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jeudi 19 septembre 2013

Mes nuits avec mes ennemies


L'été a basculé dans l'automne et avec la fraîcheur apparaissent les premières (grosses) araignées. Elles replient leur transat, rangent leurs vêtements légers et se faufilent dans les habitations pour y chercher quelques degrés supplémentaires. Leur compagnie est discrète : elles se déplacent sans bruit et n'élèvent jamais la voix.
Souvent elles établissent leur campement domestique dès fin août. Mais c'est seulement hier qu'elles ont fait leur apparition dans ma chambre. Car elles étaient deux, oui ! Si je ne peux réprimer un sursaut à leur vue, il est hors de question pour moi de leur faire du mal. Elles sont plus impressionnantes que méchantes. L'une se tenait sur le mur, au-dessus des doubles-rideaux, l'autre était arrimée au plafond, pas à l’aplomb de mon lit heureusement. J'étais ainsi en compagnie de trois grosses bêtes noires, puisque Lara dormait sur le canapé. Ma hantise : qu'un de ces arachnides (à l'exclusion de Lara, qui ne se déplace jamais au plafond) ne tombe sur moi pendant mon sommeil et n'entreprenne de me chatouiller la figure. J'ai peur de me réveiller prisonnière d'une toile gluante, incapable de m'en dépêtrer, apprêtée pour le petit-déjeuner de ces animaux. Comme l'infortuné Frodon dans Le Seigneur des Anneaux. Cependant nulle visiteuse nocturne n'est venue escalader mon oreiller. Au matin les deux monstres avaient disparu : je me demande où ils se planquent dans la journée.
Avec l'automne je retrouve aussi les effluves enveloppants et nostalgiques de L'Heure Bleue. Les années n'ont pas altéré sa magie. Je ne m'en lasse pas. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, je m'en octroie deux ou trois pschitts de manière quasi rituelle le soir avant de me coucher. Contrairement aux araignées, mon parfum est encore là le matin. Peut-être a-t-il un effet répulsif sur ces bestioles ? Peut-être sont-elles réfractaires à l'art de Jacques Guerlain ? Je me réserve le droit de manifester mon désaccord mais ne leur en veux pas... Pas du tout !
Ceci m'amène à la grande question : quel parfum vais-je porter, outre L'Heure Bleue, cette saison ? J'ai senti quelques "sorties" parfumées de cette rentrée. Rien qui me convainque. Une "livraison" dont la banalité m'attriste. La seule mouillette que j'ai gardée dans ma poche est celle où j'avais vaporisé Vol de Nuit, l'octogénaire encore bien sémillant et qui n'a pas fini de distiller ses mystères. Mais il n'aime pas le froid. Non, je rêve à un Lutens : Rose de Nuit (encore un nom nocturne), une rose chyprée, musquée, aldéhydée, sombre, "sale", diraient les spécialistes. J'en ai une concrète (ou à présent ce qu'il en reste). Je ne suis pas très "rose" mais celle-ci m'a séduite à pas de loup. Pas attrayante au premier abord, mais vite enivrante, addictive une fois révélés ses charmes cachés. On est dans un sous-bois tapissé de mousse humide. Une faunesse est passée par là - ou une femme sauvage, à demi nue, à demi vêtue de peaux aux relents âcres et pourtant doux. Elle sème sur ses pas des pétales odorants. Rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières, s'exclame Rilke, mais sa voix se fêle et le vers s'achève dans un murmure.
Pour l'instant c'est un vœu pieux. Si je peux me procurer un jour ce jus dans son flacon-cloche, j'espère qu'il saura me rassurer et aura le même effet que L'Heure Bleue sur les araignées d'automne. Qui sont des petites bêtes frileuses. Comme moi.

