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jeudi 27 août 2015

Une araignée fait-elle l'automne ?

On se fait une toile ? (Facile, le jeu de mot, je sais.)

Ça y est ! Elles sont revenues ! Passé le 15 août il faut plus ou moins s'y attendre (cela dépend un peu de la météo), mais la première rencontre est toujours désagréablement surprenante. "Elles" : j'ai nommé les araignées, les très grandes, les très grosses, les monstrueuses, qui squattent dès les premières fraîcheurs nos murs, de préférence ceux des chambres et à l'heure de se mettre au lit. Je leur ai déjà consacré deux billets : fascination ou tentative d'exorcisme ? Un peu des deux sans doute... Elles semblent en outre préférer les vieilles bâtisses. Cet attrait pour l'ancien témoigne sans conteste d'un goût sûr en matière d'habitat. Cela me rappelle le jour où je me suis trouvée nez à nez, dans une salle de bain d'un château normand, avec une sorte de mygale, nichée dans une serviette. J'ai jeté le tout au sol avant de prendre mes jambes à mon cou. Je n'ai pas ramassé la serviette et ne sais ce qu'il est advenu de son contenu...
Je me suis souvent demandé si l'automne amenait les araignées, ou si les araignées amenaient l'automne (elles croisent les hirondelles, qui emportent l'été). Je les imagine bien tirant derrière elles, de leurs pattes interminables, la nouvelle saison, un peu lasses, comme un vieux forain son orgue de Barbarie dans la nuit tombante.
J'ai ainsi vu ma première bestiole avant-hier soir, derrière mon bureau, figée par la lumière que je venais d'allumer. J'étais hors de sa portée, et elle ne semblait pas animée d'intentions malveillantes à mon égard, mais je n'en ai pas moins frissonné devant sa pétrifiante laideur. (Je dois être moi aussi d'une laideur pétrifiante car l'animal ne bougeait guère plus que moi.) On pourra me dire que la laideur d'une araignée est un fait culturel, un jugement de valeur, et qu'un araignon* amoureux trouverait sans doute sublime sa congénère. N'empêche. Ce n'est qu'au terme de longues années de travail sur moi-même que j'ai appris à domestiquer ma peur : je supporte - un peu - la vue de ces arachnides mais n'irais pas jusqu'à les laisser gambader sur mon bras. Mais je l'avoue : elles me terrorisent. Immobiles, passe encore. Mais dès qu'elles commencent à se déplacer en étirant maladroitement leurs pattes hideuses...
J'ai tout de même réussi à m'endormir, ne me sentant pas menacée outre mesure. Au matin, plus trace de l'animal. Il a réapparu le soir, à l'autre bout de ma chambre. J'avais pris les mesures qui s'imposaient et m'étais parfumée - un rituel fréquent que j'accomplis avant de me coucher. J'ai pensé que les notes de L'Heure Bleue ou de Vol de Nuit (pardon à Guerlain !), si agréables à mon nez, si réconfortantes, créeraient un bouclier invisible mais efficace autour de moi. Après tout, cela avait fonctionné il y a un an ou deux, l'alternative étant les formules incantatoires que prononce Frodon pour tenir à distance la redoutable Arachné, fiole magique de Galadriel fermement brandie. Chez Tolkien, les araignées sont le mal incarné ; un mal aussi vieux que la Terre du Milieu, conçu par les Forces des Ténèbres consubstantielles à celles du Beau et du Bien dès la naissance du monde. Elles sont retorses, vicieuses, cruelles (on voit que le mal reste fidèle à lui-même et se porte comme un charme). Elles s'en prennent aux représentants du Bien, aux peuples de bonne volonté, Elfes, Hobbits et Hommes.
Leur planter une épée elfique dans le bide constitue enfin, si j'en crois Le Seigneur des Anneaux (mais le Professeur Tolkien fait autorité dans ce domaine), une solution de choix pour s'en débarrasser, du moins provisoirement...
Pauvres araignées, que leur apparence condamne au rejet, à la répulsion, sinon à l'écrabouillement sans états d'âme...
Le ciel est bas, il pleut à verse et la température, seize petits degrés, n'est franchement pas de saison. On a envie de rester chez soi, devant un thé ou un café accompagné d'une pâtisserie, en regardant tomber la flotte, l’œil mi-fataliste mi-distrait. Je n'ai pas revu "mon" monstre. Il est bien moins dangereux qu'Arachné et le cas échéant je me garderai bien de l'occire. Peut-être ne le reverrai-je pas. En attendant je tire les doubles-rideaux avec précaution, au cas où il se planquerait dans leurs plis.
Oui, ce sont bien les araignées, frileuses mais sûres messagères, habiles tisseuses, qui tricotent l'automne avec des fils de brume et de pluie.

