dimanche 18 octobre 2020
Rouge d'automne
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Rafaèle
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dimanche 26 janvier 2020
Astro-effervescence
Prendre de la hauteur... On aimerait bien. On aimerait bien pouvoir plus souvent. Vis-à-vis, par exemple, d'un monde où des malfrats en cavale, et avec quel aplomb, se vantent de leurs forfaitures devant des journalistes qui semblent acquis à leur cause, ou pour le moins fascinés.
Nos héros étaient des grands Résistants, des libérateurs, des visionnaires, mystiques ou profanes, des combattants. Des valeureux, des braves, des intrépides, des femmes et des hommes qui incarnaient ce que nous aimions, ce que nous aurions aimé être. Ils possédaient les attributs attachés aux êtres d'exception, courage, droiture, talent, clairvoyance, désintéressement, vertus que nous appelons aujourd'hui "valeurs", et qui ne sont sans doute plus les mêmes qu’autrefois... Nous admirions les aventuriers, les astronautes, les explorateurs arpenteurs des espaces inconnus, les grands sportifs, les savants aux découvertes révolutionnaires, les artistes et les écrivains qui plongeaient mains et bras dans l'âme humaine et en remontaient des flots de gadoue qui charriaient parfois quelques diamants. Des qui laissaient dans leur œuvre leur santé, leur raison, parfois leur peau. Tous détenaient une autorité morale et intellectuelle. Elles et ils étaient des voix. Quand ils parlaient, on la fermait. Parce qu'ils ne parlaient jamais pour ne rien dire.
A défaut de tout percuter (même si le discours des savants que j'ai pu entendre est remarquablement clair), je me dis que si le temps "ontologique" n'existe pas, on ne peut par conséquent pas le perdre... CQFD !
Au sein de ce vertigineux système dont certaines des lois nous échappent toujours, le bipède humain se sent bien chétif. Pascal n'en affirme pas moins la supériorité de ses semblables face à l'immensité muette. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Il n'est pas certain que cette pensée nous console...
Faire parler l'espace à travers les signaux les plus lointains qui nous en parviennent, mettre la matière sur le grill pour lui arracher ses ultimes secrets et, oui, penser ce qui ne peut être pensé de notre point de vue limité d'humains, penser ce qui nous dépasse... Peut-être que, finalement, cet impensable rejoint d'autres impensables, aussi irréductibles que la perte, le deuil, l'absence... Et peut-être est-ce en cela que les colossaux défis auxquels se mesurent les physiciens m'interrogent. Mais ce sera, je pense, l'objet d'un prochain billet.
Puisque les félins ne sont jamais bien loin, on ne peut faire l’impasse sur le chat de Schrödinger, exemple au moyen duquel le savant allemand voulut démontrer qu'en physique quantique, deux états opposés peuvent coexister simultanément pour un même "quanta" (de matière ou d'énergie). Mais rassurez-vous, ce postulat n'est valable qu'au niveau subatomique, et JAMAIS le célèbre physicien ne plaça un chat dans un caisson pour réaliser cette expérience mortifère, qui reste du seul domaine de la pensée !
Je suis par ailleurs certaine que les chats (il n'est qu'à observer leur comportement) ont, ou résolu toutes les énigmes de l'univers, ou s'en f... royalement.
Une brève histoire du temps, de Stephen Hawking, est édité chez J'ai Lu.
Écrits vagabonds, de Carlo Rovelli, chez Flammarion. Ce livre m'attend sur ma table de lecture. Rovelli, que j'ai écouté sur France-Culture dans La conversation scientifique du 30 novembre 2019 ("Le temps est-il une illusion ?") m'a l'air d'un homme fort sympathique, qui cite à plusieurs reprises les chats et parle de sa fascination pour l'intelligence des poulpes.
Illustration : couverture de la revue Comprendre les sciences (septembre 2019).
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jeudi 19 septembre 2019
Aux champs d'honneur
Ma vie actuelle étant celle d'un nomade, d'un trimardeur de tous les chemins, je traverse régulièrement la partie orientale de la Somme. La Petite Tine et moi connaissons quasiment par cœur le trajet. Champs, bois, étangs, villages, rien que de très banal, si ce n'est la kyrielle des cimetières militaires dispersés sur cette portion de territoire. Certains ne sont pas visibles de la route, ou à peine. On y accède par un chemin vicinal. Ils apparaissent, le temps d'un bref regard de côté, au sortir d'un virage avant de s'effacer tout aussi rapidement. Des mirages. On entrevoit leurs stèles blanches toutes identiques fichées dans la terre, comme si elles avaient été lancées du ciel par poignées. Strictement ordonnées, alignées ou disposées en arc de cercle autour d'une "croix du repos", parfois serrées sous l'ombre d'un grand saule - unique indice de leur existence. La plupart de ces cimetières sont signalés par un panneau indicateur où figure le pays d'origine des "morts au champ d'honneur". Grande-Bretagne. Nouvelle-Zélande. Australie. Allemagne. La départementale en est jalonnée. Même habitué au parcours et au paysage, on s'étonne de leur nombre. On en découvre de nouveaux presque à chaque fois. On se dit toujours que cette terre n'est pas comme les autres.
