dimanche 10 mars 2024

L'orage et la loutre, triple énigme

A la mémoire de Lucien Ganiayre.
Et à mon inspiratrice.


 
Qu'est-il arrivé à Jean Des Bories ?
 
Le livre refermé, je l'ignore encore, et d'autres lecteurs ont dû eux aussi éprouver de la frustration, voire du désarroi, à demeurer sans réponse.
 
Unique roman de Lucien Ganiayre (1910-1966), L'orage et la loutre fait partie de ces livres que l'on a longtemps hésité à ouvrir, comme au seuil d'une vérité essentielle, "trop grande pour nous". D'eux émane un mystère auréolé d'un effroi confus, dont on craint que la dissipation, au terme de la lecture, nous apporte la déception.
 
Jean Des Bories, le narrateur, instituteur dans un village du Périgord, découvre, à la fin d'une fructueuse journée de chasse, une source ignorée enfouie dans les halliers. Nous sommes le 20 septembre 1935 et la chaleur est étonnamment forte. Laissant fusil et perdrix sous la garde de sa chienne Rita, il plonge tout entier dans cette eau fraîche à la "consistance" inhabituelle ; elle n'offre aucune résistance aux solides, et son goût même lui semble bizarre. Mais peu importe. Là-haut le ciel est lourd de nuages sombres. L'orage va éclater. Lorsqu'il sort de la fontaine providentielle, la chaleur a fait place à un air glacé. Jean saigne du nez, il grelotte. Il est frappé par l'absence de tout bruit et de tout mouvement autour de lui. Au ciel, les nuages ont cessé de rouler pour se figer dans leurs reliefs tourmentés. Il découvre une lumière jaune et froide qui baigne uniformément le paysage sans projeter d'ombres. Seul un écho démesuré répond aux battements de son cœur et au froissement des herbes sous ses pas. De retour dans son village, il affronte les scènes irréelles qu'il redoutait. Son univers familier est peuplé de statues de chair qu'il n'ose effleurer ; de fait les êtres qu'il étreint meurent après une brève agonie ; tout ce qu'il touche tombe en poussière. Le temps semble aboli. C'est pour Jean le désespoir autant que l'incompréhension.

S'il a compris que le phénomène n'est pas un simple accident météorologique, le narrateur n'en cherche pas vraiment la cause. Cataclysme planétaire ou sortilège, quelle importance ? Il organise plutôt, tant bien que mal, son existence de survivant. Sa chambre devient son univers, jusqu'à ce qu'il tombe (au propre et au figuré) sur une photo de son ami de jeunesse Marescot, dit "Marès". Marescot le brillant, le désinvolte, qui a toujours subjugué Jean. Lequel lui voue une affection et une fidélité éperdues. Il ne peut connaître le même sort ! Jean pourra peut-être le sauver de cette torpeur funeste...
 
Il entreprend alors un voyage vers Paris, où vit son ami. A pied, bien sûr, les véhicules quels qu'ils soient étant hors d'usage. Alors qu'il chemine le long d'un ruisseau, il croit apercevoir une petite tête luisante à la surface de l'eau. La première manifestation du vivant, après une si longue solitude ! Jean décide de s'attarder sur ces berges herbues, et d'attendre. La créature réapparaît, précédée de sa puissante odeur fauve... C'est une loutre !
 
Pourquoi une loutre ? A l'époque du récit, elle est déjà rare (et sa population n'a cessé de décroître jusqu'à la fin du 20ème siècle), ce qui renforce le caractère exceptionnel de cette rencontre. Peut-être parce qu'elle incarne la liberté, celle de pouvoir se mouvoir dans l'eau et sur terre. Parce qu'elle est belle, vive et sauvage... Enfin l'un comme l'autre sont les seuls, et peut-être derniers, représentants de leur espèce. Aussi Jean voit-il en elle une compagne d'infortune qu'il se met en devoir d'apprivoiser.

Lucien Ganiayre a dû longuement et "amoureusement" observer le mustélidé du titre. L'animal est superbement décrit, dans ses mouvements comme dans l'immobilité. Les protagonistes s'observent, se jaugent, tentent timidement de s'approcher. Mais demoiselle (ou monsieur ?) Loutre est méfiante !

Nous manquons ou gâchons des rencontres essentielles par négligence ou excès d'avidité...

Jean Des Bories poursuivra sa quête folle  - après un détour par le rivage de l'Océan - dans une France fantomatique et inquiétante, au fil d'un "temps" devenu fou lui aussi, jusqu'à Paris, où Marescot l'attend, forcément.

