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mardi 12 février 2019

L'Amie prodigieuse



Si mon titre reprend celui d'une suite romanesque à succès, c'est un peu par paresse intellectuelle. Mais surtout parce qu'Armoise, la chatte, est une Amie. Et qu'elle est prodigieuse.
Rescapée d'un incendie, elle a été retenue quinze longs mois chez la dame à qui ma mère et moi l'avions confiée, en même temps qu'Arwen. L'été dernier, j'ai dû batailler pour la récupérer et finalement hausser sérieusement le ton, sourde aux vociférations de la dame en question qui, pour des raisons tout à fait farfelues, refusait de me la rendre. Mais je bénéficiais de la complicité de son gendre, habitué (et insensible !) aux caprices et bizarreries de sa belle-doche. Arwen avait rejoint le Paradis des Chats au cours de sa captivité, je l'appris ce jour-là - c'était le 1er août 2018. A peine le pied posé dans la pièce où vivaient une dizaine de chats privés de liberté, j'ai vu Armoise, "la Loutre". Perchée sur un meuble, elle me tournait le dos. J'avais si peur qu'elle m’ait oubliée après une si longue séparation. J'ai murmuré "Mon Armoise". Elle a émis un petit miaulis et m'a regardée. Armoise. J'ai pu la prendre dans mes bras et la serrer - pas trop fort, les chats n'appréciant pas outre-mesure les effusions débordantes -, l'embrasser, lui dire des mots tendres à l'oreille et répéter son nom. "Mon Amie Douce", "Ma Chérie Douce", "ma Tendresse" : autant de mantras qui participaient de notre relation quasi fusionnelle d'avant le cataclysme. Elle ronronnait. Elle paraissait en bonne santé - je la trouvais même un peu grossie. J'en pardonnais presque sa folle vindicte et ses cris de démente à la Thénardier abusivement rétentrice des chats d'autrui. J'avais retrouvé Armoise. Elle m'avait retrouvée. Patiente, et d'une bouleversante fidélité...
Je l'ai vivement embarquée dans son panier de transport.
Elle est revenue vivre avec moi, Fanchette et sa progéniture, Socrate et Xénon, nés en exil. Nous avons très vite - le temps d'une inspection circonspecte des lieux - renoué avec nos habitudes, même si bien des choses avaient changé...
J'ignore si elle a souffert de la séparation. Oui, sans doute, et sans doute autant que ma mère, qui n'était pas là pour l’accueillir, et moi...
Aujourd'hui Armoise est à moitié normande. (Moi je suis à moitié nomade 😉) Elle s'est approprié son nouveau domaine, à commencer par la maison. Après quelques frictions avec le maître de céans, Khéops le Noir, la paix semble rétablie. Lorsque j'ouvre la porte de mon bureau, je la trouve allongée à un mètre de là. Elle m'attend. Et j'ose enfin la laisser sortir pour des balades ou des explorations du territoire, un luxuriant jardin à flanc de coteau. Les premières fois je l'avais munie, la pauvre, d'un harnais attaché à une laisse. Las, la belle avait d'autres ambitions que ces courtes virées frustrantes. Ce qui devait arriver arriva : elle tira sur la laisse et se défit du harnais en un clin d’œil pour prendre ses pattes à son cou et disparaître dans la nature, au grand affolement de ses humains. Moi qui avais cru en l'harnais du salut... Trois-quarts d'heure après son évasion, Armoise est revenue. Satisfaite. A présent, elle m'accompagne lorsque je sors dans le jardin. Primesautière, mais tout odorat et tout ouïe. Et, où que je sois, elle accourt vers moi lorsque je m'accroupis et l'appelle doucement. On a tort de ne pas faire confiance aux chats. On a tort de ne pas faire confiance à un être qu'on aime et qui nous aime.
Son bonheur est le mien.
En Normandie, Armoise, la Loutre, l'Amie Douce et, oui, prodigieuse, après avoir subi, comme son frère et ses sœurs félins moins chanceux, les rigueurs et l'absurdité de l'exil forcé, a recouvré son indépendance et reconquis son statut de chat libre.

 
 Je t'observe...
 Une patte étendue, une pose de star...
 Le doigt blanc... 
                       

Dans "son" bureau normand
 

 La Redoutable...


Merci à A., l'Ami prodigieux...

mardi 25 octobre 2016

A la poursuite d'Octobre Roux (cat hunt)

 
 Vous êtes bien sérieux, jeune homme !

 En flagrant délit de grignotage ?

 Toumaï, chat cul-de-jatte ?

Samedi 25 octobre 2014. Je sors de chez mon bon docteur. Son cabinet est situé à l'autre bout de la ville ; j'ai ma voiture et suis garée sur une vaste place toute proche, bordée de hautes maisons bourgeoises d'inspiration hispano-mauresque. Le quartier, autrefois animé, est aujourd'hui réduit au statut de cité-dortoir.
Il fait gris, il pleuvine et je me hâte de regagner la Petite Tine. Sur le pas d'une porte, un chat boit du lait dans une écuelle. Je me penche pour le caresser quand soudain la porte s'ouvre et laisse échapper un chaton roux et blanc. Je lève les yeux, étonnée, sur la femme qui vient d'apparaître sur le seuil. "Vous le laissez s'enfuir ?" "Il n'est pas à moi, il est entré dans la cave par un soupirail. C'est un chat abandonné." Ah bon. Elle a l'air désolée mais aussi résolue à se débarrasser de l'intrus. Moi je l'aurais gardé, ce minet. Il est là, sur le trottoir, il s'éloigne sous la pluie fine en boitillant me semble-t-il. La scène me fend le cœur. Je me décide, vite. Je dis au revoir et repars vers ma voiture, le temps de passer un coup de fil. Lorsque je sors de la Petite Tine, la bête s'est volatilisée. Happée par un autre soupirail ? Cachée sous une voiture ? Je reprends le volant, fais le tour de la place. Pas de chaton bicolore. Je dois faire quelques courses, mais son éviction me reste en travers de la gorge, et je ne cesse d'y penser. Mes achats expédiés, tant ce malheureux m’obsède, je reprends la direction de la place, j'en fais à nouveau le tour - avec la Petite Tine aux flancs ornés de coquelicots, je vais me faire repérer - et rentre finalement bredouille à la maison. Je viens de m'attribuer le rôle de sauveuse et ce chat, je le veux ! Je pense déjà à des noms, parmi lesquels Toumaï arrive en tête.
Je ne cesse de ressasser la vision du chaton trottinant sous la pluie, image même de la détresse et de l'abandon. Je n'arrive pas à me faire une raison. Et je reprends le chemin de la fameuse place, en compagnie de ma mère cette fois : deux paires d'yeux ne seront pas de trop pour scruter les lieux, soupiraux, appuis de fenêtres et dessous de voitures. En vain.
Pour nous consoler, nous décidons de filer acheter des pâtisseries sur la route de la grande ville voisine. Las ! En ce samedi après-midi, toutes les voitures des environs semblent s'être donné rendez-vous à la sortie de l'autoroute, et nous nous retrouvons dans un embouteillage bien compact. Je perds patience. Une échappatoire - la route du retour - s'offre à moi et je m'y engage sans regrets. Tant pis pour les gâteaux ! Ce sera en outre l'occasion de partir une dernière fois à la recherche du petit roux et blanc...
Nous longeons lentement la place et, miracle, non loin de l'endroit où je l'avais vu, il est là, dans l'encadrement d'un soupirail ! Je stoppe, descends de voiture et embarque "Toumaï", avec l'impression de commettre un rapt. Le chaton, pas sauvage pour deux ronds, s'installe sur la planche de bord. Nous n'avons pas parcouru trois mètres que nous croisons deux hommes à pied. L'un d'eux tend le doigt vers le pare-brise et s'écrie : "Il est là !" J'ai peut-être beaucoup de défauts, mais je ne suis pas une voleuse. Je me gare en catastrophe, descends de voiture, un peu contrite, et marche vers les deux hommes, qui se sont arrêtés et me regardent. Je m'attends à me faire copieusement "pourrir". "Bonjour. C'est votre chat ? Je suis désolée, une voisine m'a dit qu'il était abandonné. Je l'ai pris sans penser qu'il avait un propriétaire." (Comme si on pouvait être propriétaire d'un chat. Mais ce n'est pas le moment de finasser.) "Ce n'est pas grave. Il a l'habitude de suivre mon ami - le propriétaire en question désigne son compère d'un signe de la tête - qui habite ici - il montre la fenêtre d'un appartement à l'étage d'une des maisons. Je viens régulièrement le rechercher. J'ai toujours peur qu'il se fasse écraser."
J'ai pris Toumaï - qui porte encore son nom "d'origine" - dans mes bras pour le poser sur la banquette arrière avant de le restituer à qui de droit, le cœur navré. L'homme réfléchit. "Il vous plaît ?" Oh que oui ! "Je vous le donne. J'ai d'autres chats chez moi, une portée doit bientôt arriver chez ma sœur..." Il hésite un peu. "Je voudrais juste lui dire au revoir." Me laissant à ma sidération, incrédule, les mots "Je vous le donne" résonnant dans ma tête, il se penche par la portière ouverte, caresse le chaton, lui murmure quelques mots. Il se redresse. Un instant, je tremble. "C'est toujours d'accord ? Vous êtes vraiment décidé ?" "Oui. Je vais vous laisser mon numéro de téléphone, vous me donnerez de ses nouvelles." Je me confonds en remerciements. Jamais encore on ne m'a donné un chat de cette façon, sur une place solitaire où l'automne s'est abattu sur les arbres, où les feuilles jaunes et rouges tombent en un tapis encore clairsemé.
Et nous rentrons avec Toumaï, après un salut de la main à l'homme généreux, pensif... Le petit blanc et roux - il a sept mois, nous a dit son ancien "maître" - sera définitivement un chat d'octobre, un chat d'automne, lui dont la robe mêle le blanc pur au caramel blond.
C'était il y a deux ans. Toumaï, dit "Petit Bellot", s'est bien acclimaté parmi ses frères et sœurs d'adoption. Après le départ de Bosco, à la suite d'une sorte de guerre de succession, il aurait même tendance à jouer les chefs, tenant en respect de forts matous tels Chaman et Phoebus, sans compter les divers intrus qui risquent une patte dans le jardin. Il nous charme de ses grands yeux d'un vert très clair, de ses petits coups de tête donnés sur la main...
Jeune chat, il n'a bien sûr rien à voir avec Toumaï, "ancêtre de l'humanité", dont les restes furent découverts en 2001 au Tchad. Mais j'ai appris que ce nom, en langue gorane, signifie "espoir de vie".
Les chats nous amènent parfois à des rencontres singulières. Et si j'ai encore pour ce billet pillé emprunté le titre d'un célèbre roman d'espionnage et d'un film américains, c'est que je préfère, à cette famille-là, ce clan-ci.