Combien de morts la Grande Guerre a-t-elle fait ici ? On ne peut s'interroger sans vertige. Ni sans effroi. De part et d'autre du front fluctuant de la Bataille de la Somme (1er juillet 1916 - 18 novembre 1916), où s'affrontèrent sans répit, jour et nuit, Alliés britanniques et français et troupes allemandes, chaque village, chaque lieu-dit garde inscrites dans son sol des traces du conflit.
Bien loin de cet "intimisme", plus au nord, se dressent d'augustes mémoriaux qui égrènent la liste de ceux que la terre n'a pas rendus, de monumentales nécropoles s'étirent le long des grands axes, enclaves aux colonnades de marbre, fragments de territoires étrangers en terre picarde. Il n'est pas rare que des voitures et des autocars anglais ou écossais stationnent devant leur portail. Beaucoup de ressortissants d'outre-Manche, mais aussi de l'autre bout du monde, visitent ces hauts lieux du souvenir bâtis pour imposer le respect et édifier l’esprit du voyageur par-delà les siècles. J’admire les Anglo-saxons : ils entretiennent une culture de la mémoire qui se transmet d'une génération à l'autre. "L'hérédité des caractère acquis"... Lamarck était d'ailleurs originaire de Bazentin, dans la Somme, près d'Albert, autre théâtre des combats. Une culture que j'oppose au "devoir de mémoire", formule vidée de poids et de sens à force d'être rabâchée, comme si des piqûres de rappel étaient sans cesse nécessaires au peuple oublieux que nous sommes.
Aussi est-ce tout naturellement que nos voisins britanniques traversent le Channel pour visiter les cimetières et se recueillir. Leur parcours tient du pèlerinage. Un tourisme s'est développé autour de la Bataille mythique. On est ici au "Pays du Coquelicot". Le coquelicot et ses pétales de sang, emblème, dans les pays anglo-saxons, de la Grande Guerre et - pudiquement - des hommes tués au combat. Symbole, aussi, de la vie fragile et tenace, qui s'oppose et résiste à la dévastation.
Alliés ou ennemis, sans distinction, les morts témoignent. Si cette guerre fut d'une absurdité - d'un acharnement dans l'absurdité - totale, prétendre que leur sacrifice fut vain serait faire injure à leur mémoire.
Il y a longtemps que les voix des soldats se sont tues. Le fracas des armes ne résonne même plus dans les souvenirs. La terre a tout enseveli avec les hommes. Son inertie minérale a étouffé la clameur guerrière. Mais ce silence n'est pas la paix. Cette quiétude n'est qu’apparence. Les meurtrissures demeurent, elles s'exhibent sous nos yeux, nous claquent dans la figure. Ce sont ces petites pierres blanches, cette multitude de pierres toutes semblables qui se plantent avec obstination devant nous, sentinelles spectrales, pour nous interdire l'amnésie. Les guerres - comme les deuils - ne s'achèvent jamais.
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dimanche 23 juin 2019
CommedesBijoux : malle aux trésors vintage
Devant les trésors déployés par cette boutique, ces bijoux que je m'imaginais pourvus d'une histoire et d'une âme, j'ai eu envie d'en savoir plus. Sur leur provenance. Leur histoire, justement. Rendez-vous téléphonique fut pris - la société est basée à Paris. Véronique a bien voulu répondre à mes questions et satisfaire ma curiosité !
A l'origine, des sœurs jumelles parisiennes, Véronique et Sylvie. C'est en côtoyant les grossistes en bijoux de la rue du Temple qu'elles forment le projet de se lancer à leur tour dans cette activité - à laquelle rien ne les prédestine ! Elles fondent leur propre entreprise, Dwador, en 1999, voici tout juste vingt ans. Les sœurs travaillent essentiellement avec les professionnels. D'emblée, elles souhaitent se démarquer de leurs confrères qui distribuent une production chinoise assez banale, uniforme. A leur catalogue : des collections de bijoux en argent massifs, en plaqué or et fantaisie, ces derniers de la maison anglaise Sphinx. Une société réputée qui a vu le jour après-guerre, en 1948, et qui, outre ses propres modèles, crée pour des clients prestigieux, en Europe comme aux États-Unis : Kenneth Jay Lane, Butler & Wilson, Nina Ricci, Caura, Fried Paris, Saks 5th Ave., Neiman Marcus, Bloomingdales, Marks & Spencer...