Nous voici face à un de ces rares textes "irréductibles" qui, s'ils peuvent s'apparenter à différents genres, ne se plient totalement à aucun d'entre eux. Roman post-apocalyptique, conte fantastique, récit d'aventures, ouvrage de science-fiction ? Relation d'un cauchemar ou d'un épisode délirant ? Le doute est omniprésent, et rien ne vient écarter le voile. C'est un roman "orphelin", en quelque sorte, et à plusieurs titres. La Toile, toujours prête à nous noyer d'informations, livre en effet fort peu de choses sur son auteur, et il faut s'armer de détermination (et de patience !) pour dénicher des renseignements à son sujet. C'est finalement le site des Éditions de l'Ogre qui se révèle le plus disert, et je vous invite à suivre le lien que j'ai placé à la fin de mon billet.

Mais, décréter une œuvre "inclassable", c'est la réduire et encore la classer.

Quel sens faut-il trouver à l'expérience de Jean ? Le silence, le couvercle de nuages, la vie arrêtée, l'atmosphère oppressante, le sentiment d'une menace latente sont-ils une métaphore de l'Occupation ? (Le roman fut écrit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et alors que Lucien le proposait - sans succès - à des maisons d'édition, la France n'en avait pas fini avec les temps troublés.)

De même, quelle est cette "eau" dotée d'un aspect et de propriétés inexplicables, qui "jaillit" à point nommé pour préserver quelques êtres vivants du cataclysme ? Immersion salutaire ou passage vers un univers parallèle inquiétant ?

Par ailleurs, l'épilogue, qui m'a semblé assez abrupt, est propre à instiller une ultime ambiguïté sur ce que nous venons de traverser plutôt qu'à lever nos doutes et satisfaire notre attente...

Je ne sais, non plus, si Lucien Ganiayre a voulu cette obscurité. Quoi qu'il en soit, elle appartient au mystère de l’œuvre...

Enfin, L'orage et la loutre n'est pas comparable aux romans survivalistes actuels qui exploitent les poncifs en vogue de retour à une "nature" idéalisée, ultime refuge de ses "enfants" (l'inévitable touche moralisatrice en prime). Ce sont avant tout des pages magnifiques, souvent bouleversantes, telles celles qui décrivent la rencontre entre Jean et la loutre. Leur langue est pure, riche et précise : sa poésie s'allie à une vigoureuse sensualité. Si le motif de l'amitié - entre autres étranges liens qui unissent les êtres - parcourt toute la trame du récit, celui de la solitude de l'individu et du corps, cette irréductible solitude inhérente à l’altérité, y tient une large place, de même que l'évocation de l'énergie vitale, primaire, "involontaire", une vie "bête", obstinée, qui anime Jean autant qu'elle le fascine. Murmure ou cris du sang qui se presse dans les veines, pulsations amplifiées, activité farouche des organes forment un microcosme à eux seuls. Ce mouvement irrépressible de chair, de sang et de souffle qui galvanise tout le texte s'oppose au monde mort et glacé dans lequel le héros évolue. Mais, hors de la frontière du corps, tout n'est peut-être qu'illusion. L'expérience douloureuse du héros est alors celle de l'impossibilité d'accéder à l'Autre et des revers cruels qui sanctionnent nos tentatives. "Il n'y a pas d'amis, il n'y a que des hommes sur qui on s'est mépris".*

Alors triple énigme oui : l'histoire elle-même tout d'abord, ses "conditions de production", et la vie de l'écrivain derrière l'opacité de notre ignorance.
  
Un jour l'orage éclate. Mais nous ne connaîtrons pas (vraiment) le fin mot de l’affaire, et Lucien Ganiayre gardera son secret.


* Barbey d'Aurevilly


PS : j'ai lu le roman en février 2023.
 
"Loutre en hiver"
 
 
Illustration :  Wikipédia https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Atirador?uselang=fr 

dimanche 18 octobre 2020

Rouge d'automne

Sous le regard de mon authentique phoque de la baie de Somme (et de ma tout aussi authentique matriochka)...


Même si le port du masque a légèrement compliqué les choses ces temps-ci, je suis depuis des éternités fidèle  - bêtement, aveuglément, comme si j’obéissais à un devoir aux sources perdues - à ma trilogie quotidienne : boucles d'oreilles, parfum, rouge à lèvres. (Encore m'arrive-t-il de faire l'impasse sur le parfum.) Je ne sors jamais sans être blindée de ces gris-gris. Ils forment mon armure face à la grisaille parfois hostile, souvent indifférente, de la rue. Je m'entoure d'une petite famille de rouges à lèvres, avec sa vieille garde et ses nouveaux venus, sans laquelle je suis démunie comme un Maori sans ses peintures de guerre. Presque. Disons que je préfère être accompagnée de mes "raisins" préférés, même s'ils alourdissent sensiblement mon sac. J'ai parfois l'impression de trimballer une enclume. Mon dos proteste. C'est un choix. 
Y a-t-il des couleurs printanières ? D'autres réservées aux jours froids et courts qui arrivent à grands pas et s'installent avec une déconcertante désinvolture ? On ne les a pas vus venir qu'ils sont déjà là, à vous souffler leur vent glacé dans le cou, vous transpercer de leur pluie, vous cerner de leur ombre.
Il y a longtemps que j'ai réglé la question, pour une seule et simple raison : je ne me la suis jamais posée. Du moins pas sérieusement. Je vis à l'équateur du rouge à lèvres : sans saisons. Seuls mes goûts, mes humeurs et mes envies me guident. Soit pas mal de critères avec lesquels composer...
Même derrière le masque, le rouge à lèvres m'est indispensable. 
Près de treize ans après mon premier billet sur ce sujet ô combien fondamental, ma devise n'a pas changé : plutôt rouge que morte.

dimanche 26 janvier 2020

Astro-effervescence

 Grâce à Erwin Schrödinger, les chats sont de la revue...

