mais je ne damnerais pas mon âme immortelle pour une voiture.
Je reprends quand même la route à regret. Des bêtes de course me doublent : j'en verrai jusqu'au prochain échangeur. J'ai déjà une idée en tête : revenir l'année prochaine, dans le seul but de contempler les bolides à loisir cette fois ! Et si possible, avec un appareil photo !

* Pierre Daninos

PS : J'y suis retournée l'année suivante. Avec mon zap*, comme en témoignent les photos ! Un peu moins de diversité - je n'ai pas vu de Lamborghini ni de Maserati -, mais une fort belle brochette tout de même... Ce sera peut-être l'objet d'un autre post !
PS 2 : Rendez-vous est pris pour juin prochain.

*Z'Appareil Photo

samedi 9 février 2008

Jamais sans mon rouge

Je m'étais promis d'être légère dans ce blog...
Lille, le stand Mac du Printemps. Je vais encore une fois m'adonner à mon vice. Sitôt arrivée, je me rue en effet sur le présentoir à rouges à lèvres, l'"orgue à couleurs". L'objet exerce toujours sur moi la même fascination. Les tubes sont là, ils m'attendent, tous plus tentateurs les uns que les autres. Et bien sûr, il m'en faut un. Nouveau ou non. Le contraire n'est pas concevable. Je veux voir, toucher, tester. Le dos de ma main est habitué à mes débordements colorés et se prête à ces multiples essais. Neuf fois sur dix je "tape" dans des teintes que je possède déjà, ce qui me confirme la justesse et la pérennité de mes choix ! Mais je suis incapable de résister à l'attrait - à l'appel devrais-je dire - d'une couleur ! En moins d'une minute ma main est un Rothko, un motif vivant que ne renierait pas un guerrier maori. On pourrait relever qu'il y a contradiction entre le côté régressif de ce barbouillage et la féminité qu'est censé représenter le rouge. Mais je ne vais pas trop m'interroger là-dessus ! Tout à ma frénésie et à ma soif de découvertes, je ne vois pas le temps passer. C'est un supplice pour ma mère ou la copine qui m'accompagne. Car une fois plantée en face d'un stand de maquillage, on a beaucoup de mal à me déloger !
Passé cette première sélection vient la phase des essais in vivo, grandeur nature, autrement dit l'heure de vérité ! Il s'agit de se plaire, ou plutôt se déplaire le moins possible. Pas de terne, pas de trop banal, rien qui affadisse ou au contraire accentue des traits tirés... Démaquillage des lèvres, application... Oui, pas mal... Je vais essayer celui-là aussi, tiens... Je demande un avis à la maquilleuse, Charlotte ou Virginie, à ma mère, à ma copine Valérie, toutes habituées à mes frasques rougesques, je m'interroge du regard dans la glace... (C'est au final le rétroviseur intérieur de ma voiture, haut lieu du remaquillage, qui tel le miroir de la méchante reine me donnera son verdict : je saurai alors s'il y a lieu de regretter mon achat ! Généralement non...) Surviendra ensuite le moment crucial, celui où s'opèrera le choix entre plusieurs couleurs, ou entre une couleur et rien du tout ! Hésitations, conciliabules avec moi-même... Je me décide, règle et emporte toute contente ma nouvelle trouvaille.
Rassurez-vous, ce genre de scène n'a pas lieu toutes les semaines ! Il est vrai que je transporte déjà un petit paquet de quelques rouges à lèvres dans mon sac, et j'en ai autant dans un tiroir de ma commode (comment ça, c'est trop ?!). J'aime alterner tout en étant fidèle à certaines nuances. J'ai une préférence pour les couleurs foncées ou pétantes. Des roses profonds, des rouges bleutés, des beiges prune. Un côté un peu goth ne m'effraie pas ! Des couleurs qui laissent une empreinte sur les joues des humains et le nez des chats. Ce que je trouve chez Mac (depuis dix ans !), c'est un poil d'audace et d'originalité, presque toujours. Des couleurs qui n'existent nulle part ailleurs. Et puis surtout, pas d'allergie, pas de picotis désagréables qui me font fuir la plupart des marques. Ainsi Armani, dont je rêvais de découvrir la luxueuse palette, a échoué au test. Tant mieux ! J'aurais sans doute craqué... Pas de préjugés cependant : les grandes surfaces sont des mines, et je regrette beaucoup mes "chéris" que L'Oréal a supprimés de son catalogue...
Pourquoi cet engouement obsessionnel ? Il n'est pas récent. Lèvres nues, je suis blafarde, j'ai l'air malade, je suis une pauvre petite chose qui se fond dans la grisaille ambiante. Le "nude", pas pour moi ! Une couleur qui claque sur mon visage la plupart du temps nu me confère un peu d'assurance avant d'affronter une journée stressante ou simplement terne. C'est ma bannière. C'est pourquoi je prétends que cette collectionnite dont j'ai parfois honte est salutaire !
Résumons-nous. Ce n'est pas une maladie bien méchante (je sais, on trouve toujours des excuses, même à ses pires travers). Ça ne nuit pas à ma santé, et pas trop à mon porte-monnaie. C'est un petit peu de la folie nécessaire au quotidien. Mais surtout mettre du rouge est un plaisir toujours renouvelé et un geste dont je ne me lasse pas. Privilège de fille assumé et poussé à l'extrême, peut-être...
Peut-on puiser un tant soit peu de force dans un rouge comme dans un parfum ? Quand je porte une teinte vive, c'est le moi extérieur qui tire vers le haut le moi intérieur. Je m'affirme, même quand mon ego flanche. Je n'ai pas le droit de démentir l'histoire que racontent mes lèvres...
Que ne ferait-on pas histoire de redorer une petite mine ou un moral en berne si en plus on s'amuse et qu'on arbore une féminité (je n'aime pas trop ce mot mais bon) à forte valeur ajoutée ?
Plutôt rouge que morte !

