samedi 29 août 2009

La bête et la Bête

L'été tire à sa fin. C'est le moment où les araignées viennent chercher quelque chaleur dans les maisons. Pas des faucheux graciles, pas des épeires rondelettes mais peu impressionnantes, mais d'énormes araignées aux pattes immenses et au corps de la taille de l'ongle d'un pouce.
Je me suis trouvée nez à nez avec l'une d'elles l'autre soir, dans ma chambre, au moment de me coucher. Médusée, aussi incapable de fuir que d'agir, je ne pouvais détacher mes yeux de la bête dans son ascension hésitante, ses longues pattes s'étirant lentement sur le mur en d'affreuses enjambées. Par ailleurs je ne voudrais pour rien au monde occire une de ces bestioles.
Il ne me restait plus qu'à tenter une incantation à l'Etoile d'Eärendil, la Bien-Aimée des Elfes. C'est censé les effrayer et les tenir à distance. C'est encore plus efficace si on brandit la Fiole de Galadriel, qui emprisonne la lumière de cet astre et chasse toutes ténèbres. La preuve, ça se passe comme ça dans le film, quand Frodon et Sam sont aux prises avec Arachné ! Las ! Point de cadeau elfique en ma possession ! La formule a pourtant semblé faire effet : le monstre est allé se cacher. Je ne sais où, c'est bien là le problème...
J'ai donc laissé ma compagne nocturne à ses évolutions murales, tant que celles-ci demeurent invisibles. Mais j'ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil.
Vous comprendrez qu'il me fallait immortaliser la scène en jouant du crayon (et surtout de la gomme). Vous pourrez ainsi admirer mes talents de dessinatrice et ma magnifique robe de chambre à fleurs ! Et noter une fois de plus combien la lecture de Tolkien m'a marquée...

vendredi 28 août 2009

Le prochain amour 2


Les souvenirs qui me traversent
Sont des aiguilles qui me transpercent
Des aiguilles de séquoia
Plantées jusqu'au bout de mes doigts

J'ai connu fort peu de coups de foudre en matière de parfum. Trois en vingt-quatre ans, c'est tout dire... Le dernier est tout récent. A vrai dire je ne croyais plus à ce genre d'événement, même si je l'espérais encore.
Ainsi, le titre n'est pas exact ! J'avais parlé l'an dernier de mes hésitations devant trois parfums parmi lesquels je ne savais choisir mon prochain compagnon. Tous trois me plaisaient assez sans qu'aucun fasse le pas décisif vers moi. C'était plutôt tiède. Au fond de moi j'attendais toujours la révélation. L'amour. Au présent, pas au futur.
C'est l'effet qu'a eu sur moi Fille en Aiguilles, la dernière création "grand public" de Serge Lutens. Une seule bouffée sur le bras m'a entraînée bien loin du stand Shiseido du Printemps. C'était quelque chose de vibrant, profond, quelque chose qui me parlait, instantanément. J'ai d'abord été frappée par un encens sombre, opulent. Il s'étoile de larmes de résine de pin qui s'échauffent sur la peau et se déploient en lentes volutes. Au plaisir que j'ai ressenti se sont ajoutées des images précises, et qui dit images dit émotions, souvenirs vivants, présents : l'intérieur d'une église romane (ah, le "myrrhon" humé à l'abbaye de Blanchelande ! Et les bancs cirés de l'église de Gerberoy...) et les bonbons des Vosges. Et le "Contre-Coup" de l'Abbé Perdrigeon, qui faisait merveille appliqué en compresses sur les bosses et les ecchymoses (il devait contenir du benjoin à l'époque mais sa formule a changé). Il y en avait toujours un flacon dans le frigo quand j'étais petite. Dans le registre proprement parfumesque, j'ai aussi pensé à mon Eau Trois, que Diptyque a traîtreusement rayé de son catalogue. Mais les notes encens et térébenthine de ce dernier sont plus froides, plus désincarnées. Si L'Eau Trois est une abbatiale destinée à recevoir les prières les plus élevées, Fille en Aiguilles est une cathédrale aux larges bas-côtés accueillants. La lumière des cierges y réchauffe la pénombre. Il est chaleureux, enveloppant.
Cette capacité d'évocation est pour moi caractéristique des créations de Serge Lutens, ce magicien. La plupart sont plus que des parfums : des atmosphères, mais surtout des supports, des ailes pour la mémoire...
Enfin, dans le nom j'aime assez l'image d'une sylphe, mi-humaine mi-végétale (qui a dit un Ent ??!!) ou, peut-être, d'une Elfette attachée à sa forêt, aimant à parcourir les derniers lieux sauvages du monde. Je tombe sur cette phrase dans Le Seigneur des Anneaux : "the deep resin-scented darkness of the trees". Elle me semble correspondre à ce parfum : l'obscurité profonde à la senteur de résine des arbres.
Ah, si je pouvais photographier cette odeur ! Ce serait à la fois, si c'est possible, un feu de bois crépitant et un crépuscule d'été à la lisière d'une pinède. Un soir paisible à l'écoute de la vie qui palpite sous l'écorce d'un grand séquoia.
Fille en Aiguilles, c'est une rencontre.