Prendre de la hauteur... On aimerait bien. On aimerait bien pouvoir plus souvent. Vis-à-vis, par exemple, d'un monde où des malfrats en cavale, et avec quel aplomb, se vantent de leurs forfaitures devant des journalistes qui semblent acquis à leur cause, ou pour le moins fascinés.
Nos héros étaient des grands Résistants, des libérateurs, des visionnaires, mystiques ou profanes, des combattants. Des valeureux, des braves, des intrépides, des femmes et des hommes qui incarnaient ce que nous aimions, ce que nous aurions aimé être. Ils possédaient les attributs attachés aux êtres d'exception, courage, droiture, talent, clairvoyance, désintéressement, vertus que nous appelons aujourd'hui "valeurs", et qui ne sont sans doute plus les mêmes qu’autrefois... Nous admirions les aventuriers, les astronautes, les explorateurs arpenteurs des espaces inconnus, les grands sportifs, les savants aux découvertes révolutionnaires, les artistes et les écrivains qui plongeaient mains et bras dans l'âme humaine et en remontaient des flots de gadoue qui charriaient parfois quelques diamants. Des qui laissaient dans leur œuvre leur santé, leur raison, parfois leur peau. Tous détenaient une autorité morale et intellectuelle. Elles et ils étaient des voix. Quand ils parlaient, on la fermait. Parce qu'ils ne parlaient jamais pour ne rien dire.
Je crois que cette espèce-là a disparu. Rayée de la surface de la Terre, et pas en raison d'un cataclysme planétaire. Ou plutôt, si. Un cataclysme sociétal qui s'est pointé en douce avant de gagner une ampleur et une acuité encore jamais vues. Plus de héros. Des influenceurs. (Qui influencent qui ? En quoi ? Et puis de quel droit ?) Des animateurs hilares et médiocres. Des pitres au ras du caniveau. Et des voyous.
Rien de tel, pour oublier un temps ces vilenies, que de scruter le ciel et se plonger dans histoire du cosmos. Non seulement penser l'impensable, mais le décrire, le théoriser et même l'observer, telle est la tâche que semblent s'être donnée les astrophysiciens et les spécialistes de la physique quantique. Comme leurs illustres prédécesseurs, ils sont bosseurs, ambitieux, non pour eux-mêmes, mais dans l'objet de leurs recherches. Ils traquent l'onde gravitationnelle, jouent aux autos tamponneuses avec les particules à très hautes énergies. Familiers des messages spatiaux et des troupeaux de bosons, levés dès proton-minet, dès qu'ils tiennent une piste, ils ne la lâchent plus. De vrais fox-terriers.
Leur domaine : l'espace, la structure intime de la matière. L'infiniment grand, l'infiniment lointain, l'infiniment petit. Quelques "pointures" en ce domaine sont là pour vous guider, en premier lieu Stephen Hawking qui, en parallèle à ses travaux, s'est attaché à vulgariser les notions qui fondent ses recherches. Une brève histoire du temps a plus de trente ans. Néanmoins l'approche du savant reste valide, et passionnante. Le texte est écrit avec clarté et a le mérite de "remettre à plat" des notions que j'avais déjà abordées, sans être sûre de les comprendre. Depuis d'autres découvertes, d'autres observations ont été faites, de nouvelles théories émises, notamment au sujet du Graal des chercheurs, l’unification de quatre forces qui régissent l'univers ou GTU (Grande Théorie Unificatrice). Tous ces savants s'accordent à dire que l'espace est criblé de trous noirs. Objets célestes énigmatiques dont l'étude pourrait bien fournir la réponse à cette question taraudante. James Peebles, un des lauréats du prix Nobel de physique 2019, se demande cependant si cette théorie du Tout n'est pas simplement une fausse piste sur laquelle on s'acharne inutilement. Eh oui, comme à l'époque des éminents pionniers de la science, des explorateurs de la matière, aux premières décennies du 20ème siècle, controverses et affrontements persistent... En astrophysique comme en mécanique quantique, l'effervescence ne diminue pas...
Des physiciens théoriciens et non des moindres, tel Carlo Rovelli, avancent même que le temps n'existe pas, tout au moins selon la conception qui prévaut depuis que l'homme a commencé a gamberger sur le sujet, pas en tant que "quatrième dimension", pas en tant qu'entité physique indépendante. Le "bon vieux" temps de Newton, celui d'Einstein, seraient obsolètes. Ce que nous nommons le temps serait à la fois une construction culturelle et un phénomène neurologique, consubstantiel à la conscience. Youpi ! vous exclamez-vous face à la perspective d'une jeunesse éternelle, et vous sautez en l'air de joie devant votre écran. Ne nous réjouissons pas trop vite. Nous vieillirons tout de même. Les processus biologiques du vieillissement seront toujours sournoisement à l’œuvre. Mais alors, que mesurent nos montres ? Qu'est-ce qui nous grignote un peu chaque seconde - chaque infime fraction de seconde ? Qu'est-ce que le temps ?
A défaut de tout percuter (même si le discours des savants que j'ai pu entendre est remarquablement clair), je me dis que si le temps "ontologique" n'existe pas, on ne peut par conséquent pas le perdre... CQFD !