lundi 15 août 2016

Le dernier des Mohicans - Bosco est parti


Bosco, le beau Bosco, "le Boss", s'est en allé. Au sens propre comme au sens figuré, par un euphémisme couramment employé pour signifier la mort.
Dernier rejeton de la prolifique Andelle, il était aussi le dernier chat né à la maison. Je le surnommais "le dernier des Mohicans"...
Il était souffrant, ne mangeait plus, buvait à peine... Quelques jours avant son "départ", je l'avais conduit chez le vétérinaire, son associée, plutôt, qui l'avait "soigné" pour une infection buccale alors que le chat présentait tous les signes d'une crise d'urémie - je les connais malheureusement bien. Elle n'avait même pas remarqué son extrême déshydratation, et c'est moi qui le lui ai signalé ! Certes, il est moins facile d'être véto que toubib pour humains, mais je suppose que les vétérinaires sont formés à détecter les symptômes en l'absence de plainte verbale du "patient". La redoutable insuffisance rénale féline... L'antibiotique n'a eu aucun effet. Bosco s’est affaibli, a décliné en deux ou trois jours. Il était prévu de retourner chez le véto pour lui éviter une douloureuse agonie, mais le "Boss" en a décidé autrement. Mardi matin, il est parti. Il a disparu dans les vertes profondeurs du jardin qu'il aimait. Il n'a pas réapparu. L'état dans lequel nous l'avions vu ne laisse aucun doute sur ce qui a pu advenir par la suite. N'a-t-il pas eu la force de rentrer d'une ultime patrouille sur son territoire, ou a-t-il choisi de s'endormir là où il le voulait - paisiblement, je l'espère du fond du cœur ?
Nous ne le saurons pas.
Il nous a refusé l'au revoir, les derniers câlins, les larmes -  à de rares exceptions près ils détestent les pleurs. Ils ont peur de nos grimaces et fuient nos sanglots.
Les chats sont d'une grande pudeur et d'une grande dignité dans la souffrance.
Il voulait, je crois, qu'on lui foute la paix.
Quand un chat meurt, restent les photos, dont on se repaît pendant des jours, des semaines, pour y retrouver sa beauté, ses expressions, sa présence, pour dans leur contemplation abolir le temps et, ce moment passé, se cogner à notre chagrin et mesurer notre perte. Les photos ignorent, ou effacent, la différence entre la mort et la vie. Nos amis défunts nous y fixent du regard que nous leur avons toujours connu : candide et mystérieux, porte ouverte sur d'insondables galaxies, miroir où notre reflet se perd.
Alors je retrouve dans ces images sa belle et noble tête, sur le front le motif du scarabée qui "signe" la robe des tabbys. Fier batailleur, il eût mérité des funérailles vikings, tel Einar/Kirk Douglas dans le fameux film. Dominant et dominateur, il était une terreur pour ses frères adoptifs comme pour les rivaux potentiels qui se risquaient dans son domaine. Combien de fois ai-je dû mettre un terme à un violent corps-à-corps, tous crocs et griffes dehors, en jetant sur les belligérants ce qui me tombait sous la main, plaid ou robe de chambre ? Dans cette obscurité soudaine le combat stoppait net. J'attrapais alors Bosco "emballé" dans l'étoffe tel un vulgaire paquet pour le déposer hors de la vue de son adversaire. Qui prenait généralement le large...
Restent, aussi, les souvenirs. Il était un vieux compagnon, non par l'âge (il aurait eu neuf ans le 5 septembre) mais par le temps passé à mon foyer. Je l'avais vu grandir. Il m'accompagnait à la cave pour explorer les lieux et humer, narines palpitantes, les vieux trucs qui s'y entassent (et parfois les arroser abondamment pour s'en décréter propriétaire). Un royaume olfactif inépuisable pour la curiosité tout aussi inépuisable d'un chat ! Je prenais garde à le ramener "à la surface" pour qu'il ne s'échappe pas par le soupirail, comme autrefois Mouna. Que je retrouvai, dix jours plus tard, prisonnière de la chaufferie d'un bâtiment voisin, maigre, affamée, enrhumée, mais vivante... Un vétérinaire la sauva alors que nous la croyions perdue...
Impitoyable avec ses ennemis, Bosco se montrait tendre, aimant, câlin avec ses humaines. Un petit coup de tête sur le dos de la main pour signifier son amour et appeler la caresse... Il était souvent le premier de mes pensionnaires à nous accueillir lorsque nous rentrions de Normandie. Il nous attendait... Il aimait dormir dans ma chambre-bureau, au sommet de la garde-robe, sur le vieux canapé ou blotti contre moi en hiver (ou couché sur mes pieds, le grand luxe !). Il appréciait la voie des airs pour ses déplacements et avait l'habitude de rentrer par la fenêtre du premier étage : planté sur le rebord extérieur, il me fixait intensément. Le message était clair. La plupart du temps je lui ouvrais mais, parfois, occupée ou trop flemmarde, je ne bougeais pas et, après avoir attendu un peu, "Bosquinho" s'en allait et regagnait la maison par la chatière, au rez-de-chaussée...
Aujourd'hui qu'il nous manque, je regrette de ne pas lui avoir à chaque fois, dans mon égoïsme, ouvert la fenêtre. De ne pas lui avoir témoigné plus d'affection.
Les choses sont ainsi et on ne reviendra pas sur elles, on ne rattrapera pas ses manquements, réels ou imaginés...
Reste, enfin, le vide... On croit apercevoir une ombre, sentir un mouvement de l'air... On tourne doucement la tête. Il n'y a rien, rien d'autre qu'une aberration des sens, dupés par le prisme de la mémoire... Et si, pourtant...
"Bosco du Négresco", "Bosco de l'Unesco" - c'étaient quelques-uns de ses surnoms - s'est endormi dans un lieu secret, là où sa volonté, ou son restant de forces, l'ont porté. Sa fin restera entourée de mystère. Nul ne sait où il repose et le deuil en sera peut-être plus difficile, comme pour les marins disparus en mer. Le terme "bosco", après tout, désigne, sur un bateau, le maître d'équipage (dans la marine marchande) ou le maître de manœuvres (dans la Marine Nationale)... Avec lui s'éloigne un nouveau pan de ma vie. Avec lui s'éteint la lignée d'Andelle, ses frères, sœurs, neveux et nièces n'étant plus de ce monde. Andelle, dont il tenait sa beauté et que je comparais souvent à Médée, reine et sorcière... Mais qui sait si notre beau félin, grand séducteur, n'a pas fait souche dans les parages ?...
Repose en paix, magnifique Bosco, toi qui fus un Roi parmi les chats, toi que nous aimions.

