Mythifiée par Edward Hopper, qui a su en extraire la solitude foncière, décor d'une scène dramatique dans Duel, la station-service est l'essence, si j'ose dire, du lieu de passage. L'individu y est réduit à une silhouette lacérée par le flou cinétique, vite emportée par le temps et l'asphalte, aussi volatile que les vapeurs de carburant. Life's a gas, chantait Joey Ramone. Gas, c'est le gaz, l'air, la légèreté d'un souffle, mais aussi la gazoline, l'essence. Vache à lait de l'Etat, fluide de liberté et à ce titre indispensable, quel que soit le prix à payer. Le prix de l'évasion et de l'ailleurs.
Il y a quelque temps je déplorais la disparition des pompistes, du coup d'éponge et de raclette sur le pare-brise et du pourliche inhérent à cette rapide mise en beauté. Les stations-service traditionnelles s'éteignent une à une comme des étoiles à l'aube. Pourtant ces haltes obligées représentaient quelques minutes volées au mouvement perpétuel, quelques instants de répit offerts avant de s'élancer à nouveau dans le flot routier. Le "paysage pétrolier" se déshumanise chaque jour un peu plus. J'en suis triste.
Il y avait une de ces stations sur ma route. A Aumale. Aux portes de la Normandie. Elle a fermé - à quel moment ? je ne saurais le dire - et je ne passe jamais devant sans un gros pincement au cœur.
Je m'y arrêtais presque à chaque fois. C'était un rite autant qu'une nécessité. Ça faisait partie du folklore de la route. J'échangeais quelques mots avec le patron ou avec son employé, un jeune homme qui ressemblait à Elijah Wood, l'acteur qui incarne Frodon dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Du coup la fantasy (dont je n'étais pas encore éprise) faisait irruption dans un monde déjà un peu irréel, un monde de l'entre-deux, plein de vie, qui contait des histoires de trajets et d'escales. Je voyais parfois le maître de céans, le chat Merlin à la queue tirebouchonnée. Je crois qu'il y avait d'autres chats, mais seul Merlin se montrait. Arpentant le sol cimenté entre les deux rangées de pompes, il faisait l'inspection des lieux, dont il était la mascotte et l'emblème. Une fois la Tine désaltérée, je reprenais le volant, impatiente. Quelques dizaines de kilomètres nous attendaient encore, ma voiture et moi.
C'était un autre temps.
Il y a quelque temps je déplorais la disparition des pompistes, du coup d'éponge et de raclette sur le pare-brise et du pourliche inhérent à cette rapide mise en beauté. Les stations-service traditionnelles s'éteignent une à une comme des étoiles à l'aube. Pourtant ces haltes obligées représentaient quelques minutes volées au mouvement perpétuel, quelques instants de répit offerts avant de s'élancer à nouveau dans le flot routier. Le "paysage pétrolier" se déshumanise chaque jour un peu plus. J'en suis triste.
Il y avait une de ces stations sur ma route. A Aumale. Aux portes de la Normandie. Elle a fermé - à quel moment ? je ne saurais le dire - et je ne passe jamais devant sans un gros pincement au cœur.
Je m'y arrêtais presque à chaque fois. C'était un rite autant qu'une nécessité. Ça faisait partie du folklore de la route. J'échangeais quelques mots avec le patron ou avec son employé, un jeune homme qui ressemblait à Elijah Wood, l'acteur qui incarne Frodon dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Du coup la fantasy (dont je n'étais pas encore éprise) faisait irruption dans un monde déjà un peu irréel, un monde de l'entre-deux, plein de vie, qui contait des histoires de trajets et d'escales. Je voyais parfois le maître de céans, le chat Merlin à la queue tirebouchonnée. Je crois qu'il y avait d'autres chats, mais seul Merlin se montrait. Arpentant le sol cimenté entre les deux rangées de pompes, il faisait l'inspection des lieux, dont il était la mascotte et l'emblème. Une fois la Tine désaltérée, je reprenais le volant, impatiente. Quelques dizaines de kilomètres nous attendaient encore, ma voiture et moi.
C'était un autre temps.
Je vais toujours, bien sûr, en Normandie. Je traverse Aumale. Aujourd’hui, je "fais de l'essence" dans un supermarché des environs, au prix d'un petit détour. Mais je ralentis toujours devant ma station-service. La boutique où je réglais ma note de carburant et faisais un brin de causette est déserte et les vitres s'empoussièrent.
Je regarde toujours si Merlin n'y est pas.
Life's a gas
So don't be sad cause I'll be there
Don't be sad at all.
Je regarde toujours si Merlin n'y est pas.
Life's a gas
So don't be sad cause I'll be there
Don't be sad at all.
Illustration : Gas, d'Edward Hopper, source : http://www.artchive.com/artchive/H/hopper/gas.jpg.html