Armoise, chatte quantique, est-elle à la fois là et pas là ?
En lisant Hawking...

En allant chercher toujours plus loin les origines de l'univers, c'est aussi de nos propres origines que nous sommes en quête. Science et philosophie se rejoignent dans un même questionnement. Quelle est notre place dans le cosmos ? A-t-il une finalité, si oui quelle est-elle, et quelle est la nôtre ? Pourquoi sommes-nous , observateurs avides et inquiets ? Faut-il, comme Leibniz, se demander "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien" ?
Au sein de ce vertigineux système dont certaines des lois nous échappent toujours, le bipède humain se sent bien chétif. Pascal n'en affirme pas moins la supériorité de ses semblables face à l'immensité muette. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Il n'est pas certain que cette pensée nous console...
Faire parler l'espace à travers les signaux les plus lointains qui nous en parviennent, mettre la matière sur le grill pour lui arracher ses ultimes secrets et, oui, penser ce qui ne  peut être pensé de notre point de vue limité d'humains, penser ce qui nous dépasse... Peut-être que, finalement, cet impensable rejoint d'autres impensables, aussi irréductibles que la perte, le deuil, l'absence... Et peut-être est-ce en cela que les colossaux défis auxquels se mesurent les physiciens m'interrogent. Mais ce sera, je pense, l'objet d'un prochain billet.


Puisque les félins ne sont jamais bien loin, on ne peut faire l’impasse sur le chat de Schrödinger, exemple au moyen duquel le savant allemand voulut démontrer qu'en physique quantique, deux états opposés peuvent coexister simultanément pour un même "quanta" (de matière ou d'énergie). Mais rassurez-vous, ce postulat n'est valable qu'au niveau subatomique, et JAMAIS le célèbre physicien ne plaça un chat dans un caisson pour réaliser cette expérience mortifère, qui reste du seul domaine de la pensée !  
Je suis par ailleurs certaine que les chats (il n'est qu'à observer leur comportement) ont, ou résolu toutes les énigmes de l'univers, ou s'en f... royalement.


Une brève histoire du temps, de Stephen Hawking, est édité chez J'ai Lu.

Écrits vagabonds, de Carlo Rovelli, chez Flammarion. Ce livre m'attend sur ma table de lecture. Rovelli, que j'ai écouté sur France-Culture dans La conversation scientifique du 30 novembre 2019 ("Le temps est-il une illusion ?") m'a l'air d'un homme fort sympathique, qui cite à plusieurs reprises les chats et parle de sa fascination pour l'intelligence des poulpes.

Illustration : couverture de la revue Comprendre les sciences (septembre 2019).

jeudi 19 septembre 2019

Aux champs d'honneur


La chapelle au bord de la route qui domine le village de Curlu (Somme), et la Petite Tine

