mercredi 27 février 2008

Ne (me) reste presque rien...

Voilà, j'ai retrouvé* la citation de Cortázar** dont je vous parlais au sujet de Colette de Saint-Saëns.

En y repensant, Derrida a pleinement raison quand il dit, quand il me dit : Ne (me) reste presque rien, ni la chose, ni son existence, ni la mienne, ni le pur objet ni le pur sujet, aucun intérêt de rien qui soit à rien qui soit. Aucun intérêt, vraiment, car chercher Anabel loin dans le temps c'est tomber encore une fois au fond de moi, et c'est si triste d'écrire sur soi, quand bien même je voudrais continuer à me figurer que j'écris sur Anabel.

Silence.

* Merci Maman ;-) !
**Heures indues
, nouvelles, Gallimard

lundi 25 février 2008

Billet d'Hummer



Je hais les 4 x 4. Non. Haïr est un terme et un sentiment trop fort. La haine est une perte inutile d'énergie. Elle fait plus de mal à soi qu'à ceux qu'on hait. Elle ne mène à rien. Je lui préfère l'ironie... ou l'indifférence ! De plus j'ai passé l'âge des sentiments passionnés, voyons ! Je dirais que je n'aime pas les 4 x 4, leur façon de vampiriser les routes, leur esthétique plus que discutable et leur utilité en ville tout aussi contestable. Ils sont peut-être un signe de réussite. Mais ce ne sont que des voitures. Les gens font ce qui leur plaît et mettent leur amour-propre où ils veulent. Libre à moi de ne pas partager leurs goûts et leurs choix automobiles.
Il existe une exception. Une exception qui me met toujours à la frange du malaise. J'ai nommé le Hummer, grand générateur de passions et de polémiques, souvent présenté comme le symbole d'un capitalisme échevelé, irresponsable, qui n'a cure de l'environnement planétaire.
La première fois que j'ai croisé la route d'un de ces engins, c'était... à Duclair ! Juin 2005. Je remontais péniblement à pied la côte qui mène au Catel, non loin du parking du cimetière. J'ai vu une sorte de blindé haut sur pattes garé sur le bas-côté. Il était jaune Poclain et immatriculé en Lithuanie. Rencontre aussi inattendue qu'insolite. Mon sac à provisions à bout de bras, j'aurais voulu en approcher, mais le propriétaire était sorti du véhicule, une petite fille juchée sur ses épaules, et... D'ailleurs, ai-je réellement eu le désir de le voir de près ? J'étais inhibée par l'étonnement de voir "enfin" le monstre dont j'avais seulement entendu parler. Quelques mois auparavant, je ne savais pas de quoi il s'agissait... L'engin était impressionnant, anguleux, haut, long, large... énorme, à y perdre ses superlatifs et ses hyperboles. Une voiture hypertophiée, un peu comme ces porte-conteneurs géants qui ne ressemblent plus à des bateaux.
Je me suis demandé ce qu'il fichait là et j'ai poursuivi mon chemin, un peu éberluée, pour regagner ma chambre normande d'alors...
J'ai vu quelques autres Hummer depuis. Je les ai entendu gronder et rugir au passage. J'ai appris à les distinguer. Il y a les petits z'Hummer et les gros z'Hummer. Le petit z'Hummer n'est guère plus gros ni spectaculaire qu'un GrosToyo. C'est le H3. Le gros z'Hummer, le plus impressionnant, c'est le H2. C'est que je suis devenue une spécialiste. Les "petits noms" gaga que je leur ai attribués m'aident à désamorcer la charge menaçante de ces véhicules et l'angoisse (si !) qu'ils m'inspirent. L'un d'eux, un "gros" - "fréquente" même ma petite ville et je l'ai croisé - ou suivi ! - à plusieurs reprises sur la route de Lille. Sa présence ici détonne et reste entourée de mystère. Et puis je dois bien me l'avouer, il me fait peur. Il erre comme une créature redoutable et mortifère à laquelle rien ne saurait échapper. Il est un animal prêt à vous agresser, à mordre, à déchirer votre carrosserie et aller vous cueillir, pétrifié d'effroi, au milieux des tôles. Comme le T-rex de Spielberg ! S'il m'arrive de le voir - c'est rare - c'est plus fort que moi, je rentre la tête dans les épaules. Au cas où la bête, la machine de guerre originelle qui sommeille, se réveillerait, comme le camion de Duel qui semble animé d'une vindicte propre à l'égard de sa malheureuse "proie". Encore une référence à Steven ! Jeu de cache-cache terrifiant et délicieux qui pimente un peu ma vie...
Vous l'avez compris, j'éprouve une inexplicable fascination à l'égard des Hummer. C'est la voiture que je déteste aimer. Une peur d'enfant perpétuée ? Peut-être parce qu'on a besoin de monstres pour vivre et alimenter son imaginaire ?
Le bien-penser voudrait qu'on stigmatise ces engins, incarnations du politiquement incorrect, et leurs conducteurs. Chez moi l'indulgence l'emporte presque sur l'irritation. Les défis au raisonnable me séduisent. Tant qu'à faire, autant choisir la démesure... Je reste cependant critique. Je déplore l'ostentation. Mais l'arrogance est-elle dans la machine ou dans l'esprit des hommes ?
Le hideux Hummer H2 n'existe peut-être que pour satisfaire mon besoin de me raconter des histoires, et cela me suffit.