PS : et, bien sûr, il me le faut !


Photo : séquoia, Kings Canyon National Park, USA.
Avec l'aimable autorisation d'Andrew Hecht

jeudi 27 août 2009

Mewcomer (nouveau velu)


Frodon de la Comté, celui qui a vu... l'Oeil !

6 juin 2009...
La première image, ça pourrait être celle-là : un arrière-train de chat dépassant d'un pot de fromage blanc (dont mes pensionnaires sont friands autant que leur humaine) sur le sol de la cuisine. Ce qui est, je vous l'accorde, insolite.
Le demi-chat file dès qu'il perçoit une présence près de lui, les moustaches constellées de fromage blanc.
L'intrus - qui comporte aussi des pattes de devant et une tête - est un tout petit chat noir et blanc aux yeux cuivrés. Il est très timide. Impossible de l'approcher à moins de trois mètres : il détale à la moindre tentative. Il accepte la nourriture et en redemande ! Il sait manger comme un grand : il peut avoir deux mois...
Au bout de quelques jours il quitte la buanderie pour prendre ses quartiers dans mon bureau. Toujours aussi sauvage, l'animal ! Pas même question de lui effleurer le dos ! Ingrat !
Est-ce une fille, un garçon ? Phase aigüe de tolkienite oblige (le mal, je le crains, s'est chronicisé) il est décidé de le baptiser Frodon. Je vois et j'entends d'ici les puristes sauter au plafond : le Frodo initial de JRRT n'aurait pas dû être francisé par le traducteur. Tant pis ! Le prénom de Frodon a été popularisé par les films de Peter Jackson, pas grand-monde n'y trouvera à redire (et re- les puristes qui s'insurgent et me font les gros yeux). Pour le "genre", on avisera une fois la "vérification" faite (si c'est possible un jour).

Petit à petit, nous nous apprivoisons mutuellement. Après deux bonnes semaines, Frodon se laisse approcher, puis caresser. De plus il ne sera pas débaptisé : c'est bien un garçon !
Adopté par mes autres chats, il a pris sa place dans la maisonnée. Je crois qu'il avait choisi SA maison : en arrivant ici, il savait ce qu'il faisait. Dès lors je n'avais plus mon mot à dire. Comment a-t-il trouvé son chemin, je n'en sais rien. Guidé par quelque personnage fantastique?...
Quoi qu'il en soit, ce sont toujours ces idiots d'humains qui se laissent avoir et se plient à la volonté des chats...

mercredi 26 août 2009

Quelques mots d'hommage

Il n'y a pas que les chats qui nous quittent. Le vent du nord, cette fois encore, n'apporte pas une bonne nouvelle, et il est dit que ce blog prendra une fois de plus la forme d'un chant d'adieu.
J'ai appris lundi la disparition du patron de La Chicorée Patrick Buret.
Depuis deux ans et demi, j'ai fait de La Chicorée, brasserie toujours animée, mon point de chute à Lille. Certes, il y a eu des infidélités, mais j'y revenais toujours, pour déjeuner avec ma mère ou des amis, ou prendre un café (un bon café en général).
A force de voir nos têtes, le "patron" (il était en fait directeur d'exploitation de six restaurants lillois) a commencé à nous saluer. Puis ce furent poignée de mains et échange de quelques mots sur le boulot, la pluie et le beau temps... Un homme souriant, affable, discret, manifestement soucieux de la satisfaction et du bien-être de sa clientèle. Un bel homme, ce qui ne gâtait rien. Nous étions sensibles à cet accueil, nous nous sentions quelque peu "privilégié(e)s".