Bosco, 5 septembre 2007 - 9 août 2016





mercredi 5 mars 2014

Mouna s'est endormie


 

Il y a des chats qui traversent vos vies comme des étoiles filantes. Et d'autres qui font avec vous un bout de chemin considérable : dix ans, quinze ans, ou plus. La perte d'un chat jeune s'accompagne d'un sentiment d'injustice, de révolte, de culpabilité, parfois... Celle des greffiers plus chargés d'ans est admise comme inéluctable, alors qu'apparaissent et s'accentuent les signes du vieillissement. Le chagrin est-il différent selon que le félin vous ait été arraché bien trop tôt ou au contraire qu'il ait pris le temps de vieillir à vos côtés ? L'occasion m'est donnée de méditer sur la question...
Mouna, Moune, la Moune, la Grosse Touffe, Mouna-Mouton, la Brebis de Douvrend s'en est allée. Elle était arrivée un jour de novembre 2000, déjà adulte. La première image qui m'ait marquée est celle d'un chat magnifique, pelage gris et blanc vaporeux, yeux d'émeraude, allure princière, assis sur le seuil de la buanderie. Il me regardait, à la fois hautain et intimidé par le nouveau milieu où il avait atterri. Il s'était sans doute laissé approcher sans trop de difficulté, circonvenu par une écuelle de pâtée, et convaincre de notre absence d'hostilité. Il s'avéra qu'il s'agissait d'une demoiselle, et tout laissait à penser qu'elle était de race angora. Comment s'était-elle retrouvée ici ? Le gîte et le couvert que nous lui offrions lui plurent, et elle resta parmi ses frères et sœurs adoptifs.


Il fallait lui trouver un nom digne de sa beauté et de ses origines. Après quelques tâtonnements, elle fut baptisée Mouna. Mouna Ayoub, icône people du début des années 2000 et collectionneuse de robes de haute couture, y fut-elle pour quelque chose ? Je ne sais pas. Contrairement à son illustre homonyme, Mouna n'avait qu'une robe, et elle lui seyait à merveille en toutes circonstances. On évoqua aussi la princesse Mouna, première épouse du roi Hussein de Jordanie et mère de l'actuel souverain, Abdallah. Toujours est-il que ce nom convenait parfaitement à la nouvelle venue ; comme elle, il fleurait l'Orient et les Mille et Une Nuits.
Avec ses pattes antérieures de couleurs différentes - une grise, une blanche -, Mouna semblait porter une tenue du soir asymétrique. Elle était l'élégance même. J'avais un peu honte de l'affubler de surnoms comme Moumoune ou Chenille Velue. Elle ne s'en offusquait pas. Pour paraphraser Renaud dans la chanson "Mistral gagnant", ses grands yeux étirés étaient d'autant plus beaux qu'ils avaient l'avantage d'être deux. Mouna, c'était la star.
Son cri s'apparentait à un bêlement. D'où ses surnoms ovins (mais pourquoi "Brebis de Douvrend" ? Mystère !). Elle rouscaillait souvent, la Grosse Touffe, altesse irritée par l’impéritie de ses serviteurs. Elle pouvait se montrer revêche mais elle était aussi aimante, câline, douce. Quand je lui ai infligé par mégarde une coupure en voulant tailler un "grumeau" formé dans son pelage, elle n'a pas protesté... Elle m'a juste lancé un regard d’incompréhension que je n'ai su interpréter d'emblée. Je m'en veux encore...


Été 200x... Vacances au Cap d’Antibes. Je viens d'être précipitée sans préparation dans un panier de crabes (image assez mal choisie puisque les crabes ne sont pas venimeux). Malveillance, jalousie larvée, vexations et humiliations, couples ou ex-couples qui se déchirent, ce qui n'est pas sans effets sur un duo tout neuf. Les acteurs : les membres d'un clan qui se connaissent depuis quinze ans. Le décor : une villa de style colonial entourée d'un jardin où pousse une végétation luxuriante. Je parle avec le jardinier, lui demande le nom des plantes. Il a perçu mon mal-être, peut-être à force d'écouter le langage muet des fleurs. Solitude, même si je suis moi aussi en couple. Je me sens "chat parmi les chiens". Le matin lui et moi allons acheter les viennoiseries du petit-déjeuner pour une quinzaine de personnes. Sur le présentoir de verre une pâtisserie m'interpelle : "brioche mouna". Perplexité. Mais c'est comme si, à mille cent kilomètres de là, une créature familière m'adressait un signe, me rapprochait de mon univers quotidien, consolateur. Je me sens rassérénée, et surtout moins seule, par la magie de ce nom. Ce matin-là, et d'autres matins encore, il y aura de la mouna à table avec le café pour tout le monde.
J'apprendrai plus tard que la mouna est une spécialité algérienne, oranaise plus précisément, et pied-noir, une brioche que parfument l'anis, la fleur d'oranger et le rhum brun. Elle est traditionnellement dégustée lors du pique-nique du Lundi de Pâques. Je garde toujours une tendresse pour la mouna, qui m'a sauvée dans un moment de détresse. Depuis, je n'en ai plus trouvé que dans une grande surface des environs d'Amiens et au Monoprix de Rouen. J'aimerais en retrouver les saveurs... Il y a longtemps que les souvenirs délétères s'en sont détachés.
Il fallait que je raconte cette histoire. Comme un hommage un peu insolite à Mouna.