dimanche 17 février 2008

A l'autre bout du jour

Un atomiseur de métal doré, encore aux deux tiers plein, souvenir d'un après-midi normand. Un pschitt sur l'avant-bras, pour m'accorder une petite bouffée de revenez-y. Un parfum qui, après tant d'années, commence à s'altérer, à émettre sur la peau des notes dissonnantes. Serait-ce que

J'ai laissé le soleil à l'autre bout du jour

Je n'ai plus que la nuit pour trouver mon amour

Il y a plus de vingt ans, une journaliste de Marie-Claire - je crois ! - citait la chanson "Petite annonce" d'Alain Souchon pour évoquer L'Heure Bleue. J'étais jeune, romantique et depuis j'ai appris à ne plus me laisser séduire par les mirages du langage journalistique dès lors qu'il s'applique au parfum.
C'est à Rouen que ma mère m'a offert ma première bouteille d'Heure Bleue. J'avais vingt et un ans. La parfumerie de la rue de la Champmeslé existe toujours mais, signe des temps, elle a changé d'enseigne et arbore désormais les couleurs d'une chaîne. Autant dire que ce n'est plus du tout la même chose, mais je ne vais pas me lancer dans une vaine diatribe contre les parfumeries-supermarchés ! C'est dans ce lieu également que j'ai senti pour la première fois Après l'Ondée... L'infidélité déjà en germe !
Je n'en étais pas à mon premier Guerlain. Nahéma et Chamade avaient déjà accompagné mes rêves d'adolescente. L'Heure Bleue était, avec le confidentiel Après l'Ondée, le seul Guerlain que je ne connaissais pas. Je n'étais pas pressée de le découvrir : j'avais lu qu'il était fleuri, doux, suave... tout ce qui m'évoquait la mièvrerie ! C'est dans une parfumerie de la rue Saint-Jean au Touquet que je l'ai senti pour la première fois. Coup de foudre. Des notes florales qui se fondent en un cœur balsamique irrésistible. C'était me semble-t-il ce que je recherchais depuis toujours... Il s'est accroché à la bandoulière de mon sac trois semaines durant. Je le respirais avec extase et incrédulité : j'avais "trouvé". Jusqu'à cet achat rue de la Champmeslé où j'ai pu l'avoir rien qu'à moi et à volonté.
C'est d'abord une bouffée hespéridée, plus ou moins prononcée selon les jours. Ces notes piquantes, épicées s'adoucissent en une composition suave, en effet, mais non dénuée de caractère. Ce que j'aime le plus dans L'Heure Bleue, ce sont les notes héliotrope et benjoin. L'héliotrope miellée me ramène encore à la Normandie, à Saint-Saëns où - bien plus tard - un loustic m'en avait offert chez le fleuriste de la place quatre plants qui n'ont guère survécu... eux non plus :-) ! L'héliotrope, c'est aussi pour moi les jardins de