Quand on évoque mon métier d'écrivain public, on me demande souvent si j'ai écrit des lettres d'amour. C'est là un objet de curiosité récurrent. En d'autres termes, ai-je joué les Cyrano, me suis-je glissée dans la peau d'un autre pour déclarer ma flamme à des hommes et des femmes dont je n'avais que faire ?
Si une lettre d'amour, c'est un torrent incandescent, un verbe qui incendie, l'expression d'une passion dévorante ou dans un registre plus soft un chapelet de petits mots doux, alors non, je n'ai jamais, dans le cadre professionnel du moins, procédé à cet exercice.
Si c'est exprimer un regret ou un remords, désirer la réconciliation, implorer le retour de l'autre, alors, oui, j'ai écrit des lettres d'amour. J'ai rédigé des confessions pour des cœurs errants que leur bien-aimée avait, pour une raison ou une autre, fuis. Des hommes, toujours, qui jugeaient sans doute une femme mieux à même de "trouver les mots".
Pas question bien sûr de trahir les clients qui ont placé leur confiance en moi, souvent en désespoir de cause. Je ne peux que respecter leur courage. Ils ont sonné à ma porte, m'ont écrit, nous nous sommes parlé. Ils m'ont livré des confidences. Ils m'ont demandé conseil. Ils m'ont prise à témoin, m'ont embarquée dans une histoire qui n'était pas la mienne mais dans laquelle je me suis, par la force des choses, investie. "Qu'en pensez-vous, en tant que femme ?". Question qui s'ouvrait comme un gouffre : sans fond, sans réponse possible. Quels sont les mots qui susciteraient chez moi la réflexion, provoqueraient un déclic ? Étrangement, aucun ne me venait à l'esprit. Sur le papier, il fallait donc déployer professionnalisme et imagination, et combler un vide...
Sur le fond et la forme, je me suis conformée à la volonté de mes clients. Je me suis bien gardée de leur dévoiler mon pessimisme quant à leurs chances de succès. S'il existait un secret, une recette, une formule magique, ça se saurait. Je ne suis pas sûre qu'eux-mêmes, en leur for intérieur, y croyaient. Mais il fallait le faire, passer par cette étape de leur histoire. Je pense que ces gens attendaient de moi plus qu'un service : une écoute, un réconfort, un espoir. Ces lettres étaient avant tout des actes symboliques, qui cristallisaient leurs sentiments et leur attente et leur permettaient de se libérer. Ce qui devait être dit allait être dit. C'était leur dernière chance.
Sur le fond et la forme, je me suis conformée à la volonté de mes clients. Je me suis bien gardée de leur dévoiler mon pessimisme quant à leurs chances de succès. S'il existait un secret, une recette, une formule magique, ça se saurait. Je ne suis pas sûre qu'eux-mêmes, en leur for intérieur, y croyaient. Mais il fallait le faire, passer par cette étape de leur histoire. Je pense que ces gens attendaient de moi plus qu'un service : une écoute, un réconfort, un espoir. Ces lettres étaient avant tout des actes symboliques, qui cristallisaient leurs sentiments et leur attente et leur permettaient de se libérer. Ce qui devait être dit allait être dit. C'était leur dernière chance.
J'ai fait mon métier du mieux que j'ai pu, comme toujours. Il s'agissait d'entendre une demande mais surtout une souffrance. Je ne pouvais la transcrire telle quelle, dans sa brutalité : elle aurait semblé, au destinataire, effrayante, telle une menace. Car l'amour meurtri fait peur. C'est du TNT. Et pourtant. Ces lettres étaient des cris sous la forme de chuchotements. Je n'en ai pas pleuré, mais j'ai été touchée, des souvenirs enfouis ont refait surface. Comment ne pas verser dans ces écrits une part de subjectivité, et une part d'expérience, comme en réponse à une requête formulée à demi-mot ?
J'ai réalisé ces "prestations" de loin en loin. Elles se sont faites rares ces dernières années. SMS et e-mails ont peut-être pris le relais... A moins que les mots, dans les couples désunis, n'aient fait place au silence... Je ne regrette pas ces "courriers du cœur". Leur élaboration n'est pas franchement une partie de plaisir, et il me semble avoir outrepassé, en mettant quelque peu de côté un devoir de neutralité impossible à respecter, les limites de ma profession. Des individus blessés ont vu en moi un intercesseur et, qui sait, une magicienne capable de toucher, sinon ramener, le cœur éloigné, par la force du Verbe. Hélas, je n'ai pas accompli de miracles. En tout cas, on ne m'en a rien dit. Mais j'ai été, plus que dans d'autres circonstances peut-être, amenée à interroger le pouvoir des mots.