dimanche 3 février 2008

La petite route

Là-bas

C'est la partie finale de mon itinéraire vers Dieppe, à ne pas confondre avec LA route, qui d'une façon beaucoup plus large commence dès que j'ai franchi le seuil de chez moi.
C'est le moment que j'attends. Celui où on quitte les grands axes pour prendre les chemins qui mènent à la destination attendue. Je déplore au passage que la mythique Nationale 29, la pauvre, ait été déclassée pour d'obscures raisons de gestion, c'est-à-dire de fric. On tourne à droite. Il faut faire attention à ne pas manquer ce carrefour si peu repérable. J'attends cet instant avec fébrilité, car c'est là que je bascule dans un autre univers. Je suis en Normandie. Oh, j'y suis déjà depuis un petit moment, depuis que j'ai franchi le panneau m'indiquant l'entrée dans le département de la Seine-Maritime. Il s'agit d'une frontière administrative, même si symboliquement elle représente beaucoup pour moi. Mais je n'ai pas encore vraiment franchi le seuil... Mais ce n'est pas encore ma petite route...
Dès les premiers mètres, une rivière longe la départementale à gauche. Jaillie de sous un petit pont, c'est l'Eaulne, qui brasse ses bouquets de cresson sauvage. Eaulne, un joli nom, une syllabe et demie grave et mélancolique... Le cours d'eau m'accompagnera un petit moment. Déjà, on est ailleurs. Les colombages, les massifs de fleurs, les prés, les vallons... C'est comme si la saveur de mon environnement changeait, et j'ai beaucoup de mal à définir cette notion. Paysage, lumière, couleurs, odeurs, pensées... Mes Normandie réelle et rêvée sont si étroitement entremêlées que je ne cherche pas à les distinguer. A ce moment elles ne font qu'une, et c'est miraculeux. Je me contente de me laisser bercer, imprégner par cet essaim de sensations.
Au fil des trajets, j'ai appris à bien connaître les villages, les hameaux, les croisements. Ils sont autant de points de repère indispensables, de gradations dans ma progression. Je les aime, ces lieux. Chacun d'eux me rapproche de Dieppe, de la mer. Ils sont toujours hantés par des souvenirs d'allers et de retours. Je passe souvent vers treize heures, l'heure tranquille. Tout paraît paisible, comme oublié. Tout se fait harmonieux, prend sens, jusqu'aux coulées d'arbres qui nappent les côteaux sur ma gauche. J'aime aussi les noms des lieux traversés. Vatierville, Clais, Londinières, Douvrend s'enchaînent dans un ordre immuable, rassurant... On passe au pied de la magnifique collégiale d'Envermeu, mais je me suis jamais arrêtée...
Je me demande parfois si je pourrais me poser dans un de ces villages, y vivre. Un rêve que j'abandonne dix fois et qui m'attend au village suivant, qui ricoche sur chaque lieu au rythme du trajet. Ou simplement, je voudrais m'attarder et je regrette de ne pouvoir le faire. Pourquoi ? Parce que c'est ici que tout se joue et se noue. Parce que ce n'est pas "chez moi". C'est l'entre-deux nécessaire mais fugace, la promesse. Parfois je m'arrête pour une photo, mais je suis toute à ma hâte d'arriver. Je suis vouée à n'être qu'une passante... Et mon regret participe sans doute au charme poignant du voyage...
Deux châteaux d'eau plantés côte à côte m'indiquent l'imminence de l'arrivée. La mer surgit au bout de la route, nue, inaccessible et proche. C'est une barre à l'horizon, parfois à peine distincte du ciel. A chaque fois, mon cœur bat plus vite.
Nationale 29. Le village se nomme Mortemer. On tourne à droite. Dans quarante minutes je serai à Dieppe. Je remercie les petites routes d'exister. Sans elles nous ne connaîtrions pas le bonheur de l'attente.