Ma vie actuelle étant celle d'un nomade, d'un trimardeur de tous les chemins, je traverse régulièrement la partie orientale de la Somme. La Petite Tine et moi connaissons quasiment par cœur le trajet. Champs, bois, étangs, villages, rien que de très banal, si ce n'est la kyrielle des cimetières militaires dispersés sur cette portion de territoire. Certains ne sont pas visibles de la route, ou à peine. On y accède par un chemin vicinal. Ils apparaissent, le temps d'un bref regard de côté, au sortir d'un virage avant de s'effacer tout aussi rapidement. Des mirages. On entrevoit leurs stèles blanches toutes identiques fichées dans la terre, comme si elles avaient été lancées du ciel par poignées. Strictement ordonnées, alignées ou disposées en arc de cercle autour d'une "croix du repos", parfois serrées sous l'ombre d'un grand saule - unique indice de leur existence. La plupart de ces cimetières sont signalés par un panneau indicateur où figure le pays d'origine des "morts au champ d'honneur". Grande-Bretagne. Nouvelle-Zélande. Australie. Allemagne. La départementale en est jalonnée. Même habitué au parcours et au paysage, on s'étonne de leur nombre. On en découvre de nouveaux presque à chaque fois. On se dit toujours que cette terre n'est pas comme les autres.
Combien de morts la Grande Guerre a-t-elle fait ici ? On ne peut s'interroger sans vertige. Ni sans effroi. De part et d'autre du front fluctuant de la Bataille de la Somme (1er juillet 1916 - 18 novembre 1916), où s'affrontèrent sans répit, jour et nuit, Alliés britanniques et français et troupes allemandes, chaque village, chaque lieu-dit garde inscrites dans son sol des traces du conflit.
Bien loin de cet "intimisme", plus au nord, se dressent d'augustes mémoriaux qui égrènent la liste de ceux que la terre n'a pas rendus, de monumentales nécropoles s'étirent le long des grands axes, enclaves aux colonnades de marbre, fragments de territoires étrangers en terre picarde. Il n'est pas rare que des voitures et des autocars anglais ou écossais stationnent devant leur portail. Beaucoup de ressortissants d'outre-Manche, mais aussi de l'autre bout du monde, visitent ces hauts lieux du souvenir bâtis pour imposer le respect et édifier l’esprit du voyageur par-delà les siècles. J’admire les Anglo-saxons : ils entretiennent une culture de la mémoire qui se transmet d'une génération à l'autre. "L'hérédité des caractère acquis"... Lamarck était d'ailleurs originaire de Bazentin, dans la Somme, près d'Albert, autre théâtre des combats. Une culture que j'oppose au "devoir de mémoire", formule vidée de poids et de sens à force d'être rabâchée, comme si des piqûres de rappel étaient sans cesse nécessaires au peuple oublieux que nous sommes.
Aussi est-ce tout naturellement que nos voisins britanniques traversent le Channel pour visiter les cimetières et se recueillir. Leur parcours tient du pèlerinage. Un tourisme s'est développé autour de la Bataille mythique. On est ici au "Pays du Coquelicot". Le coquelicot et ses pétales de sang, emblème, dans les pays anglo-saxons, de la Grande Guerre et - pudiquement - des hommes tués au combat. Symbole, aussi, de la vie fragile et tenace, qui s'oppose et résiste à la dévastation.
Alliés ou ennemis, sans distinction, les morts témoignent. Si cette guerre fut d'une absurdité - d'un acharnement dans l'absurdité - totale, prétendre que leur sacrifice fut vain serait faire injure à leur mémoire.
Il y a longtemps que les voix des soldats se sont tues. Le fracas des armes ne résonne même plus dans les souvenirs. La terre a tout enseveli avec les hommes. Son inertie minérale a étouffé la clameur guerrière. Mais ce silence n'est pas la paix. Cette quiétude n'est qu’apparence. Les meurtrissures demeurent, elles s'exhibent sous nos yeux, nous claquent dans la figure. Ce sont ces petites pierres blanches, cette multitude de pierres toutes semblables qui se plantent avec obstination devant nous, sentinelles spectrales, pour nous interdire l'amnésie. Les guerres - comme les deuils - ne s'achèvent jamais.
Bientôt je n'emprunterai plus aussi souvent la route qui coupe la Somme d'est en ouest, le pays des morts perdus. Je ne traverserai plus avec la même régularité les villages tranquilles qu'à la longue je vois à peine. Il n'en est pourtant de si discrets qui ne recèlent quelque tragédie de temps disparus. Plus de cent ans après l'Armistice, les champs d'honneur n'en finissent pas d’empiéter sur le domaine des vivants. Ils s'étendent à perte de vue. La campagne ondule doucement dans la lumière poudroyante de cette fin d'été. Là, dans la tiédeur de l'air immobile, elle revêt un masque de solennité saisissant. On passe en silence dans l'immensité silencieuse. On pense à la guerre et ses ombres. Il n'y a rien à dire. Seule ici la terre parle, elle dit le deuil éternel et l'oubli impossible.

dimanche 23 juin 2019

CommedesBijoux : malle aux trésors vintage

J'ai découvert Etsy voici peu de temps grâce à ma consoeur et amie blogueuse Hélène Flont, qui propose ses ravissantes créations picturales sur cette "place de marché" en ligne. En furetant sur le site (il me semble me souvenir que j'avais cherché "bijoux chats" 😉), je suis tombée nez à nez avec la boutique virtuelle CommedesBijoux, hypnotisée par de superbes boucles d'oreilles clips dorées, un modèle des années 60, neuf, au motif mi-figuratif, mi-abstrait, entre fleur stylisée et soleil rayonnant. Je n'ai pas pu résister longtemps. Elles sont arrivées chez moi vingt-quatre heures après le passage de la commande. Posées sur leur pochon de satin orange, elles étaient encore plus belles, comme coulées dans l'or. D'autres achats ont suivi, autant de plaisirs qui rendent la vie plus douce. Il faut dire que les prix sont très raisonnables !