Ces dernières années, ces derniers mois, le temps avait resserré son emprise sur elle. Elle avait maigri, semblait parfois hagarde. Tant de mes chats sont partis si tôt qu'en voir un vieillir tient à la fois du miracle et du brisement de cœur. Mais elle était toujours Mouna, la princesse.
Le dernier jour, elle tenait à peine sur ses pattes. Elle s'est retirée dans une penderie. Elle allait mal, ne parvenait pas à trouver une position confortable. C'est parmi les draps inutilisés et plus vieux que moi qu'elle s'est éteinte, et que je l'ai retrouvée.
Ce qui a changé dans la maison est plus ténu que l'atmosphère, et pourtant une béance s'est ouverte dans le tissu des jours. Pour en revenir à mon propos préliminaire, la perte d'un vieux compagnon félin ou canin nous confronte abruptement au passage du temps. On se retourne. Derrière nous, un début, une fin. Entre les deux, des années, de nombreuses années, enfuies sitôt traversées, réduites à rien dans l'instant d'un souffle, des années de sa vie, des années de nos vies, un pan d'histoire qui déjà s'éloigne. Au bout du compte, le constat, et le chagrin, sont les mêmes. Presque les mêmes, puisque pour ceux qui firent si longtemps partie de nos existences, partagèrent avec nous bons et mauvais moments et furent nos gardiens autant que nous fûmes les leurs, une nostalgie tenace s'infiltre dans nos pensées et, si nous pleurons sur eux, nous pleurons aussi un peu sur nous...
Mouna s'est endormie. Au revoir, Princesse d'Orient, Belle des Belles, arrivée telle un ange descendu du ciel. Les marques du temps sur toi seront effacées, et les images de ta beauté resteront dans nos cœurs.


jeudi 19 septembre 2013

Mes nuits avec mes ennemies


L'été a basculé dans l'automne et avec la fraîcheur apparaissent les premières (grosses) araignées. Elles replient leur transat, rangent leurs vêtements légers et se faufilent dans les habitations pour y chercher quelques degrés supplémentaires. Leur compagnie est discrète : elles se déplacent sans bruit et n'élèvent jamais la voix.
Souvent elles établissent leur campement domestique dès fin août. Mais c'est seulement hier qu'elles ont fait leur apparition dans ma chambre. Car elles étaient deux, oui ! Si je ne peux réprimer un sursaut à leur vue, il est hors de question pour moi de leur faire du mal. Elles sont plus impressionnantes que méchantes. L'une se tenait sur le mur, au-dessus des doubles-rideaux, l'autre était arrimée au plafond, pas à l’aplomb de mon lit heureusement. J'étais ainsi en compagnie de trois grosses bêtes noires, puisque Lara dormait sur le canapé. Ma hantise : qu'un de ces arachnides (à l'exclusion de Lara, qui ne se déplace jamais au plafond) ne tombe sur moi pendant mon sommeil et n'entreprenne de me chatouiller la figure. J'ai peur de me réveiller prisonnière d'une toile gluante, incapable de m'en dépêtrer, apprêtée pour le petit-déjeuner de ces animaux. Comme l'infortuné Frodon dans Le Seigneur des Anneaux. Cependant nulle visiteuse nocturne n'est venue escalader mon oreiller. Au matin les deux monstres avaient disparu : je me demande où ils se planquent dans la journée.
Avec l'automne je retrouve aussi les effluves enveloppants et nostalgiques de L'Heure Bleue. Les années n'ont pas altéré sa magie. Je ne m'en lasse pas. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, je m'en octroie deux ou trois pschitts de manière quasi rituelle le soir avant de me coucher. Contrairement aux araignées, mon parfum est encore là le matin. Peut-être a-t-il un effet répulsif sur ces bestioles ? Peut-être sont-elles réfractaires à l'art de Jacques Guerlain ? Je me réserve le droit de manifester mon désaccord mais ne leur en veux pas... Pas du tout !
Ceci m'amène à la grande question : quel parfum vais-je porter, outre L'Heure Bleue, cette saison ? J'ai senti quelques "sorties" parfumées de cette rentrée. Rien qui me convainque. Une "livraison" dont la banalité m'attriste. La seule mouillette que j'ai gardée dans ma poche est celle où j'avais vaporisé Vol de Nuit, l'octogénaire encore bien sémillant et qui n'a pas fini de distiller ses mystères. Mais il n'aime pas le froid. Non, je rêve à un Lutens : Rose de Nuit (encore un nom nocturne), une rose chyprée, musquée, aldéhydée, sombre, "sale", diraient les spécialistes. J'en ai une concrète (ou à présent ce qu'il en reste). Je ne suis pas très "rose" mais celle-ci m'a séduite à pas de loup. Pas attrayante au premier abord, mais vite enivrante, addictive une fois révélés ses charmes cachés. On est dans un sous-bois tapissé de mousse humide. Une faunesse est passée par là - ou une femme sauvage, à demi nue, à demi vêtue de peaux aux relents âcres et pourtant doux. Elle sème sur ses pas des pétales odorants. Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières, s'exclame Rilke, mais sa voix se fêle et le vers s'achève dans un murmure.
Pour l'instant c'est un vœu pieux. Si je peux me procurer un jour ce jus dans son flacon-cloche, j'espère qu'il saura me rassurer et aura le même effet que L'Heure Bleue sur les araignées d'automne. Qui sont des petites bêtes frileuses. Comme moi.

Illustration : sculpture de Louise Bourgeois.

mardi 21 mai 2013

Boris - une liturgie peu orthodoxe

Boris, le "Bô" au pelage bleu, fidèle de mes pages, s'en est allé. Une insuffisance rénale a eu raison de lui. Il avait sept ans et demi.
A la disparition d'un de mes chats, mon premier réflexe est de me précipiter sur les quelques poignées de photos que le disque dur a soigneusement engrangées, comme pour empêcher son image de fuir, et passer encore un peu de temps, seule à seul, avec lui. C'est mieux "à chaud". Plus tard, on ne peut plus regarder les photos : on pleure. On essaie dans le même temps de se remémorer tous les Boris célèbres. Voyons, Eltsine, Johnson, Vian, Karloff, Cyrulnik, Pasternak, bien sûr, Akounine, Becker, si l'on veut, comme si les énumérer restituait par petites touches la présence du "Bô".
Boris était l'avant-dernier des chats nés chez moi, l'avant-dernier représentant de la lignée d'Andelle, cette prolifique Médée qui elle non plus n'est plus là. Bosco, son cadet de deux ans, fait à présent figure de derniers des Mohicans. Il porte là un lourd et précieux héritage.
Cette fois-là, Andelle avait mis bas dans la garde-robe de ma mère, bien à l'abri. Le nom du chaton avait-il quelque rapport avec la couleur de son pelage que les spécialistes qualifient, dans leur jargon, de bleue ? Je ne crois pas. Ce fut pure contingence - à moins que l'inconscient n'ait parlé. Ses origines slaves imaginaires en faisaient un lointain parent. Visiteurs et passants s'extasiaient sur ces yeux d'émeraude et cette robe aux tons de fumée, affublant leur propriétaire de "Chartreux" ou de "Bleu russe". Boris devint slave malgré lui. Je lui répétais : "Boris, tu pris de beaux risques en te faisant passer pour un beau Russe". Il n'en avait cure.
Il aimait, le soir, se coucher sur la table. La tête posée plus bas que le corps, ce dernier s’étalant sur un dictionnaire ou une pile de journaux. Cette position lui avait valu le surnom de Catoblépas, d'après l'animal mythique doté d'un cou si long que sa tête reposait sur le sol, le contraignant à regarder hommes et bêtes par en-dessous. D'où son nom, en grec. Il signifie "qui regarde vers le bas". Alors que ça devrait être le contraire. Rien à voir, malgré les apparences, avec un "cat" quelconque. Les Anciens affirment que celui qui croisait le regard du Catoblépas mourait sur-le-champ. Celui qui croisait le regard de Boris plongeait dans deux lacs purs, vert bleuté, ne reflétant que tendresse et innocence. Il appréciait aussi les appuis de fenêtre, celui de mon bureau en particulier. Il se cachait derrière le double rideau, comme un sicaire prêt à fondre eustache levé sur quelque vieux rentier aussi radin qu'égrotant. Mais Boris ne fondait sur personne. Il aimait le calme. Aussi je prenais garde à ne pas le déranger derrière sa tenture.
Il m'arrive souvent, le soir toujours, de prendre un petit expresso décaféiné. Boris le savait, qui guettait l'arrivée sur le plateau de la bouteille de lait. Il n'avait de cesse que j'en verse un fond dans la tasse mauve un peu rustique qui lui était réservée. Et il se régalait.
Le jours de pluie, il se couchait en rond sur mon bureau. Seul un furtif remuement de papier m'indiquait par instant sa présence. Une présence de chat, discrète et pourtant intense. Des conditions de travail, de lecture ou de réflexion, idéales.
J'ose à peine vous livrer, front bas et rouge aux joues, une anecdote qui me fait honte. Voici quelques années, Boris fut en mon absence prisonnier trois jours de ma garde-robe, dans l'espace ménagé entre deux planches. D'où venait ce bruit bizarre, à mon retour, dans ma chambre ? On eût dit un grattement, ou un appel inarticulé, étouffé... J'eus un peu peur, oui... J'ouvre la porte... et découvre un Boris étonné, un peu ahuri, un peu ankylosé, peut-être, le nez à moitié pelé de s'être frotté en vain aux cloisons de bois. Il avait vécu ainsi sans boire ni manger... ni bouger, son cachot étant de dimensions réduites, rendues plus exiguës encore par des chaussures et des sacs entassés pêle-mêle. Il s'était laissé enfermer avant mon départ. Le "pis" était qu'il semblait heureux, pour ne pas dire joyeux comme tout de me voir et ne manifestait pas la moindre trace de ressentiment à mon égard, moi sa geôlière ! Son bourreau ! Boris eut droit ce soir-là aux meilleurs petits plats, aux câlins les plus tendres. Je m'en suis bien sûr énormément voulu. Je m'en veux encore. Et je prends soin de procéder à l'appel avant de quitter la maison pour quelques jours.
Boris était aussi Raminagroboris, Cousin Boris de Moscou et, tout simplement, le Bô.
Je me souviens du jour où Mascaret s'est endormi. Je rentrais sans lui, accablée. Ce jour-là Boris a accouru sur le trottoir en miaulant fortement pour m'accueillir à ma descente de voiture, comme pour me dire "Je sais et je suis là", et me consoler.
Boris, mon Petit Homme Gris venu de l'espace, est parti. Il repose dans son jardin. Il nous manque. Il ne viendra plus chercher son lait du soir, et la tasse mauve restera vide.