mardi 29 janvier 2008

Un musc-have



Muscs Koublaï Khan de Serge Lutens, j'en rêvais... Ça devenait même une obsession ! J'en ai pris possession à une table de la Brasserie Paul encore encombrée de reliefs du déjeuner de Nouvel An. Ce parfum, je l'attends depuis neuf ans. Autant dire que je crois l'avoir mérité. Depuis que dans les Salons du Palais-Royal, j'ai été envoûtée par cette nappe de musc qui me rappelle une senteur bien précise : celle d'une trousse de toilette en porc qui appartenait à mon grand-père. Dans la trousse, des flacons vides où persiste une odeur sourde que j'identifierai bien plus tard comme du musc.
Voilà pour la petite histoire. Je ne crois pas que mon grand-père ait jamais porté du musc, ni même utilisé cette trousse...
Je déballe donc le flacon sous le regard amusé d'un Anglais qui doit se demander quelle est cette folle qui s'agite au milieu de ces sacs en papier. Petite déception, le beige et le noir ont remplacé le mauve à liseré violet du cartonnage des premiers temps. Mais c'est un détail trivial ! Je poursuis le déshabillage. La bouteille en forme de cloche jaillit du carton. Une goutte de parfum sur mon poignet. Je suis décontenancée : c'est une note animale (faut-il dire bestiale ?) qui fuse. Le suint de chèvre est ce qui me vient en premier lieu à l'esprit et croyez-moi, je sais ce que ça veut dire, j'ai déjà caressé des chèvres et même donné le biberon à un biquet !
Ah, j'ai fait une erreur en me fiant à mes souvenirs ! Ils ont, le temps aidant, embelli cette fragrance qui n'est pas faite pour moi ! Cette note si peu civilisée, si peu politiquement correcte, s'estompe assez vite cependant. Je trouve que cet aspect cuiré continue à dominer la composition mais d'une façon plus "convenable". Un peu sur l'autre poignet, un peu derrière les oreilles...
Et puis... on s'est apprivoisés.

Mais l'amour a bien des mystères, et la nonne (presque moi ;-), NdA) aima le brigand*...