Trianon et la nuée de jardiniers en effervescence dans les parterres. Le benjoin, c'est enfin le baume apaisant, réconfortant qui se love au cœur du parfum. Celui-ci embaume, au sens propre du terme. Pendant des années, il a été mon bouclier contre la laideur et la violence environnantes, mon refuge suprême. Un petit nuage d'Heure Bleue autour de moi, et je ne touchais plus terre. Je pense à ces moments, et je me vois marchant dans l'air figé d'un matin d'hiver. Le froid craquant cristallise les notes poudrées et balsamiques. Mon parfum m'auréole d'un poudroiement presque tangible, grisant tant pour les sens que pour l'esprit.
Trop d'amour tue l'amour - oh je voudrais tant que ce ne soit pas vrai ! Je pourrais dire que L'Heure Bleue s'est chargé d'un affect trop lourd, accumulé en plus de vingt années ! Mais surtout, j'ai évolué, et mes goûts aussi. J'ai quitté la peau de la jeune fille des années 80. J'ai découvert d'autres univers parfumés. En parallèle à cette dés-affection, je trouve depuis quelque temps que l'aspect aldéhydé se fait plus présent. Ceci explique-t-il en partie cela ? Qui a changé, lui ou moi ?
Je ressens maintenant L'Heure Bleue comme un parfum crépusculaire. Il rejoint en cela l'intention de son créateur, Jacques Guerlain. Un cycle s'est accompli. C'est le parfum du temps arrêté, de l'attente. Je voudrais encore l'aimer autant que je l'aimais autrefois. J'en conçois un regret poignant. C'est comme un grand amour. Au fond on sait qu'il est unique. On voudrait encore y croire, parfois. Mais on ne se réchauffe pas au feu de soleils révolus.
Je me suis rendue à l'évidence : le parfum d'une vie n'existe pas... Une idée coriace qui se dilue dans la réalité. Ou dans la vie, tout simplement, dans la loi de l'évolution qui nous pousse en avant, nous fait avancer et nous modèle inlassablement au fil de nos rencontres. Renoncer à l'idée d'éternité parfumée, rassurante certes, mais aussi sclérosante, et se dire que le plus beau reste toujours à venir ?
Oui. Peut-être.
La dernière fois que j'ai porté L'Heure Bleue, c'était la veille de Noël. J'en ressentais le besoin. Mais j'étais un peu triste. Ce n'était plus moi. Seules les notes de fond gardaient leur pouvoir évocateur. Il me parlait du passé, de ma jeunesse. J'avais l'impression de me complaire dans une inutile nostalgie.
Je le hume encore de temps en temps, comme si notre histoire n'était pas finie. Trop forte, trop belle pour avoir définitivement gagné l'ombre. Malgré tout, sa magie n'en finit pas de trouver un écho en moi. Qu'ai-je donc laissé "à l'autre bout du jour" ?