 Éblouissantes...

Devant les trésors déployés par cette boutique, ces bijoux que je m'imaginais pourvus d'une histoire et d'une âme, j'ai eu envie d'en savoir plus. Sur leur provenance. Leur histoire, justement. Rendez-vous téléphonique fut pris - la société est basée à Paris. Véronique a bien voulu répondre à mes questions et satisfaire ma curiosité !
A l'origine, des sœurs jumelles parisiennes, Véronique et Sylvie. C'est en côtoyant les grossistes en bijoux de la rue du Temple qu'elles forment le projet de se lancer à leur tour dans cette activité - à laquelle rien ne les prédestine ! Elles fondent leur propre entreprise, Dwador, en 1999, voici tout juste vingt ans. Les sœurs travaillent essentiellement avec les professionnels. D'emblée, elles souhaitent se démarquer de leurs confrères qui distribuent une production chinoise assez banale, uniforme. A leur catalogue : des collections de bijoux en argent massifs, en plaqué or et fantaisie, ces derniers de la maison anglaise Sphinx. Une société réputée qui a vu le jour après-guerre, en 1948, et qui, outre ses propres modèles, crée pour des clients prestigieux, en Europe comme aux États-Unis : Kenneth Jay Lane, Butler & Wilson, Nina Ricci, Caura, Fried Paris, Saks 5th Ave., Neiman Marcus, Bloomingdales, Marks & Spencer...
Au début des années 2000, le directeur de Sphinx se résout, faute de repreneur, à fermer boutique. Il propose aux deux sœurs de racheter son stock - "un gros stock". Une aubaine pour ces deux passionnées : plusieurs milliers de pièces toutes d'époque, plusieurs décennies de création féconde et sans cesse renouvelée préservées dans leur beauté. Depuis, Véronique et Sylvie reconnaissent être surtout connues dans l'univers de la bijouterie "grâce à ces produits-là", qu'elles diffusent sur Etsy mais également sur leur propre site de vente en ligne. Des pièces rares, voire uniques, siglées ou numérotées. Vintage mais neuves. Survivance d'un âge où fantaisie, originalité et qualité faisaient bon ménage, elles n'attendent que le lobe d'oreille ou le poignet qui les portera. Les collectionneurs ne s'y méprennent d'ailleurs pas. Les clients sont japonais, chinois, libanais, anglo-saxons, russes, tous friands de ces merveilles dont les secrets de fabrication appartiennent eux aussi à un autre temps et qui s'offrent à nos yeux dans un état de conservation remarquable. Les clips en particulier sont très recherchés, ce système de fermeture tendant à disparaître du marché.

 Le raffinement d'un bracelet baroque...

Chaton fripon pour égayer une veste noire...

Broches, boucles d'oreilles et bracelets baroques, boutons de manchettes, toutes ces sublimes parures sont empreintes d'une classe intemporelle qui ramène aux grandes heures de la haute couture des décennies enfuies. Leur style affirmé enchantera celles et ceux qui font le choix de se singulariser sans céder aux attraits factices du tape-à-l’œil. Je les porte les jours où j'ai envie de chic, de vrai chic, en décalage ou en harmonie avec ma tenue.
Ces bijoux vintage ont bien une personnalité et une histoire... et j'ai pu, grâce aux sœurs jumelles, percer une partie de leurs secrets !

Encore mille mercis à Véronique pour sa gentillesse, sa disponibilité et son enthousiasme communicatif pour son métier !

Outre la "boutique virtuelle" d'Etsy, on trouve les bijoux Sphinx, de même que de délicates créations contemporaines, à cette adresse :
https://commedesbijoux.com/

vendredi 14 juin 2019

La vie intime est maritime


J'ai retrouvé dans mes cartons virtuels ce texte - façon "courrier des lecteurs" - publié voici un petit paquet d'années dans le bulletin des plaisanciers de la pointe d'Agon. Rien que ça ! Le thème du vocabulaire maritime me trottait dans la tête depuis un moment. J'avais listé les expressions ayant trait à la mer ou issues du langage des marins. L'inspiration est venue. Le texte est toujours là. Il ne me semble pas - contrairement à son auteur ;-) - avoir trop vieilli. Je n'y ai point touché. 