J'ai retrouvé "mon" musc, celui qui me transporte dans mon enfance, dans le mystère des flacons de la trousse en porc, et beaucoup plus que cela. Ce n'est pas un sent-bon, un jus anodin. C'est un parfum. Il faut l'assumer. Accepter de plaire ou déplaire. De porter quelque chose de différent. Je n'ai pas l'ambition d'en faire une analyse "technique", mais j'aime son élégance un brin années 70 avec sa note cuir, son musc suave et tenace et son fond poudré (où j'arrive maintenant à distinguer la rose). Il se fond longuement et doucement dans la peau. Sa tenue est magistrale et j'ai plaisir à le retrouver au détour d'un col ou dans les plis d'une écharpe. Il oscille entre familiarité et étrangeté - je lui trouve parfois des accents de sébum ou de laque à cheveux ! C'est une main de velours dans un gant de cuir.
Ce que j'aime aussi : pas d'épate, pas de fla-fla autour de ces créations. Rareté, exclusivité ne sont pas des arguments décisifs dans le choix d'un parfum Lutens. On est je crois au-delà de la notion de luxe. Chacun de ses parfums est une évocation, un tableau aux multiples dimensions. On n'est ni dans le passéisme, ni dans l'avant-garde, ni dans la provocation gratuite, infantile. On est, je dirais, dans la poésie, un mouvement de poésie orientaliste qui aurait saisi la parfumerie, ou du moins ce microcosme parfumé qui palpite au cœur du Palais-Royal.

*La légende de la nonne, Victor Hugo

mercredi 23 janvier 2008

Colette de Saint-Saëns




J'aime bien Saint-Saëns. C'est joli, c'est animé. Le vrai bourg normand tel que je me le représente. J'y suis allée pour la première fois au début du XXIème siècle. C'est le mois de juin. Colette et Marcel tiennent le café où le loustic avec qui je sors (on ne citera pas son nom) m'a entraînée dès le premier jour. Le loustic est là comme chez lui, mais il est comme chez lui partout ! C'est un café de village comme tant d'autres j'imagine, le genre d'endroit où j'ai rarement l'occasion de mettre les pieds. Des hommes qui matent. Des blagues en dessous de la ceinture.
C'est le week-end de la Pentecôte. Dans un angle de la salle, la télé diffuse des images de Roland-Garros. Mon accompagnateur reluque l'écran, harangue des connaissances, siffle des ricards. J'aurais envie prendre mes jambes à mon cou s'il n'y avait Colette. Tout de suite, elle m'a à la bonne. Chacune d'un côté du comptoir, on discute. Dans ce monde d'hommes, on s'accroche l'une à l'autre. Ensemble, on fait face à la misogynie. Je découvre une femme très fine, intuitive, réfléchie. Une femme qui a des soucis, aussi. On se trouve des affinités. Je crois qu'elle m'a cernée très vite. Elle connaît le loustic mieux que je ne le connais, mais je n'en sais encore rien. Contrairement à moi, elle ne se fait plus d'illusion à son sujet. Elle sait que la survie de notre couple est des plus aléatoires. Elle cherche à me mettre en garde par des messages subliminaux : "Quoi qu'il arrive, on reste en contact !" Et elle me donne son numéro de téléphone.
J'ai trouvé en elle une alliée, et c'est réciproque. "Je t'adore", me lance-t-elle un jour.
Puis vient une période où les occasions d'aller "là-bas" se font rares. Un Lundi de Pentecôte - un an après -, je vais prendre le café avec ma mère "Chez Colette et Marcel". On parle de nos connaissances communes. Les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. Colette a envie de quitter Marcel, de quitter cette atmosphère délétère.
Le dernier signe d’elle est un message sur mon téléphone mobile, en septembre 2003. Elle devait me rappeler. Ou était-ce à moi de l'appeler, je ne sais plus. Sa vie était en train de changer. Elle avait divorcé. Le café était fermé. Ma vie aussi changeait à ce moment-là. J'étais sur un petit nuage. J'ai perdu son numéro. Je l'ai perdue de vue.
Une fois, je me suis renseignée auprès d'un ou deux commerçants. Ils étaient nouvellement arrivés au village, ils ne savaient pas. Je n'ai pas insisté.