lundi 11 février 2008

Drive me to the Moon

Un lundi de juin 2005. Je rentre de Normandie. J'ai voulu faire un détour par Saint-Saëns. Par nostalgie. Pour me remémorer des lieux que j'aime. Je compte reprendre l'autoroute au Pucheuil. Je m'aperçois que ma bouteille d'eau est vide. Qu'à cela ne tienne, je vais tâcher de rejoindre l'aire autoroutière de Bosc-Mesnil, c'est sur ma route.
Il règne une drôle d'atmosphère sur cette aire. Il y a du monde. Beaucoup de monde. Ça ressemble à un retour de vacances, mais ce n'est pas la saison. J'aperçois alors une Maserati. C'est suffisamment rare pour que j'y prête attention. Ce n'est pas fini. Un signal d'alarme se met à vibrer dans ma tête. Je repère une autre "belle voiture", puis deux, puis trois. Des files entières aux pompes à essence. La concentration au mètre carré de ces bolides est anormale. Que se passe-t-il ? Je n'ai pas bu et n'ai rien fumé de répréhensible. Est-on en train de tourner un film sur la vie de Johnny Hallyday ?
J'essaie de garder mes esprits tandis que je prends au pas la direction du parking, les yeux rivés sur ma droite. J'énumère : une Aston Martin. Des Maserati à la pelle. Des Lotus à bouche-que-veux-tu. Des Porsche comme s'il en pleuvait. Des Caterham à gogo. Des Ferrari en pagaille. Autant d'"aspirateurs à minettes", comme dirait une de mes amies. Qui les a déversées en nombre sur ce coin de Normandie ? Et d'autres, des raretés. Des autos anciennes qui voyagent sur des remorques, fragiles et fascinantes. Toutes sont immatriculées outre-Manche. C'est un embouteillage de cinéma, comme je n'ai jamais osé en rêver. Je ne me tiens plus d'excitation. Je vais, incrédule, me garer à côté d'une Lamborghini Countach. Rouge, évidemment. C'est le modèle le plus spectaculaire de la marque. Basse et redoutable, elle semble prête à bondir : l'immobilité ne lui convient pas. J'ai dû en voir quatre au grand maximum en vingt ans...
Je comprends aux badges apposés sur les pare-brise que ce sont des Anglais qui rentrent des Vingt-Quatre Heures du Mans. Se déplacent-ils toujours en hardes spectaculaires ? Sur l'autoroute, c'est le défilé de ceux qui omettent cette halte. Dommage...
Je n'en peux plus de m'extasier sur toutes ces stunning cars. L'effet de masse est réussi ! J'essaie de ne pas oublier que je suis ici pour acheter une bouteille d'eau. Dans la boutique, des commandos d'Anglais en casquettes aux couleurs d'écuries de course. Je déambule au milieu des voitures qui attendent à la station, dans une symphonie de cylindres. L'odeur me saute au nez, une odeur d'huile chaude qui m'est familière et n'appartient qu'aux autos de sport. Elle m'émeut sans doute plus que les grondements, bruissements et autres vrombissements des moteurs qui s'élèvent en ralentis onctueux et en accélérations tonitruantes. C'est les Vingt-Quatre Heures du Mans auxquelles j'ai assisté plusieurs fois. C'est...
Je reviens dans le présent. Il est assez "occupant" pour cela et m'en met plein les mirettes. Sur le parking je lie la conversation avec un jeune homme venu de Rouen et muni d'un appareil numérique. J'apprends que la même parade a lieu tous les ans, le lundi qui suit les Vingt-Quatre Heures. C'est le passage obligé entre le circuit de la Sarthe et le Tunnel sous la Manche. Il fallait me le dire ! Le jeune homme note mon adresse : il m'enverra un CD de ses photos. Ma mère prend des clichés avec son téléphone mobile : la voiture à côté d'une "Lambo", il faut voir ça !
Et puis, un moment de doute... Ma petite voix intérieure me rappelle que les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence*. C'est probablement le cas des conducteurs de ces engins. Noms légendaires, ailes galbées, jantes XXL, puissances déraisonnables... C'est bien beau tout cela, c'est fabuleux mais... ce ne sont que des voitures. Une voiture, c'est important et pas important. On peut apprécier l'esthétique, le plaisir de conduite, les performances, c'est un fait. On peut narguer le retrait de permis. Certes, le rêve est sans prix. Et ce genre de vision, j'en redemande ! Mais je crois que je vois avant tout dans l'auto un instrument de liberté. Pas un déversoir à vanité. Pas une extension de l'ego. Et si c'est une dépendance, eh bien je la revendique comme telle ! Mais je ne damnerais pas mon âme immortelle pour une voiture.
Je reprends quand même la route à regret. Des bêtes de course me doublent : j'en verrai jusqu'au prochain échangeur. J'ai déjà une idée en tête : revenir l'année prochaine, dans le seul but de contempler les bolides à loisir cette fois ! Et si possible, avec un appareil photo !

* Pierre Daninos

PS : J'y suis retournée l'année suivante. Avec mon zap*, comme en témoignent les photos ! Un peu moins de diversité - je n'ai pas vu de Lamborghini ni de Maserati -, mais une fort belle brochette tout de même... Ce sera peut-être l'objet d'un autre post !
PS 2 : Rendez-vous est pris pour juin prochain.