Broches, boucles d'oreilles et bracelets baroques, boutons de manchettes, toutes ces sublimes parures sont empreintes d'une classe intemporelle qui ramène aux grandes heures de la haute couture des décennies enfuies. Leur style affirmé enchantera celles et ceux qui font le choix de se singulariser sans céder aux attraits factices du tape-à-l’œil. Je les porte les jours où j'ai envie de chic, de vrai chic, en décalage ou en harmonie avec ma tenue.
Encore mille mercis à Véronique pour sa gentillesse, sa disponibilité et son enthousiasme communicatif pour son métier !
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vendredi 14 juin 2019
La vie intime est maritime
J'ai retrouvé dans mes cartons virtuels ce texte - façon "courrier des lecteurs" - publié voici un petit paquet d'années dans le bulletin des plaisanciers de la pointe d'Agon. Rien que ça ! Le thème du vocabulaire maritime me trottait dans la tête depuis un moment. J'avais listé les expressions ayant trait à la mer ou issues du langage des marins. L'inspiration est venue. Le texte est toujours là. Il ne me semble pas - contrairement à son auteur ;-) - avoir trop vieilli. Je n'y ai point touché.
La plupart de ces locutions ont été déformées par l’usage ou ont subi un glissement de sens qui les a éloignées de leur signification d’origine. On note que peu d’entre elles sont encore en usage chez les marins. On a beau se creuser les méninges, aucun lien apparent avec le sens premier n’en jaillit. Qui pourrait imaginer, quand sa voiture refuse de démarrer, que ce verbe signifiait à l’origine “rompre accidentellement ses amarres” ? Voilà notre conducteur en rade : c’est la panne, assurément, qui, avant de s’appliquer à des moteurs et autres mécanismes, désignait l’arrêt d’un navire par réduction de sa voilure, si je me fie aux dires du Petit Robert.
Qui, d’un marin ou d’un simple quidam, sait le mieux s’il est pertinent de mettre les voiles pour prendre le large plus rapidement ? Le tout sans même savoir, bien sûr, s’il arrivera à bon port.... Se rappelle-t-on qu’en étant en bordée on risque d’avoir du vent dans les voiles ? A quoi on pourra rétorquer que cela vaut mieux que d’être tristement encalminé... Il se peut que cette tendance soit ancrée dans nos habitudes. Pas question de baisser pavillon si l’on vient de se faire larguer et que l’on est au creux de la vague ! Après avoir touché le fond, il faut sérieusement envisager de se remettre à flot ! Ceux qui savent mener leur barque, voire naviguer à vue, même au cours d’un débat houleux, vous le diront, surtout s’ils ont beaucoup bourlingué. Il est tellement plus agréable d’avoir le vent en poupe, sans toutefois omettre de veiller au grain... Et il y en a tant d’autres, impossibles à citer sans provoquer la lassitude du lecteur...
Ce ne sont là, cher Président, que quelques considérations linguistico-marines que je tenais à vous livrer. Puissent-elles vous permettre de ne point désespérer du peu d’intérêt de nos compatriotes pour les choses de la mer : celle-ci bat toujours au cœur de notre langue et, si le coq gaulois n’est pas marin, le français est bel et bien maritime, il a gardé la saveur rêche du sel et de l’iode, et les couleurs de l’horizon.
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vendredi 5 avril 2019
Bornéo 1834 : beau (patchouli) ténébreux
Recevoir ou m'offrir un parfum Lutens, c'est toujours un moment d’intense émotion, une fête au caractère presque sacré tant elle rayonne d'une dimension magique et mystique. Source de lumière et de chaleur au creux de l'obscurité, elle est indissociable de Noël, du plus noir de l'hiver, du froid, des illuminations qui scintillent dans nos yeux embués par l'air glacé, des cadeaux qu'on déballe dans un mélange de fébrilité et de recueillement.
Plus le temps passe, plus je les côtoie, plus je me rends compte à quel point les créations de Serge Lutens ont marqué une rupture avec la parfumerie traditionnelle et conventionnelle. Une révolution, ou une révolte, dans un microcosme plutôt petit-bourgeois, ronronnant et frileux - d'où ont quand même jailli des "ovnis". Je pense aux années 70-80-90, à Opium, à Poison, à Angel - et bien d'autres -, qui ont secoué le cocotier et qui, plébiscités par les femmes du monde entier au point de devenir mythiques, dotés d'une abondante descendance, prouvaient que, parfois, le culot payait.