Illustration : sculpture de Louise Bourgeois.

samedi 21 avril 2012

Je dors avec un centenaire


Que ne ferait-elle pas pour arrondir ses fins de mois, allez-vous dire, outrés ? Car il va de soi que le vieillard susmentionné a les rognons bien couverts. Pour quelle autre raison, sinon ? Bon, encore, elle ne fait que dormir. Mais il faut supporter les ronflements qui s'échappent d'une bouche édentée, voire légèrement baveuse. C'est là le prix à payer pour rouler en Maserati, passer ses vacances à l'Eden Roc et goûter à tous les autres plaisirs de la grande vie. Bref, vous m'imaginez parfaitement vénale et dévoyée.
Que nenni ! Vous n'y êtes pas du tout !
Le centenaire en question, c'est L'Heure Bleue, porté sur les fonts baptismaux en 1912 par Jacques Guerlain. Alors que d’habitude je me tourne vers lui dès les prémices de l'automne, le froid et la pluie de ces jours-ci m'ont jetée - prématurément ou tardivement - dans ses bras. C'est dans ses notes aromatiques, fleuries, poudrées et vanillées que je m'endors, comme auprès d'un doudou. On ne saurait imaginer nuit plus chaste. L'Heure Bleue n'est pas un séducteur, mais un compagnon enveloppant et rassurant.
Dans mon petit nuage, je m'interroge pourtant. Si je sentais le parfum d'origine, le reconnaîtrais-je ? Les ingrédients utilisés aujourd'hui ne sont plus ceux d'il y a cent ans. Mais, surtout, la dictature du marketing et des réglementations européennes notamment - qui visent à bannir tout composant potentiellement allergène des parfums - est passée par là. Les marques reformulent leurs grands classiques à tour de bras par un souci de conformité dont on ne sait s'il est louable ou non, utile ou non, et cela dans une absence de transparence que l'on peut déplorer. Combien de fois me suis-je entendu dire dans une parfumerie, par une vendeuse scandalisée, qu'on ne touche jamais aux formules ? Cependant le processus est bien lancé, et au fil des liftings, les parfums perdent leur identité, leur âme, au point que je me demande si les jus mythiques ne sont plus que des noms plaqués sur des fantômes, de vagues sosies qu'on nous fourgue comme identiques aux originaux.
Bon, L'Heure Bleue reste tout de même très beau. En près de vingt-sept ans de vie commune, il a gardé son pouvoir évocateur, sa mélancolie d'un autre âge qui me colle à la peau. Vol de Nuit aussi, bien sûr, mais j'ai nettement détecté des changements dans l'eau de toilette comme dans l'extrait. C'est ce dernier qui a sans doute le plus pâti des reformulations. Ses notes animales, cuirées, son fond vanillé ont été bien rabotés - c'est en tout cas ce que me dit mon nez.
Et j'en suis triste.
Alors je sens que je vais avoir tendance à me détourner de Guerlain. D'autres maisons me tendent d'ailleurs les bras. Il n'est pas sûr que j'y perdrai au change.
Et puis, chuuuttt, en dépit de mes regrets, je porte parfois Vol de Nuit pour dormir, l'été. Son année de naissance ? 1933. Encore un an et je passerai la nuit avec un octogénaire.

Illustration : Mathusalem, abbaye de Canterbury

lundi 18 avril 2011

Considérations picardes et olfactives

Une fleur de saison...

Un cerisier en fleurs et une pensée pour le Japon...

Un petit tour dans les étangs de la Somme, à la faveur du beau temps, voici une quinzaine de jours. J'apprécie toujours quelques heures de ressourcement en Picardie. Routes souvent désertes qui serpentent à travers la campagne vallonnée, canal, étangs... Tout invite à la lenteur et au calme. Je traverse un paysage à présent familier. La Grande Guerre y a apposé ses marques indélébiles, mais l'heure n'est plus au silence solennel. La nature émerge de sa léthargie hivernale et c'est un déploiement de couleurs autour de moi.

Un buisson buissonnant, dans sa parure de printemps

Un esprit un peu guinguette à l'ancienne, avec sa terrasse au bord de l'eau...