*Z'Appareil Photo

samedi 9 février 2008

Jamais sans mon rouge

Je m'étais promis d'être légère dans ce blog...
Lille, le stand Mac du Printemps. Je vais encore une fois m'adonner à mon vice. Sitôt arrivée, je me rue en effet sur le présentoir à rouges à lèvres, l'"orgue à couleurs". L'objet exerce toujours sur moi la même fascination. Les tubes sont là, ils m'attendent, tous plus tentateurs les uns que les autres. Et bien sûr, il m'en faut un. Nouveau ou non. Le contraire n'est pas concevable. Je veux voir, toucher, tester. Le dos de ma main est habitué à mes débordements colorés et se prête à ces multiples essais. Neuf fois sur dix je "tape" dans des teintes que je possède déjà, ce qui me confirme la justesse et la pérennité de mes choix ! Mais je suis incapable de résister à l'attrait - à l'appel devrais-je dire - d'une couleur ! En moins d'une minute ma main est un Rothko, un motif vivant que ne renierait pas un guerrier maori. On pourrait relever qu'il y a contradiction entre le côté régressif de ce barbouillage et la féminité qu'est censé représenter le rouge. Mais je ne vais pas trop m'interroger là-dessus ! Tout à ma frénésie et à ma soif de découvertes, je ne vois pas le temps passer. C'est un supplice pour ma mère ou la copine qui m'accompagne. Car une fois plantée en face d'un stand de maquillage, on a beaucoup de mal à me déloger !
Passé cette première sélection vient la phase des essais in vivo, grandeur nature, autrement dit l'heure de vérité ! Il s'agit de se plaire, ou plutôt se déplaire le moins possible. Pas de terne, pas de trop banal, rien qui affadisse ou au contraire accentue des traits tirés... Démaquillage des lèvres, application... Oui, pas mal... Je vais essayer celui-là aussi, tiens... Je demande un avis à la maquilleuse, Charlotte ou Virginie, à ma mère, à ma copine Valérie, toutes habituées à mes frasques rougesques, je m'interroge du regard dans la glace... (C'est au final le rétroviseur intérieur de ma voiture, haut lieu du remaquillage, qui tel le miroir de la méchante reine me donnera son verdict : je saurai alors s'il y a lieu de regretter mon achat ! Généralement non...) Surviendra ensuite le moment crucial, celui où s'opèrera le choix entre plusieurs couleurs, ou entre une couleur et rien du tout ! Hésitations, conciliabules avec moi-même... Je me décide, règle et emporte toute contente ma nouvelle trouvaille.
Rassurez-vous, ce genre de scène n'a pas lieu toutes les semaines ! Il est vrai que je transporte déjà un petit paquet de quelques rouges à lèvres dans mon sac, et j'en ai autant dans un tiroir de ma commode (comment ça, c'est trop ?!). J'aime alterner tout en étant fidèle à certaines nuances. J'ai une préférence pour les couleurs foncées ou pétantes. Des roses profonds, des rouges bleutés, des beiges prune. Un côté un peu goth ne m'effraie pas ! Des couleurs qui laissent une empreinte sur les joues des humains et le nez des chats. Ce que je trouve chez Mac (depuis dix ans !), c'est un poil d'audace et d'originalité, presque toujours. Des couleurs qui n'existent nulle part ailleurs. Et puis surtout, pas d'allergie, pas de picotis désagréables qui me font fuir la plupart des marques. Ainsi Armani, dont je rêvais de découvrir la luxueuse palette, a échoué au test. Tant mieux ! J'aurais sans doute craqué... Pas de préjugés cependant : les grandes surfaces sont des mines, et je regrette beaucoup mes "chéris" que L'Oréal a supprimés de son catalogue...
Pourquoi cet engouement obsessionnel ? Il n'est pas récent. Lèvres nues, je suis blafarde, j'ai l'air malade, je suis une pauvre petite chose qui se fond dans la grisaille ambiante. Le "nude", pas pour moi ! Une couleur qui claque sur mon visage la plupart du temps nu me confère un peu d'assurance avant d'affronter une journée stressante ou simplement terne. C'est ma bannière. C'est pourquoi je prétends que cette collectionnite dont j'ai parfois honte est salutaire !
Résumons-nous. Ce n'est pas une maladie bien méchante (je sais, on trouve toujours des excuses, même à ses pires travers). Ça ne nuit pas à ma santé, et pas trop à mon porte-monnaie. C'est un petit peu de la folie nécessaire au quotidien. Mais surtout mettre du rouge est un plaisir toujours renouvelé et un geste dont je ne me lasse pas. Privilège de fille assumé et poussé à l'extrême, peut-être...
Peut-on puiser un tant soit peu de force dans un rouge comme dans un parfum ? Quand je porte une teinte vive, c'est le moi extérieur qui tire vers le haut le moi intérieur. Je m'affirme, même quand mon ego flanche. Je n'ai pas le droit de démentir l'histoire que racontent mes lèvres...
Que ne ferait-on pas histoire de redorer une petite mine ou un moral en berne si en plus on s'amuse et qu'on arbore une féminité (je n'aime pas trop ce mot mais bon) à forte valeur ajoutée ?
Plutôt rouge que morte !