En attendant l'album souvenirs... :

Boris, bureaucat
Boris, vrai Bleu russe 
Brassage d'air (propos au tonneau)

lundi 20 mai 2013

Jubilé : la fête à Lara


L'an dernier, c'était celui, en grande pompe, de la Reine d’Angleterre. Cette année, c'est celui de Lara. Je parle, bien sûr, de jubilé. Mai 1999 - mai 2013. Je fête ce mois-ci les quatorze ans de l'arrivée de la "Très-Belle".
Lara, vous la connaissez. La voici sur le velours sanguine de mon pantalon. Je vous en avais déjà parlé, plus spécialement ici. Il était alors question de onze ans d'amour. Le temps a passé. Je la revois, voici quatorze ans, dans le jardin, à quelques pas de la maison, me fixant de ses yeux ronds, un peu saillants (comme ceux, vous ne l'ignorez plus, de la chanteuse belge à qui elle doit son nom, la pauvre), traversés de sentiments indéfinissables. Elle m'adressait un message subliminal. Elle savait. Elle avait choisi. Les points d'interrogation dans son regard n'étaient que question rhétorique. Oui, elle s'installerait ici, oui, elle resterait. Elle est toujours là, un peu plus maigre, peut-être. Toujours dynamique et joueuse, elle pique presque quotidiennement ses "crises de chat" qui l'entraînent dans un tourbillon vers le sommet des armoires et du buffet. Autoritaire, elle intervient dans les bagarres de matous pour séparer et tancer les pugilistes. Elle reste fidèle à elle-même.
Pour ce jubilé, point de réceptions fastueuses, point de parade fluviale (à quoi bon : il pleut) au programme. Mais un redoublement de câlins, de caresses, de baisers et de douceurs en pochons au prix du béluga. Moins royalement qu'outre-Manche, mais avec autant sinon plus de ferveur, c'est lampions, pétards et cotillons. C'est la fête à Lara ! Et je le lui chante sur tous les tons. Elle est bien la Reine des Chats !
On ne sait pas très bien quel âge a le Chat Noir. Dix-sept, dix-huit ans ? Plus ? Elle a en tout cas été nommée Doyenne de la Faculté. Il nous faut accepter que nous ne connaîtrons jamais certaines choses. Les chats sont très doués pour les secrets. Et les leçons de vie. Le chat est mystère. L'âge importe peu. Un an de plus ou de moins n'enlève rien à l'amour que nous portons au Tarsier Noir.
Dix-sept, dix-huit ans, c'est, à l'échelle humaine, un âge avancé. Peut-être a-t-elle servi de modèle à Steinlen pour ses fameuses affiches du Chat Noir et à Henry Cany, illustrateur attitré de la marque Marchal, pour imaginer sa face de chat emblématique. (Comme toute femme - et tout homme ! - Lara va me tenir rancune de la vieillir, là...) La Très-Belle a d'ailleurs, dans un photomontage-hommage, prêté ses yeux à Marchal, qui fête cette année son quatre-vingt-dixième anniversaire. Pour sa ressemblance avec le Matou aux yeux phosphorescents, elle est l'égérie honorifique de l'équipementier automobile à l'occasion de cette célébration.



Pour tout cela, Très-Belle méritait bien notre admiration et nos témoignages d'amour. Il fait froid, il pleut, il vente. Mais quel que soit le temps, le mois de mai est le mois de Lara.

Pour terminer, une superbe chanson interprétée par son homonyme Lara Fabian et Maurane, peut-être ?

mercredi 13 février 2013

Valou, l'(ex-) inconnu du 13 février


Voici un an tout juste aujourd'hui, à la veille de la Saint-Valentin, deux semaines après le départ de "mon Bébert", un bel inconnu faisait sa première apparition dans le jardin.
C'est un grand chat, de belle allure, fortement charpenté. Signe particulier : une tache noire triangulaire légèrement décalée sur le nez. Chose rare pour un matou, il est tricolore : outre du noir et du blanc, son pelage comporte un peu de beige et ses pommettes et l'extrémité de ses pattes semblent avoir été rehaussées à la poudre bronzante. Pour ne pas le laisser à l'anonymat, je lui cherche un nom, en référence à la Saint-Valentin bien sûr. Ce sera Valou.
Une gamelle de pâtée ou de croquettes est déposée pour lui tous les jours au pied du muret qui sépare la cour du jardin. L'animal est affamé. Mais il ne se laisse pas approcher et s'enfuit dès que l'on fait un pas vers lui, accompagné de paroles apaisantes.
Parfois Valou disparaît pendant plusieurs jours et je m'inquiète. Il fait à présent partie de l'environnement. A-t-il choisi, dans son errance, un autre asile ? Puis je le retrouve sur le toit de la cabane à outils du voisin. Il semble toujours aussi peu désireux de contacts humains. Il lui arrive de se faufiler dans la cuisine pour terminer les restes de ses congénères mais il file au moindre bruit de voix.
Les mois passent. Et puis début mai les choses évoluent. Alors qu'il réagissait par grognements et fuite dès qu'on tentait de l'effleurer, Valou se laisse caresser le dos. Premier baiser sur le bout du nez (il n'aime pas trop ça), premières photos... il s'installe à la maison, après trois mois de travaux d'approche mutuels !
Il est encore dans un triste état : côtes apparentes, ventre gonflé, robe par endroit pelée... Ce chat a souffert de carences, souffert tout court, il a été négligé, livré à lui-même. Après quelques semaines d'alimentation équilibrée, de soins et de caresses, c'est un tout autre Valou qui se révèle : il a pris du poids, son pelage est lisse et dru, il se déplace avec une assurance royale. Comme tout bon félin, attaché à son confort, il a choisi les meilleurs endroits pour s'établir : canapé, genoux et même... épaules et dos humains, à l'instar de Mascaret. Qui aurait imaginé ce scénario, voici un an ?
Parfois je lui chantonne, sur l'air du Chameau :