Je m'offre un détour pour admirer la "belle maison" de Méaulte. L'Ancre, limpide et vive, longe le terrain. Selon mes recoupements, il s'agit du Domaine des Viviers, demeure construite pour l'avionneur Heny Potez (NB : rien à voir avec le Chat Potté). Le pavillon du gardien, avec ses rondeurs de maison de Hobbit, vaut à lui seul le détour. La bâtisse elle-même est bien cachée au fond d'un parc. Je serais prête, comme le dirait Varg Veum, à louer la boîte aux lettres, si mes moyens me le permettaient. De plus j'aurais sans doute du mal à y tenir.

 Le mystère reste entier...

Et le parfum dans tout ça ? Eh bien j'assimile la belle maison de Méaulte à Vol de Nuit. Je les dirais unis par une même esthétique ; ils ont selon moi beaucoup en commun. Tous deux sont nés à la même époque - les Années Folles - 1927 pour l'une, 1933 pour l'autre. Tous deux évoquent le monde de l'aviation. Tous deux possèdent le même charme hautain et mystérieux. Ils ont l'étrange beauté, quelque peu figée, des choses modernes en leur temps et aujourd'hui surannées. Un décalage qui les rend fascinants. Comme si nos yeux, notre nez du XXIe siècle ne pouvaient capturer la totalité de leur âme ; une part en est destinée à nous échapper. C'est sans doute cela qu'on nomme nostalgie.
Amoureuse de Vol de Nuit, j'en trimballe toujours quelques fiolettes dans mes poches et mon sac, pour le plaisir de les humer où que je sois. L'extrait est, bien sûr, sublime. Il y a deux flaconnettes sur mon bureau, vides. En apparence seulement, car c'est la présence du parfum que je perçois en entrant dans la pièce. Les minuscules contenants de verre en ont gardé la trace et l'exhalent avec constance (sauf quand Sables, dont je m'arrose par beau temps, vient le bousculer sans ménagement).
Contrairement à la "belle maison", les "vieux" Guerlain (dont L'Heure Bleue, évidemment) sont des figures du passé accessibles. Je me dis que ces survivants d'époques révolues subsistent tant que nous leur prêtons notre peau pour perpétuer leur splendeur.

jeudi 15 octobre 2009

Le coeur cambriolé


Un flacon qui a de la bouteille...

Je suis allée rechercher dans l'obscurité d'une armoire mon flacon d'extrait d'Heure Bleue, tel un trésor, une relique qu'on ne présente à l'adoration des fidèles qu'une fois l'an. Il est toujours lové dans son charmant écrin XVIIIe. Je me souviens l'avoir acheté en janvier 1987. C'est un rescapé.
1er septembre 1996. Je rentre de Normandie. Je trouve la maison saccagée, la porte de la cuisine fracassée, du désordre partout. Les malfrats ont emporté des objets auxquels ma mère et moi tenions : beaux bijoux fantaisie, couverts en argent, mais aussi lecteur de CD et disques. Ils ont mis à sac l'armoire à parfums. Ont disparu mon flacon d'extrait d'Après l'Ondée, introuvable aujourd'hui, le Blonde de ma mère, une superbe tubéreuse signée Versace, et d'autres. Des gens de goût, ces voleurs, direz-vous ! Mais les gens de goût ne volent pas ! Et puis ils ont dédaigné les disques classiques !
Je suis effondrée.
Oui, c'est matériel. Mais c'est un peu plus que du matériel. Ces choses faisaient partie de moi. On a touché à mon intimité, à ma mémoire, à ma tranquillité domestique. Elle ne sera jamais plus ce qu'elle était.
L'expérience est particulièrement traumatisante.
Dieu merci les chats n'ont rien ! Mais j'ai eu bien peur quand même, car mon Muscade tardait à rentrer... (Ne pas trop compter sur les chats pour défendre une maison contre des intrus.)
Toujours est-il que ma bouteille d'Heure Bleue a échappé au pillage. Je la regarde parfois et l'ouvre. Il reste une petite moitié de son contenu, d'un jaune sombre. Les notes de têtes sont altérées et pour tout dire, atroces. Mais je reconnais ses notes de cœur et de fond, toujours suaves, quoiqu'à présent très volatiles.
Puissé-je m'offrir à nouveau cet extrait un jour...
En attendant je me suis parfumée à l'eau de toilette, histoire d'attaquer avec plus d'énergie mes corrections et de me consoler des rigueurs de mon travail.
Comment ça, vous n'avez jamais senti l'Heure Bleue ? Tenez, je vous en envoie une grosse bouffée !
Allez, pschitt pschitt !!