dimanche 3 février 2008

La petite route

Là-bas

C'est la partie finale de mon itinéraire vers Dieppe, à ne pas confondre avec LA route, qui d'une façon beaucoup plus large commence dès que j'ai franchi le seuil de chez moi.
C'est le moment que j'attends. Celui où on quitte les grands axes pour prendre les chemins qui mènent à la destination attendue. Je déplore au passage que la mythique Nationale 29, la pauvre, ait été déclassée pour d'obscures raisons de gestion, c'est-à-dire de fric. On tourne à droite. Il faut faire attention à ne pas manquer ce carrefour si peu repérable. J'attends cet instant avec fébrilité, car c'est là que je bascule dans un autre univers. Je suis en Normandie. Oh, j'y suis déjà depuis un petit moment, depuis que j'ai franchi le panneau m'indiquant l'entrée dans le département de la Seine-Maritime. Il s'agit d'une frontière administrative, même si symboliquement elle représente beaucoup pour moi. Mais je n'ai pas encore vraiment franchi le seuil... Mais ce n'est pas encore ma petite route...
Dès les premiers mètres, une rivière longe la départementale à gauche. Jaillie de sous un petit pont, c'est l'Eaulne, qui brasse ses bouquets de cresson sauvage. Eaulne, un joli nom, une syllabe et demie grave et mélancolique... Le cours d'eau m'accompagnera un petit moment. Déjà, on est ailleurs. Les colombages, les massifs de fleurs, les prés, les vallons... C'est comme si la saveur de mon environnement changeait, et j'ai beaucoup de mal à définir cette notion. Paysage, lumière, couleurs, odeurs, pensées... Mes Normandie réelle et rêvée sont si étroitement entremêlées que je ne cherche pas à les distinguer. A ce moment elles ne font qu'une, et c'est miraculeux. Je me contente de me laisser bercer, imprégner par cet essaim de sensations.
Au fil des trajets, j'ai appris à bien connaître les villages, les hameaux, les croisements. Ils sont autant de points de repère indispensables, de gradations dans ma progression. Je les aime, ces lieux. Chacun d'eux me rapproche de Dieppe, de la mer. Ils sont toujours hantés par des souvenirs d'allers et de retours. Je passe souvent vers treize heures, l'heure tranquille. Tout paraît paisible, comme oublié. Tout se fait harmonieux, prend sens, jusqu'aux coulées d'arbres qui nappent les côteaux sur ma gauche. J'aime aussi les noms des lieux traversés. Vatierville, Clais, Londinières, Douvrend s'enchaînent dans un ordre immuable, rassurant... On passe au pied de la magnifique collégiale d'Envermeu, mais je me suis jamais arrêtée...
Je me demande parfois si je pourrais me poser dans un de ces villages, y vivre. Un rêve que j'abandonne dix fois et qui m'attend au village suivant, qui ricoche sur chaque lieu au rythme du trajet. Ou simplement, je voudrais m'attarder et je regrette de ne pouvoir le faire. Pourquoi ? Parce que c'est ici que tout se joue et se noue. Parce que ce n'est pas "chez moi". C'est l'entre-deux nécessaire mais fugace, la promesse. Parfois je m'arrête pour une photo, mais je suis toute à ma hâte d'arriver. Je suis vouée à n'être qu'une passante... Et mon regret participe sans doute au charme poignant du voyage...
Deux châteaux d'eau plantés côte à côte m'indiquent l'imminence de l'arrivée. La mer surgit au bout de la route, nue, inaccessible et proche. C'est une barre à l'horizon, parfois à peine distincte du ciel. A chaque fois, mon cœur bat plus vite.
Nationale 29. Le village se nomme Mortemer. On tourne à droite. Dans quarante minutes je serai à Dieppe. Je remercie les petites routes d'exister. Sans elles nous ne connaîtrions pas le bonheur de l'attente.