Ali ! Alou ! Et vive le Valou !
Voyez comme il trotte !
Ali ! Alou ! Et vive le Valou !
Voyez comme il est doux !

sans que cette comptine revisitée ait l'air de beaucoup l'émouvoir... Valou m'a en tout cas permis de la redécouvrir, par le truchement des Quatre Barbus !
D'un naturel plutôt paisible, il ne faut cependant pas le "chercher" : il a alors tendance à distribuer prestement des tapes sur les arrière-trains de ses frères et sœurs. Mais un peu d'autorité ne messied pas à un matou de son gabarit...
D'où vient-il ? Quel âge a-t-il ? Il gardera ses mystères. Comme tous les chats...
Eh oui, Valou, l'inconnu du 13 février, est chez lui. Je le surnomme le Béluga (il pèse tout de même 5,6 kg !), Valouga, Vaval (comme le Roi du Carnaval de Cayenne) et Valou de la Valousie. Il a pris le temps, est arrivé à pattes de velours... mais l'attendre en valait la peine.



jeudi 1 novembre 2012

Chaman (ma vie est orange)


L'arrivée d'un nouveau chat est toujours un événement.
Ça commence toujours de la même façon. Un coup de sonnette retentit. C'est un voisin ou une voisine qui a trouvé un chat perdu et me demande s'il ne s'agirait pas, par hasard, d'un de mes pensionnaires.
Ce n'est jamais un de mes pensionnaires. Mais parfois ça le devient.
Ainsi, le 28 septembre dernier, alors que je songeais tristement à la disparition de Mascaret, tout juste huit mois plus tôt, une voisine se présente à la porte pour me signaler la découverte d'un chaton roux. La liste des passagers ne comporte pas de chaton roux, mais je la suis pour voir l'animal de mes propres yeux. Il se trouve dans la cour d'un des deux hôpitaux de jour qui jouxtent la maison. Il est réfugié sous une voiture et je crains qu'il ne se sauve à mon approche. Je m'accroupis. Et là le petit bonhomme s'élance vers moi, me rejoint et vient se frotter contre mes genoux en ronronnant. Je le caresse. Pelage de feu soyeux sous mes doigts. Le contact est passé. Me voilà conquise, en moins d'une seconde. Tel est le pouvoir de séduction des chats.
Je suis prête à l'emmener mais peut-être ce jeune homme, qui peut avoir trois mois ou trois mois et demi, a-t-il dans les parages un humain qui se désole.
Il est décidé que la voisine fera passer une annonce dans la presse tandis que je garderai le chaton chez moi à titre provisoire.
Une fois à la maison, il se jette sur une assiette de pâtée avant de monter visiter ma chambre et de la trouver à son goût, puisqu'il y prend ses quartiers.
Les jours qui suivent, j'attends fébrilement. Que va donner l'annonce ? Je n'ai pas du tout envie de restituer mon pensionnaire. Mais s'il le faut...
Je cherche un nom au petit rouquin. Si pour certains le nom s'impose immédiatement, baptiser celui-ci est plus difficile. Je tâtonne. Aucun ne semble lui convenir parfaitement, aucun ne me satisfait. Je les rejette l'un après l'autre.
Le temps passe... jusqu'au jeudi où j'apprends que ma voisine a reçu un coup de fil. C'est la consternation. A mon grand soulagement, il se révèle qu'il y a eu confusion : il s'agit d'une personne qui a trouvé un chat dans sa cave et cru que l'annonce concernait un matou perdu. Le chaton reste à la maison. Ouf ! Pas de captation de chat, donc, pas de sentiment de culpabilité ! Et il a trouvé dans la foulée son nom définitif : ce sera Chaman. L'inspiration ? J'ai pris en cours de route un film sans grand intérêt, tiré d'un roman de Jean-Christophe Grangé, où l'on voit à l’œuvre un guérisseur-fantôme issu d'une peuplade sibérienne décimée trente ans plus tôt par l'explosion d'une installation nucléaire. Un chaman... "Intercesseur, intermédiaire entre l'Homme et les esprits de la nature", selon Wikipédia. Cette définition ne s'applique-t-elle pas à nos félins familiers ? 
Au final, personne n'a réclamé le petit roux. C'est un chat abandonné, pas perdu... 


Chaman s'est très vite adapté à ses nouveaux compagnons. Point de heurts, point de feulements hostiles. Il apprécie également son nouvel environnement et ne craint pas le désordre de mon bureau, entre mes notes, le vieil écran et la famille renard de Nourry.


Les Anglo-saxons nomment ces rouquins sublimes "orange cats". Alors je vous offre cette magnifique chanson d'Angelo Branduardi, elle est de circonstance.
Un "nouveau velu" aux yeux de topaze cuivrée, à la livrée flamboyante, aux allures de feu follet. Il n'en fallait pas plus pour faire de moi une fervente adepte du chamanisme.

mardi 30 octobre 2012

Pirate est parti



Ce dimanche a commencé bien tristement. Pirate, le petit Pirate, s'en est allé, de façon inattendue.
Il avait quatre ans et demi.
Il était le frère d'Elsa et de Ramona et le seul survivant de la portée. Ses sœurs sont elles aussi parties prématurément, voici un peu plus de deux ans. Souffraient-ils tous trois d'une fragilité héréditaire ? Nous ne le saurons jamais.
Sous ses airs angéliques, Pirate était un grand batailleur. Son principal ennemi : son oncle Bosco. Il fallait veiller à les maintenir dans des pièces différentes. Si malgré cette précaution un pugilat éclatait, la technique, éprouvée, consistait à jeter sur les belligérants une étoffe opaque, plaid ou robe de chambre, selon ce qu'on avait sous la main. Ce brusque plongeon dans l'obscurité prenait les adversaires au dépourvu et l'effet de surprise provoquait un cessez-le-feu quasi immédiat. Il ne restait plus qu'à se saisir de l'un d'eux et à l'emporter au loin. Bien souvent l'animal se débattait, prêt à retourner au combat, et il fallait se défier des dommages collatéraux tels les coups des griffes.
Hormis cette tendance bagarreuse ciblée, c'était un chat sans histoires, câlin à ses heures. Je le revois, étendu sur le dos, se contorsionnant, les quatre fers en l'air, pour réclamer silencieusement des grattouillis sur le ventre.
Je l'appelais Piratou, et même "Piratou de Biriatou", pour l'allitération, ce qui faisait de lui un chat du pays basque. Après tout, cette tache noire qui lui mangeait un quart de la face pouvait aussi bien passer pour un béret crânement incliné sur l’œil que pour un bandeau de flibustier.
Mes dernières photos de lui remontent à l'été dernier. Il avait adopté le panier à bûches signé du peintre normand Nourry. La chose prend tout son sel quand on voit ledit panier. De là il guettait son grand rival. J'entends encore de part et d'autre s'élever les cris de guerre qui précèdent la mêlée, tandis que les matous se tenaient nez à nez, dans une attitude de défi. J'avais alors prestement embarqué Bosco pour la pièce contiguë.
Pirate manque-t-il à Bosco autant qu'à nous ?
Repose en paix, Pirate, petit chat vaillant et futé. Livre-toi à des jeux infinis avec ceux, toujours aimés, jamais oubliés, que tu as rejoints.