Cher Président,

Mon récent passage dans le cadre enchanteur de la pointe d’Agon a éveillé – ou réveillé – en moi quelques réflexions à propos de particularités linguistiques liées à l’univers que vous connaissez bien. La mer et les bateaux fournissent abondamment notre langue en expressions de toute sorte, le plus souvent sous la forme de métaphores. Pourquoi ? Sans doute parce que le jargon maritime, mieux que tout autre, se prête à imager les situations de la vie quotidienne. De toute évidence, le français garde les sédiments de ses anciennes traditions marines. Ceci est quelque peu paradoxal pour un peuple dont la culture maritime ne constitue pas le trait dominant ! “Passer un cap”, “redresser la barre”, “dériver”... Que de mots lourds de mémoire prononcés machinalement ! On accoste une jolie femme, le cœur chavire... L’influence du parler des gens de mer s’étend bien au-delà de ce que les linguistes nomment "champ sémantique de la marine". L’aviez-vous remarqué ?
La plupart de ces locutions ont été déformées par l’usage ou ont subi un glissement de sens qui les a éloignées de leur signification d’origine. On note que peu d’entre elles sont encore en usage chez les marins. On a beau se creuser les méninges, aucun lien apparent avec le sens premier n’en jaillit. Qui pourrait imaginer, quand sa voiture refuse de démarrer, que ce verbe signifiait à l’origine “rompre accidentellement ses amarres” ? Voilà notre conducteur en rade : c’est la panne, assurément, qui, avant de s’appliquer à des moteurs et autres mécanismes, désignait l’arrêt d’un navire par réduction de sa voilure, si je me fie aux dires du Petit Robert.
Qui, d’un marin ou d’un simple quidam, sait le mieux s’il est pertinent de mettre les voiles pour prendre le large plus rapidement ? Le tout sans même savoir, bien sûr, s’il arrivera à bon port.... Se rappelle-t-on qu’en étant en bordée on risque d’avoir du vent dans les voiles ? A quoi on pourra rétorquer que cela vaut mieux que d’être tristement encalminé... Il se peut que cette tendance soit ancrée dans nos habitudes. Pas question de baisser pavillon si l’on vient de se faire larguer et que l’on est au creux de la vague ! Après avoir touché le fond, il faut sérieusement envisager de se remettre à flot ! Ceux qui savent mener leur barque, voire naviguer à vue, même au cours d’un débat houleux, vous le diront, surtout s’ils ont beaucoup bourlingué. Il est tellement plus agréable d’avoir le vent en poupe, sans toutefois omettre de veiller au grain... Et il y en a tant d’autres, impossibles à citer sans provoquer la lassitude du lecteur...
Ce ne sont là, cher Président, que quelques considérations linguistico-marines que je tenais à vous livrer. Puissent-elles vous permettre de ne point désespérer du peu d’intérêt de nos compatriotes pour les choses de la mer : celle-ci bat toujours au cœur de notre langue et, si le coq gaulois n’est pas marin, le français est bel et bien maritime, il a gardé la saveur rêche du sel et de l’iode, et les couleurs de l’horizon.

Recevez mes plus cordiales salutations.

Une lectrice occasionnelle du "Bout du Banc".