*Emprunté à Albert Cohen.

Illustration : image du film de Bill Rebane, L'invasion des araignées géantes (The Giant Spider Invasion), sorti en 1975.

Une pensée pour Lara, "l'Aragne Noire" (un de ses nombreux surnoms), qui nous a quittés le 27 mai 2014 après quinze ans passés à mon foyer. Quinze ans d'amour...

jeudi 19 septembre 2013

Mes nuits avec mes ennemies


L'été a basculé dans l'automne et avec la fraîcheur apparaissent les premières (grosses) araignées. Elles replient leur transat, rangent leurs vêtements légers et se faufilent dans les habitations pour y chercher quelques degrés supplémentaires. Leur compagnie est discrète : elles se déplacent sans bruit et n'élèvent jamais la voix.
Souvent elles établissent leur campement domestique dès fin août. Mais c'est seulement hier qu'elles ont fait leur apparition dans ma chambre. Car elles étaient deux, oui ! Si je ne peux réprimer un sursaut à leur vue, il est hors de question pour moi de leur faire du mal. Elles sont plus impressionnantes que méchantes. L'une se tenait sur le mur, au-dessus des doubles-rideaux, l'autre était arrimée au plafond, pas à l’aplomb de mon lit heureusement. J'étais ainsi en compagnie de trois grosses bêtes noires, puisque Lara dormait sur le canapé. Ma hantise : qu'un de ces arachnides (à l'exclusion de Lara, qui ne se déplace jamais au plafond) ne tombe sur moi pendant mon sommeil et n'entreprenne de me chatouiller la figure. J'ai peur de me réveiller prisonnière d'une toile gluante, incapable de m'en dépêtrer, apprêtée pour le petit-déjeuner de ces animaux. Comme l'infortuné Frodon dans Le Seigneur des Anneaux. Cependant nulle visiteuse nocturne n'est venue escalader mon oreiller. Au matin les deux monstres avaient disparu : je me demande où ils se planquent dans la journée.
Avec l'automne je retrouve aussi les effluves enveloppants et nostalgiques de L'Heure Bleue. Les années n'ont pas altéré sa magie. Je ne m'en lasse pas. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, je m'en octroie deux ou trois pschitts de manière quasi rituelle le soir avant de me coucher. Contrairement aux araignées, mon parfum est encore là le matin. Peut-être a-t-il un effet répulsif sur ces bestioles ? Peut-être sont-elles réfractaires à l'art de Jacques Guerlain ? Je me réserve le droit de manifester mon désaccord mais ne leur en veux pas... Pas du tout !
Ceci m'amène à la grande question : quel parfum vais-je porter, outre L'Heure Bleue, cette saison ? J'ai senti quelques "sorties" parfumées de cette rentrée. Rien qui me convainque. Une "livraison" dont la banalité m'attriste. La seule mouillette que j'ai gardée dans ma poche est celle où j'avais vaporisé Vol de Nuit, l'octogénaire encore bien sémillant et qui n'a pas fini de distiller ses mystères. Mais il n'aime pas le froid. Non, je rêve à un Lutens : Rose de Nuit (encore un nom nocturne), une rose chyprée, musquée, aldéhydée, sombre, "sale", diraient les spécialistes. J'en ai une concrète (ou à présent ce qu'il en reste). Je ne suis pas très "rose" mais celle-ci m'a séduite à pas de loup. Pas attrayante au premier abord, mais vite enivrante, addictive une fois révélés ses charmes cachés. On est dans un sous-bois tapissé de mousse humide. Une faunesse est passée par là - ou une femme sauvage, à demi nue, à demi vêtue de peaux aux relents âcres et pourtant doux. Elle sème sur ses pas des pétales odorants. Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières, s'exclame Rilke, mais sa voix se fêle et le vers s'achève dans un murmure.
Pour l'instant c'est un vœu pieux. Si je peux me procurer un jour ce jus dans son flacon-cloche, j'espère qu'il saura me rassurer et aura le même effet que L'Heure Bleue sur les araignées d'automne. Qui sont des petites bêtes frileuses. Comme moi.

Illustration : sculpture de Louise Bourgeois.