Pirate, 4 avril 2008 - 28 octobre 2012


Le panier à bûches de Nourry avait trouvé une destination inattendue 
(mais pas tant que ça quand on connaît les chats).




mardi 18 septembre 2012

And it's such a sad old feeling... (18 septembre)

Fin mai 2011.
Gobelin, mon Jolibeau, mon Gobo, mon Goblin-boy... Mon goûteur de bûche.
Le petit microbe tout noir que j'avais ramassé sur un trottoir un soir de septembre 2010, le 18 septembre très exactement, s'en est allé. Irrémédiablement.
Je m'étais bien sûr hâtée de raconter notre rencontre, avant de déceler en lui un un authentique gobelin normand.
Je me rappelle le moment où je l'ai pris dans mon bras pour le ramener chez moi. Il levait vers moi un regard à la fois confiant et interrogateur. L'image même de l'innocence. Où l'emmenais-je ?
Il était si faible que j'ai cru qu'il ne passerait pas la nuit. La suite m'a donné tort.
Il était devenu un magnifique matou, les yeux vifs, la livrée noire, drue et douce, semée de poils blancs. Il se jetait dans des batailles échevelées avec sa "sœur" Arwen, arrivée deux mois avant lui. Je le revois, levant soudain un museau inquiet, ce museau pointu qui lui donnait des mines chafouines et dénotait une curiosité sans cesse en éveil. Savait-il ce qui l'attendait ?
Ce jour de septembre 2010, je ne voulais pas le laisser mourir seul dans la rue. C'est pourtant ainsi qu'il nous a quittés.

Le titre de ce billet est tiré d'une chanson de Tom Waits, Innocent when you dream. Je suis capable de l'écouter en boucle. Sur Youtube et dans ma tête. Sa mélancolie m'accompagne et berce mon chagrin.
Allez, je vous la poste... 

Rédigé début juin 2011.






vendredi 15 juin 2012

Il y a dix ans (si le nez de Garance...)


Un 15 juin, Garance se matérialisait dans l'atelier de Victor, le menuisier, sis à un jet de pierre de chez moi. C'est du moins la version de Victor. Celui-ci ne trouva rien de mieux à faire que de saisir ce chat inconnu et de m'en gratifier séance tenante. Il était neuf heures du matin et je prenais tranquillement mon petit déj', quand il sonna à ma porte, sa trouvaille dans les bras, déterminé à me la refiler. Je ne savais pas encore que j'étais à un aiguillage de ma vie. Que le nez de Garance - provisoirement baptisée Okoumé - allait changer la face du monde.
Car Garance était une Fée. Une authentique Fée norvégienne, venue de contrées enneigées, d'épaisses forêts de conifères, munie de sa puissante magie. Comment avait-elle abouti dans l'atelier de menuiserie, cela reste un mystère. Avait-elle voyagé sur un train de bois flotté ou sur le dos d'une oie sauvage, cramponnée au cou du volatile ? Nous ne le saurons jamais. En quelques semaines, elle m'a envoûtée, réduite en esclavage. Et inspiré un amour qui survit à sa disparition, bien trop précoce. Elle aura passé six ans moins cinq jours à mes côtés. Elle n'avait pas sept ans quand le Grand Maître des Fées l'a rappelée au Royaume des Esprits. C'était le 10 juin 2008.
Quel caractère, Garance, quelle personnalité ! Comme tu nous as marqués ! C’est qu'il fallait se garder de son courroux ! Ses feulements de plus en plus aigus annonçaient un coup de griffes, voire un coup de dents. Et quelle apparence singulière, bien digne d'une Fée ! Long museau, yeux d'or, expression crâne, oreilles garnies de longs poils recourbés, queue touffue, tels étaient les attributs de sa beauté nordique. Une beauté unique, qui perdure sur les photos et dans les mémoires...
Elle a laissé un Arbre aux Fées, le rosier où elle aimait à se jucher, et une Source aux Fées, la coupelle où elle se désaltérait (alimentée à l'eau en bouteille, s'il vous plaît !) et où s'abreuvent maintenant tous mes chats.
C'était un 15 juin, il y dix ans. Je la revois arriver, un peu déroutée, regardant tout autour d'elle et ronronnant pour se rassurer, dans les bras du menuisier. Je me tenais sur le seuil. Je l'ai prise à mon tour dans mes bras. Elle était chez elle.
Son empreinte est toujours vivace. Mais elle me manque, cette présente-absente.
Si le nez de Garance avait été plus court, le monde ne serait pas ce qu'il est.

jeudi 31 mai 2012

Gas


Mythifiée par Edward Hopper, qui a su en extraire la solitude foncière, décor d'une scène dramatique dans Duel, la station-service est l'essence, si j'ose dire, du lieu de passage. L'individu y est réduit à une silhouette lacérée par le flou cinétique, vite emportée par le temps et l'asphalte, aussi volatile que les vapeurs de carburant. Life's a gas, chantait Joey Ramone. Gas, c'est le gaz, l'air, la légèreté d'un souffle, mais aussi la gazoline, l'essence. Vache à lait de l'Etat, fluide de liberté et à ce titre indispensable, quel que soit le prix à payer. Le prix de l'évasion et de l'ailleurs.
Il y a quelque temps je déplorais la disparition des pompistes, du coup d'éponge et de raclette sur le pare-brise et du pourliche inhérent à cette rapide mise en beauté. Les stations-service traditionnelles s'éteignent une à une comme des étoiles à l'aube. Pourtant ces haltes obligées représentaient quelques minutes volées au mouvement perpétuel, quelques instants de répit offerts avant de s'élancer à nouveau dans le flot routier. Le "paysage pétrolier" se déshumanise chaque jour un peu plus. J'en suis triste.
Il y avait une de ces stations sur ma route. A Aumale. Aux portes de la Normandie. Elle a fermé - à quel moment ? je ne saurais le dire - et je ne passe jamais devant sans un gros pincement au cœur.
Je m'y arrêtais presque à chaque fois. C'était un rite autant qu'une nécessité. Ça faisait partie du folklore de la route. J'échangeais quelques mots avec le patron ou avec son employé, un jeune homme qui ressemblait à Elijah Wood, l'acteur qui incarne Frodon dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Du coup la fantasy (dont je n'étais pas encore éprise) faisait irruption dans un monde déjà un peu irréel, un monde de l'entre-deux, plein de vie, qui contait des histoires de trajets et d'escales. Je voyais parfois le maître de céans, le chat Merlin à la queue tirebouchonnée. Je crois qu'il y avait d'autres chats, mais seul Merlin se montrait. Arpentant le sol cimenté entre les deux rangées de pompes, il faisait l'inspection des lieux, dont il était la mascotte et l'emblème. Une fois la Tine désaltérée, je reprenais le volant, impatiente. Quelques dizaines de kilomètres nous attendaient encore, ma voiture et moi.
C'était un autre temps.
Je vais toujours, bien sûr, en Normandie. Je traverse Aumale. Aujourd’hui, je "fais de l'essence" dans un supermarché des environs, au prix d'un petit détour. Mais je ralentis toujours devant ma station-service. La boutique où je réglais ma note de carburant et faisais un brin de causette est déserte et les vitres s'empoussièrent. 
Je regarde toujours si Merlin n'y est pas. 

Life's a gas
So don't be sad cause I'll be there
Don't be sad at all.