vendredi 5 avril 2019

Bornéo 1834 : beau (patchouli) ténébreux


Recevoir ou m'offrir un parfum Lutens, c'est toujours un moment d’intense émotion, une fête au caractère presque sacré tant elle rayonne d'une dimension magique et mystique. Source de lumière et de chaleur au creux de l'obscurité, elle est indissociable de Noël, du plus noir de l'hiver, du froid, des illuminations qui scintillent dans nos yeux embués par l'air glacé, des cadeaux qu'on déballe dans un mélange de fébrilité et de recueillement.
Plus le temps passe, plus je les côtoie, plus je me rends compte à quel point les créations de Serge Lutens ont marqué une rupture avec la parfumerie traditionnelle et conventionnelle. Une révolution, ou une révolte, dans un microcosme plutôt petit-bourgeois, ronronnant et frileux - d'où ont quand même jailli des "ovnis". Je pense aux années 70-80-90, à Opium, à Poison, à Angel - et bien d'autres -, qui ont secoué le cocotier et qui, plébiscités par les femmes du monde entier au point de devenir mythiques, dotés d'une abondante descendance, prouvaient que, parfois, le culot payait.
Faire voler en éclats la sacro-sainte dichotomie homme/femme, socle quasi inentamé de la création olfactive (tellement plus pratique tant du point de vue de la culture que du marketing !) était déjà une révolution en soi. Le genre, Serge Lutens n'en avait cure, pas plus que les modes. Il voulait exprimer "autre chose", peut-être simplement "quelque chose" face à la vacuité des compositions qui paraient femmes et hommes au même titre qu’un accessoire, un marqueur social de bon ton, et se contentaient la plupart du temps de "faire joli", c'est-à-dire "sentir bon". Sans nous "parler" plus que ça. Révolte oui, mais c'est sans tapage que son esthétique singulière, profondément originale, s'est imposée avec des jus qui appelaient des images venues d'horizons inexplorés, de l'intimiste à l'infini, et recouraient à la mémoire, à sa mémoire. Et n'attendaient qu'une rencontre avec la nôtre.
Il y a peu de révolutions pacifiques, aussi faut-il s’en réjouir et les célébrer.
Fin 2018, une "nouvelle" collection a été lancée. "Nouvelle" avec des guillemets car, si les parfums sont restés (en principe) identiques, l'habillage a changé. L'inspiration vient d'outre-Atlantique, avec ces "Gratte-Ciel", évocations des constructions vertigineuses de la fin des Années Folles qui rivalisaient de hauteur et de magnificence. Fortune, pouvoir, prestige... c'est alors la surenchère chez les cadors de l'industrie et de la presse - bâtisseurs d'empires à la réussite souvent fulgurante. Les tours filiformes, défi à la gravité et à la raison, cristallisent le rêve américain. Quid de l'"esprit" Lutens dans le profil géométrique de Manhattan, dans cette démesure architecturale ?...
Bien des parfums sont passés de mes chers flacons cloches à ces "gratte-ciel" taillés dans le verre noir opaque (dans la foulée leur prix grimpaient eux aussi vers les sommets), tandis que d'autres se dépouillaient de leur contenant rectangulaire pour revêtir lesdits flacons cloches emblématiques des Salons du Palais-Royal. J'avoue ne pas trop comprendre les ressorts de cette politique dans laquelle on pourra voir une stratégie marketing comme une autre. Après tout, les parfumeurs ne vivent pas que d'amour et d'eau fraîche. Mais, là-dedans, qui décide ? Le Maître lui-même ? Les cols blancs des services commerciaux et financiers ? Je ne sais...
J’ai commencé à m’intéresser au patchouli (et à l’aimer !) avec mon cher et fidèle Patchouly d’Etro, qui m’accompagne en toute saison depuis plusieurs années, et j'ai eu envie de redécouvrir Bornéo 1834* de Serge Lutens, construit autour de cette note, à l’occasion de son « rhabillage ». Ce qui fut fait, à la parfumerie du Soleil d’Or à Lille.
Le duo Lutens-Sheldrake** excelle dans le registre des créations puissantes, opulentes et "sombres", identitaires de la Maison, d'où parfois la violence n'est pas exclue. Bornéo est de celles-là. S’il était une couleur, il serait une palette déclinée du fauve au brun Van Dyck. D'emblée, il présente, à mon nez, une facette vétiver accentuée - un versant entier, même, omniprésent, monolithique. Serait-ce le visage que prend ici le patchouli ? Les deux essences possèdent en effet des composés très proches. Cette note me rappelle la garde-robe de mes grands-parents et la botte de racines de vétiver, antimite naturel, qu'ils y avaient placée - présent rapporté d'Inde des lustres auparavant par un ami de la famille. Souvenir associé aux longs dimanches confits dans l'ennui de mon enfance, dont l'odeur semble se résumer - "mais pas que" - dans cette armoire, entre robes habillées, costumes grands-paternels et chapeaux de cérémonie. Pour cette raison, Bornéo m'a, de prime abord, rebutée. C'était il y a quelques années et je ne l'avais plus humé depuis.
Cette saignée résineuse, légèrement fumée, nettement camphrée, semble soudain se condenser, se calciner pour enfanter un nouveau personnage, la réglisse, noire et amère, dénuée de toute connotation "confiserie", fruit d'une transmutation par le feu. La silhouette longiligne, austère, vêtue de sombre (on croirait voir M.  Lutens en personne) s’installe dans un profond fauteuil de cuir craquant et odorant. Elle croise ses longues jambes. Sous la légère patine, on distingue la matière : râpeuse, rugueuse, encore sauvage. Elle insuffle au parfum son caractère âpre et contribue à le structurer, tandis que le camphre (quand je vous parlais d'antimite !), jouant sa partition en sourdine, s'obstine néanmoins à garder ses griffes serrées sur la composition. La "scène" s’étoffe peu à peu de fève tonka - amande, vanille et tabac blond - qui arrondit, adoucit l'ensemble, en assouplit la sévérité - sans le dépouiller de sa rigueur et sa noblesse. Car c'est bien la noblesse qui caractérise Bornéo. Notre beau ténébreux, entre portrait de Buffet et bronze de Giacometti, ne se départit jamais de sa dignité. Mais si, sous son habit strict, toujours droit dans ses bottes, il se refuse aux épanchements exubérants auxquels pourrait le convier le patchouli, il sait déployer une chaleur et une douceur surprenantes, tout en volupté contenue.

*Le nom de Bornéo 1834 se réfère aux châles importés des Indes Orientales Néerlandaises (et de ses comptoirs âprement disputés par les Anglais !), à l'époque où les élégantes d'Europe s'engouaient pour l'exotisme de ces parures. Le patchouli était réputé protéger des "prédateurs" - toujours les mites ! - le précieux chargement au cours de son long voyage. Et son parfum imprégnait durablement l'étoffe...

** Christopher Sheldrake est aux manettes de la création de la plupart, entre autres, des parfums Serge Lutens.

Illustration : Portrait d'une jeune femme dans une robe rouge avec un châle cachemire paisley - Eduard Friedrich Leybold - 1824
Une "petite dame" qui me semble dans sa sagesse bien loin de Bornéo, en dépit de son châle (NdA).