mardi 29 septembre 2009

L'Eternel Retour



Je me suis décidée, à la faveur d'une remise au Printemps. L'Heure Bleue, mon vieux compagnon, est de retour. Il ne m'a jamais vraiment quittée (par là j'entends que j'en ai toujours gardé un flacon, mais je me sens bien hypocrite en proclamant ma prétendue "fidélité").
Guerlain. Une connotation bien trop BCBG pour moi. Des jus classiques. Des souvenirs pas forcément agréables. Porter L'Heure Bleue, c'était refuser d'évoluer, de secouer ma mue. Depuis quelques années je me suis tournée vers les Lutens, ces puissants philtres orientaux. Et puis.
J'ai commencé par quelques pschitt d'eau de parfum, le soir. C'était un besoin que j'éprouvais avant de me pelotonner sur le canapé, devant un bon DVD, dans une lumière douce. Mon parfum oublié m'apportait plaisir olfactif et réconfort. Je retrouvais le matin sur ma robe de chambre (celle qui fait fuir les araignées) ses notes de fond balsamiques et poudrées. Une sorte de réappropriation. L'atomiseur n'est pas neuf et le parfum s'est peut-être altéré. Parfois il me semble que oui, parfois je retrouve toutes ses notes intactes. Elles exhalent même des accords insoupçonnés jusque là : le Sénophile que l'on mettait sur les fesses des bébés "de mon temps", la pâte d'amande, la cire d'abeille (mais peut-être est-ce dû au fait qu'il a "tourné", justement ?). Il y a le piquant, l'amer et le doux. Pour en avoir le cœur net, j'ai re-senti l'eau de toilette voici peu, sur mon bras, pas sur une mouillette. J'ai découvert qu'elle me plaisait toujours. Ses notes sont moins insistantes, plus douces. L'eau de parfum possède quant à elle une autre dimension, qui amplifie certains accords...
Les deux "versions" m'enveloppent d'une aura sacrée protectrice.
Une histoire faite pour durer de nouveau ? Je ne sais pas. Mais je sais que si les amours passent, les parfums restent.
C'est donc au stand Guerlain du Printemps que je suis passée à l'acte.
La femme est un roseau dépensant.

dimanche 17 février 2008

A l'autre bout du jour

Un atomiseur de métal doré, encore aux deux tiers plein, souvenir d'un après-midi normand. Un pschitt sur l'avant-bras, pour m'accorder une petite bouffée de revenez-y. Un parfum qui, après tant d'années, commence à s'altérer, à émettre sur la peau des notes dissonnantes. Serait-ce que