Il y a bien longtemps que je ne suis pas passée à Saint-Saëns. La dernière fois les rideaux du café étaient tirés. Pas un signe de vie dans ce lieu où, comme le chantait Fugain, j'avais laissé un peu de mes amours. Et de mon histoire.
Evoquer ce passé me remue, évidemment. Mais à quoi servirait d'avoir une chambre normande si ce n'est pour y accueillir des amis d'hier et d'aujourd'hui, hein ? Je me suis promis qu'un jour, cette année, j'irais mener mon enquête à Saint-Saëns. Colette m'a-t-elle oubliée ? Aurions-nous des choses à nous dire ?
Zut, j'aimerais bien citer une phrase de Cortazar pour conclure (et faire ma maligne !), mais j'en ai oublié les deux tiers. Ce serait quelque chose comme "en croyant vous parler de Colette, je vous ai en fin de compte parlé de moi". Tout ce qu'on dit revient-il à parler de soi ?
Si je retrouve la citation je la mets ici, promis !
J'espère que tu es heureuse, Colette.

jeudi 17 janvier 2008

Ville d'histoire...

Poser un pied à Rouen, c'est faire un saut dans mon histoire. Archéologie perso à fleur de présent. A la différence près qu'en archéologie, les strates sont bien séparées et qu'à Rouen, elles sont perméables, elles se télescopent, s'interpénètrent. Les souvenirs surgissent et se juxtaposent, non pas en fonction de leur plus ou moins grande ancienneté, mais des associations immédiates de la pensée.
Mes propos corroborent sans doute l'idée répandue que Rouen vit dans et de son passé. Pourtant... J'aime la ville animée, où l'effervescence urbaine côtoie le calme des rues pavées qui vous recueillent quand la circulation des grands axes devient insupportable. Là encore on passe d'une époque à l'autre, comme si on était embarqué dans une machine à remonter le temps. C'est d'ailleurs ce que je fais à Rouen. Je ne ferais que ça s'il n'y avait le présent. Le bonheur de fouler à nouveau un sol aimé. Je retrouve avec plaisir mes petites rues, mes cafés, mes boutiques. L'appel régulier, le timbre des cloches de la cathédrale et du campanile du "Gros". Pour un peu on se croirait en Italie. Bonheur aussi de se laisser porter par ses pas, de marcher à la découverte de l'inconnu, faisant fi des ombres familières qui jaillissent parfois dans une ville que je ne voudrais ni ne pourrais laver des souvenirs.
Rouen, ville grise et bleue comme une "Cathédrale" de Monet. Tant de printemps, tant d'automnes ont passé sur elle et sur moi, sur elle et moi. Tant de soleils révolus et pourtant toujours renouvelés, toujours semblables. C'est la même lumière qui éclaire des jours différents. Mes souvenirs ne tiennent pas compte du temps et des saisons. C'est cette lumière que je retrouve à chaque fois. Quelque chose en moi s'est arrêté ici. Quelque chose que je cherche. Sait-on jamais ce qu'on laisse de soi dans un ailleurs finalement si proche ?
Allons-y, lâchons le grand mot : Rouen n'est-elle pas une ville plus fantasmée qu'expérimentée par les sens et l'esprit, par une vie quotidienne propre à forger des habitudes ? Je n'en sais rien. Sans doute. Un peu. Mais que j'arrête de me flageller, de mettre en question cet élan qui me porte vers la ville !
Rouen est pour moi liée depuis longtemps à ces vers d'Apollinaire :

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais.


Mon bateau est parti mais je suis revenue. Mon ombre me suit, certes, parfois je l'interroge. Elle garde le silence.
Je reviendrai. Le soleil se lèvera toujours sur les quais de la Seine pour arracher de mouvantes étincelles à la surface de l'eau.