Illustration : Gas, d'Edward Hopper, source : http://www.artchive.com/artchive/H/hopper/gas.jpg.html

vendredi 26 août 2011

Boris, bureaucat


Las de la grisaille et de la pluie, Boris, mon vrai faux Bleu russe, a élu domicile sur mon bureau. Ça ne fait jamais qu'un objet en plus (aïe, je viens de me prendre un coup de griffes !) sur le plan de travail déjà chargé de l'indispensable et du superflu tout aussi indispensable.
Il dort enroulé sur lui-même. Seul un froissis de papiers (plus ou moins léger) révèle sa présence. Il est si bien installé qu'il en omet de descendre déjeuner.
Sans doute doit-il à son nom et ses (prétendues) origines ce goût pour la paperasse et cette aptitude à l'activité de rond-de-cuir. J'ai un vrai bureaucat russe à ma disposition ! On croyait l'espèce éteinte, mais Boris démontre sa vitalité !
Sa compagnie adoucit les rigueurs et la solitude de mon travail.
Aussi maintenant je ne m'inquiète plus quand je vois des petits hommes gris : non, il ne s'agit pas d'extraterrestres désireux de me kidnapper.
Enfin, Boris est parfois secondé par Pirate, qui semble apprécier lui aussi le calme studieux des lieux.
La bureaucatie a décidément de beaux jours devant elle.

jeudi 4 août 2011

Que reste-t-il...

Non, mon horizon ne se limite pas à mon nombril !

Que reste-t-il, une fois regagnées ses pénates, d'un séjour en Normandie ?
Le souvenir d'instants qu'on essaie de vivre dans toute leur plénitude, le plus intensément possible, dont on tâche d'extraire tout le suc, comme une machine à expresso. Et qu'on s'en veut de ne pas saisir en totalité, comme si c'était humainement possible. D'où frustration et culpabilité bien encombrantes et bien vaines. Alors que le soleil est là, et que le séjour ressemble diantrement à des vacances...
Un petit paquet de photos, parce qu'il est parfois plus facile d'appuyer sur le déclencheur que de s'installer face à son clavier et rassembler ses idées. Les zaps ont donc bien cliqué. Je garde toutefois à l'esprit qu'en regardant dans le viseur, on oublie parfois de regarder tout court. Alors j'ai souvent posé mes zaps, histoire de m'imprégner de la saveur unique de l'air et de la lumière.
On est là-bas, pour quelques jours. La réalité rejoint les rêves et les aspirations. Mais déjà, on réfléchit à ce qu'on va écrire. On se prépare à l'après-Normandie. Comment traduire émotions et sensations en mots, avant qu'elles ne s'échappent ? Car les mots, finalement, c'est tout ce qu'il reste, une fois de retour, face à l'ordi. C'est ce que je me dis, quand la nostalgie m'étreint. Et je suis une grande spécialiste de la nostalgie. J'ai tous mes diplômes de nostalgologue de l'université de Pétaïouchnok (les Slaves sont les plus fins connaisseurs du monde en nostalgie ; je me risquerai à dire que c'est de naissance) et je suis en la matière une autorité locale mondiale. Philippe, ne m'en veuillez pas si j'ai l'air de vous copier, là !
Mais non : il reste des sourires de grands et d'enfants, des rencontres félines, assez nombreuses dans les rues d'Arques-la-Bataille, un déjeuner arrosé de quincy (je vous parlerai dans un prochain billet d'un excellent restaurant que j'ai découvert à Arques).  Car, comme disait Francis Blanche, je préfère le vin d'ici à l'eau de là. Un donjon millénaire qui veille, protecteur, tel un symbole d'éternité.  La magie d'un concert d'orgues dans une église déserte. Une prise de bec, au sens propre, entre un canard et une mouette, pour un bout de pain. L'indispensable trempette sur la plage de Dieppe. Et tous ces instants fugaces par essence, justement, qui se recomposent en une mosaïque infinie. Ma richesse.
Et une forte déception, tout de même : les brebis de Douvrend n'étaient pas là, ni à l'aller ni au retour. Le grand champ bêlant était vide de toute silhouette laineuse et je m'en inquiète. J'espère être rassurée la prochaine fois ; en attendant j'ai renoncé au gigot.

Dans une rue d'Arques, un habitué des lieux.

Sous les galets, la plage.

La fuite à de la Varenne

  A Dieppe, on prend l'express côtier, bien sûr (j'ai pas demandé un déca, moi !)

Rue St-Jacques, la cour mystérieuse.

 A Arques, les locataires de l'étang.


PS : Merci à Carole, Sylvain et les enfants pour leur accueil.

jeudi 14 juillet 2011

14 juillet

Lara, "le Tarsier noir", anarchat ?

Cette année encore, mes chats n'ont pas défilé pour le 14 juillet. Je les ai laissés à leurs activités (ou non-activités) habituelles. D'ailleurs, les imagine-t-on, moustaches à l'horizontale, regard fixe, frapper le sol d'un pas cadencé tout en martelant des chants martiaux ? Et puis, il pleut, et j'aurais dû les bouchonner un par un à leur retour. 
C'est que le chat est anarchiste dans l'âme. Il est réfractaire, ou plutôt indifférent, à toute  forme d'autorité. Les anarchistes ne s'y sont pas trompés, qui ont pris le chat noir pour emblème. Le chat noir de Steinlen illustrait bien quant à lui l'esprit libertaire qui régnait dans le fameux cabaret montmartrois. Nostalgie de la Belle Époque...
"Tous les dieux sont libres", disait un ami à moi. "Les chats sont libres."
Voilà pourquoi je suis reconnaissante à mes chats, rebelles à tout effort imposé et à toute discipline, de ne pas défiler le 14 juillet.
Voilà pourquoi nous aimons les chats.

mercredi 15 juin 2011

Garance la Fée


Triste anniversaire le 10 juin. Dies irae. Trois ans plus tôt, Garance s'en allait. Trois ans sans Garance...  Trois ans et un manque toujours palpable...
J'ai choisi de ne pas parler d'elle ce jour-là. Elle n'aimait pas les larmes et pour sa mémoire nous ferons la guerre à la tristesse. Mieux valait associer son souvenir au jour où elle a débarqué chez moi, sans prévenir, sans que j'aie le moindre commencement d'idée, pauvre de moi, de ce qu'il en coûte d'accueillir une Fée à son domicile.
Il y a neuf ans, le 15 juin 2002, un samedi, Garance arrivait dans les bras de Victor le menuisier. Elle n'était pas encore Garance et je ne savais pas encore qu'elle était une Fée... J'entends encore les mots du "découvreur" (ou du "porte-fée") : "Ce n'est pas à vous, ce chat-là ?". Ben, non, ce n'était pas un fugueur ramené au bercail, et faible comme je suis je l'ai gardé, sans savoir ce que j'allais bien pouvoir faire de "ce chat-là", avec son air sauvage et son long nez. La magie était déjà à l'œuvre à mon insu.
Garance, initialement et provisoirement baptisée Okoumé, était là.
Garance, la vraie Fée norvégienne. Celle qui allait m'ouvrir les portes d'univers insoupçonnés et influencer mes lectures. Petit chat, grands pouvoirs. Les effets de sa magie se font encore sentir, des témoins dignes de foi vous le confirmeront.
Garance, la belle Nordique, bénie d'Odin. Quelque chose la rendait unique, mais quoi ? Je n'ai pas fini de m'interroger...
Garance, mon ocelot d'Oslo.
Garance, mon Aurore Boréale.
Garance, qui a fait naître des dictons tels que : "Il faut toujours aimer les Fées" ou encore "Il ne faut jamais encourir le courroux des Fées". Avec beaucoup de "r". En référence, sans doute, à ton caractère de cochon. Que ne ferais-je pour y être, de nouveau, confrontée, dans le rire et les pleurs ?
Il faut toujours célébrer les Fées, présentes ou absentes.
Garance, le Chat-Fée plus qu'aimé : vénéré, idolâtré.
Peut-on aimer les Fées autrement ?