Pour moi, c'est un point de repère qui disparaît, et Dieu sait si je suis attachée à mes "racines" lilloises. Je n'aime pas qu'on touche à mon "environnement". Surtout de cette façon...
Me vient à l'esprit cette citation de Vialatte (pas trop estropiée j'espère) : "Comme disait je ne sais plus qui, 'il y a trop de gens qui se mêlent de vivre'. Malheureusement il y en a aussi trop qui se mêlent de mourir".
Plus le temps passe et plus je me demande quels sont les "critères de sélection" de la Faucheuse. Contre toute attente, elle s'est mêlée trop tôt de la vie de Patrick Buret.
Ce ne sera plus jamais pareil à La "Chico".
Adieu, Monsieur Buret. Nous ne vous oublierons pas.

jeudi 13 août 2009

La boîte à poissons



Combien de fois ai-je rêvé sur des cartes routières.
Longtemps j'ai été le copilote de ma mère au cours de nos pérégrinations automobiles à travers la France, chargée de "repérer le terrain" et de guider la conductrice.
Je me suis rendue virtuellement en des lieux où je n'étais jamais allée. Où je n'irais jamais. J'ai étudié mes itinéraires. Surtout qu'il y a un peu plus de 25 ans quelques années, j'étais persuadée que je ne décrocherais jamais le permis, et qu'il me faudrait renoncer à l'autonomie, à la liberté - celle de prendre le volant pour aller où je voulais, et atteindre ces destinations lointaines. (Je l'ai obtenu "du premier coup" pourtant, mais n'y croyais pas, alors même que l'inspecteur agitait la feuille tant convoitée, le passeport pour l'évasion, sous mon nez.) Mais telle est la force de l'imagination que ces voyages ont - provisoirement - étanché mon désir d'ailleurs. Et puis, ce n'était pas tellement le but qui comptait, mais la route...
L'obtention du papier rose n'a pas changé grand-chose, finalement. Je rêve toujours, tel le grand voyageur devant sa mappemonde (à une autre époque).
Maintenant il y a le GPS. J'appelle ça "une boîte à poissons". C'est que j'ai trouvé cette dénomination métaphorique dans un roman de Connelly, où le propriétaire d'un yacht, qui loue son bateau à la journée à des amateurs de pêche, a enregistré dans son GPS les coordonnées des emplacements les plus poissonneux. Quels poissons fourre-t-on dans son GPS ? Quelles destinations ? On lui demande, comme à un oracle, le plus court chemin d'un point à un autre. Et on attend que tombe sa réponse. Car la chose vous parle ! Le voyage est rationalisé. On écoute sagement les indications énoncées par la "boîte". On ne quitte pas les sentiers battus. On ne s'expose point à ce qui pourrait leur être étranger. A la tentation du chemin des écoliers.
Moi, la boîte, j'aurais envie de l'envoyer promener. J'aurais moyennement confiance.
Mais l'époque est pragmatique.
Naguère on avait recours aux cartes. On préparait, crayon en main, son itinéraire. On envisageait la possibilité d'un détour pour visiter quelque chapelle ou admirer quelque manoir signalé par un petit rectangle blanc, symbole qui semblait vous faire signe, vous appeler. "Viens me voir, je suis depuis longtemps oublié, dans ma campagne reculée, je voudrais que des yeux neufs me découvrent : je leur montrerai ma beauté." La route se déroulait dans votre tête, avant de le faire sous vos pneus. Elle recelait une part d'imprévu, d'inconnu. Ces lignes bordées de vert étaient des chemins vicinaux. Ces lignes bleues, des rivières. Ces zones ombrées de brun, des collines ou des montagnes. Devant vous l'espace se déployait. C'était une boîte à rêves, pas à saumons ou à dorades.
Passéiste, moi ? J'espère ! Peut-être...
La carte est sans doute une des premières formes de représentation. Un reflet fidèle de notre univers, proche ou lointain. Elle est surtout un lieu symbolique, une façon d'appréhender le monde, de l'apprivoiser. A présent on nous met le monde directement sous les yeux, sans intermédiaire, sans recul. Nous voulons la rapidité et l'efficacité, en un mot la per-for-mance, cette divinité implacable objet d'un culte suspect. Le GPS a tué la poésie, l'imprévu. Il est la lettre, la carte est l'esprit. Où est la liberté de l'esprit de vagabonder, d'imaginer ?
Lire une carte, c'est voyager.
Comme me le disait voici quelques années un pilote de Seine : "On a beau disposer à bord de toutes sortes de machines de détection, seul le cerveau a la capacité d'anticiper". Qu'ajouter à ça ?
J'ai plein de cartes routières chez moi. Certaines sont très vieilles et ont bien "vécu". Je les garde précieusement, de même que les atlas de mon grand-père. De nouvelles routes ont poussé, des paysages ont changé. Mais comme pour toute lecture, ces feuillets pliés en accordéon se sont imprégnés de rêves récents et anciens. Je les parcours souvent pour me remémorer mes trajets passés ou en préparer d’autres.
Car si la carte n'est pas le territoire, elle en est l'indispensable avant-goût.

J'espère que mes amis utilisateurs de GPS ne m'en voudront pas :-) !