J'ai laissé le soleil à l'autre bout du jour

Je n'ai plus que la nuit pour trouver mon amour

Il y a plus de vingt ans, une journaliste de Marie-Claire - je crois ! - citait la chanson "Petite annonce" d'Alain Souchon pour évoquer L'Heure Bleue. J'étais jeune, romantique et depuis j'ai appris à ne plus me laisser séduire par les mirages du langage journalistique dès lors qu'il s'applique au parfum.
C'est à Rouen que ma mère m'a offert ma première bouteille d'Heure Bleue. J'avais vingt et un ans. La parfumerie de la rue de la Champmeslé existe toujours mais, signe des temps, elle a changé d'enseigne et arbore désormais les couleurs d'une chaîne. Autant dire que ce n'est plus du tout la même chose, mais je ne vais pas me lancer dans une vaine diatribe contre les parfumeries-supermarchés ! C'est dans ce lieu également que j'ai senti pour la première fois Après l'Ondée... L'infidélité déjà en germe !
Je n'en étais pas à mon premier Guerlain. Nahéma et Chamade avaient déjà accompagné mes rêves d'adolescente. L'Heure Bleue était, avec le confidentiel Après l'Ondée, le seul Guerlain que je ne connaissais pas. Je n'étais pas pressée de le découvrir : j'avais lu qu'il était fleuri, doux, suave... tout ce qui m'évoquait la mièvrerie ! C'est dans une parfumerie de la rue Saint-Jean au Touquet que je l'ai senti pour la première fois. Coup de foudre. Des notes florales qui se fondent en un cœur balsamique irrésistible. C'était me semble-t-il ce que je recherchais depuis toujours... Il s'est accroché à la bandoulière de mon sac trois semaines durant. Je le respirais avec extase et incrédulité : j'avais "trouvé". Jusqu'à cet achat rue de la Champmeslé où j'ai pu l'avoir rien qu'à moi et à volonté.
C'est d'abord une bouffée hespéridée, plus ou moins prononcée selon les jours. Ces notes piquantes, épicées s'adoucissent en une composition suave, en effet, mais non dénuée de caractère. Ce que j'aime le plus dans L'Heure Bleue, ce sont les notes héliotrope et benjoin. L'héliotrope miellée me ramène encore à la Normandie, à Saint-Saëns où - bien plus tard - un loustic m'en avait offert chez le fleuriste de la place quatre plants qui n'ont guère survécu... eux non plus :-) ! L'héliotrope, c'est aussi pour moi les jardins de Trianon et la nuée de jardiniers en effervescence dans les parterres. Le benjoin, c'est enfin le baume apaisant, réconfortant qui se love au cœur du parfum. Celui-ci embaume, au sens propre du terme. Pendant des années, il a été mon bouclier contre la laideur et la violence environnantes, mon refuge suprême. Un petit nuage d'Heure Bleue autour de moi, et je ne touchais plus terre. Je pense à ces moments, et je me vois marchant dans l'air figé d'un matin d'hiver. Le froid craquant cristallise les notes poudrées et balsamiques. Mon parfum m'auréole d'un poudroiement presque tangible, grisant tant pour les sens que pour l'esprit.
Trop d'amour tue l'amour - oh je voudrais tant que ce ne soit pas vrai ! Je pourrais dire que L'Heure Bleue s'est chargé d'un affect trop lourd, accumulé en plus de vingt années ! Mais surtout, j'ai évolué, et mes goûts aussi. J'ai quitté la peau de la jeune fille des années 80. J'ai découvert d'autres univers parfumés. En parallèle à cette dés-affection, je trouve depuis quelque temps que l'aspect aldéhydé se fait plus présent. Ceci explique-t-il en partie cela ? Qui a changé, lui ou moi ?
Je ressens maintenant L'Heure Bleue comme un parfum crépusculaire. Il rejoint en cela l'intention de son créateur, Jacques Guerlain. Un cycle s'est accompli. C'est le parfum du temps arrêté, de l'attente. Je voudrais encore l'aimer autant que je l'aimais autrefois. J'en conçois un regret poignant. C'est comme un grand amour. Au fond on sait qu'il est unique. On voudrait encore y croire, parfois. Mais on ne se réchauffe pas au feu de soleils révolus.
Je me suis rendue à l'évidence : le parfum d'une vie n'existe pas... Une idée coriace qui se dilue dans la réalité. Ou dans la vie, tout simplement, dans la loi de l'évolution qui nous pousse en avant, nous fait avancer et nous modèle inlassablement au fil de nos rencontres. Renoncer à l'idée d'éternité parfumée, rassurante certes, mais aussi sclérosante, et se dire que le plus beau reste toujours à venir ?
Oui. Peut-être.
La dernière fois que j'ai porté L'Heure Bleue, c'était la veille de Noël. J'en ressentais le besoin. Mais j'étais un peu triste. Ce n'était plus moi. Seules les notes de fond gardaient leur pouvoir évocateur. Il me parlait du passé, de ma jeunesse. J'avais l'impression de me complaire dans une inutile nostalgie.
Je le hume encore de temps en temps, comme si notre histoire n'était pas finie. Trop forte, trop belle pour avoir définitivement gagné l'ombre. Malgré tout, sa magie n'en finit pas de trouver un écho en moi. Qu'ai-je donc laissé "à l'autre bout du jour" ?