Faire voler en éclats la sacro-sainte dichotomie homme/femme, socle quasi inentamé de la création olfactive (tellement plus pratique tant du point de vue de la culture que du marketing !) était déjà une révolution en soi. Le genre, Serge Lutens n'en avait cure, pas plus que les modes. Il voulait exprimer "autre chose", peut-être simplement "quelque chose" face à la vacuité des compositions qui paraient femmes et hommes au même titre qu’un accessoire, un marqueur social de bon ton, et se contentaient la plupart du temps de "faire joli", c'est-à-dire "sentir bon". Sans nous "parler" plus que ça. Révolte oui, mais c'est sans tapage que son esthétique singulière, profondément originale, s'est imposée avec des jus qui appelaient des images venues d'horizons inexplorés, de l'intimiste à l'infini, et recouraient à la mémoire, à sa mémoire. Et n'attendaient qu'une rencontre avec la nôtre.
Il y a peu de révolutions pacifiques, aussi faut-il s’en réjouir et les célébrer.
Fin 2018, une "nouvelle" collection a été lancée. "Nouvelle" avec des guillemets car, si les parfums sont restés (en principe) identiques, l'habillage a changé. L'inspiration vient d'outre-Atlantique, avec ces "Gratte-Ciel", évocations des constructions vertigineuses de la fin des Années Folles qui rivalisaient de hauteur et de magnificence. Fortune, pouvoir, prestige... c'est alors la surenchère chez les cadors de l'industrie et de la presse - bâtisseurs d'empires à la réussite souvent fulgurante. Les tours filiformes, défi à la gravité et à la raison, cristallisent le rêve américain. Quid de l'"esprit" Lutens dans le profil géométrique de Manhattan, dans cette démesure architecturale ?...
Bien des parfums sont passés de mes chers flacons cloches à ces "gratte-ciel" taillés dans le verre noir opaque (dans la foulée leur prix grimpaient eux aussi vers les sommets), tandis que d'autres se dépouillaient de leur contenant rectangulaire pour revêtir lesdits flacons cloches emblématiques des Salons du Palais-Royal. J'avoue ne pas trop comprendre les ressorts de cette politique dans laquelle on pourra voir une stratégie marketing comme une autre. Après tout, les parfumeurs ne vivent pas que d'amour et d'eau fraîche. Mais, là-dedans, qui décide ? Le Maître lui-même ? Les cols blancs des services commerciaux et financiers ? Je ne sais...
J’ai commencé à m’intéresser au patchouli (et à l’aimer !) avec mon cher et fidèle Patchouly d’Etro, qui m’accompagne en toute saison depuis plusieurs années, et j'ai eu envie de redécouvrir Bornéo 1834* de Serge Lutens, construit autour de cette note, à l’occasion de son « rhabillage ». Ce qui fut fait, à la parfumerie du Soleil d’Or à Lille.
Le duo Lutens-Sheldrake** excelle dans le registre des créations puissantes, opulentes et "sombres", identitaires de la Maison, d'où parfois la violence n'est pas exclue. Bornéo est de celles-là. S’il était une couleur, il serait une palette déclinée du fauve au brun Van Dyck. D'emblée, il présente, à mon nez, une facette vétiver accentuée - un versant entier, même, omniprésent, monolithique. Serait-ce le visage que prend ici le patchouli ? Les deux essences possèdent en effet des composés très proches. Cette note me rappelle la garde-robe de mes grands-parents et la botte de racines de vétiver, antimite naturel, qu'ils y avaient placée - présent rapporté d'Inde des lustres auparavant par un ami de la famille. Souvenir associé aux longs dimanches confits dans l'ennui de mon enfance, dont l'odeur semble se résumer - "mais pas que" - dans cette armoire, entre robes habillées, costumes grands-paternels et chapeaux de cérémonie. Pour cette raison, Bornéo m'a, de prime abord, rebutée. C'était il y a quelques années et je ne l'avais plus humé depuis.
Cette saignée résineuse, légèrement fumée, nettement camphrée, semble soudain se condenser, se calciner pour enfanter un nouveau personnage, la réglisse, noire et amère, dénuée de toute connotation "confiserie", fruit d'une transmutation par le feu. La silhouette longiligne, austère, vêtue de sombre (on croirait voir M. Lutens en personne) s’installe dans un profond fauteuil de cuir craquant et odorant. Elle croise ses longues jambes. Sous la légère patine, on distingue la matière : râpeuse, rugueuse, encore sauvage. Elle insuffle au parfum son caractère âpre et contribue à le structurer, tandis que le camphre (quand je vous parlais d'antimite !), jouant sa partition en sourdine, s'obstine néanmoins à garder ses griffes serrées sur la composition. La "scène" s’étoffe peu à peu de fève tonka - amande, vanille et tabac blond - qui arrondit, adoucit l'ensemble, en assouplit la sévérité - sans le dépouiller de sa rigueur et sa noblesse. Car c'est bien la noblesse qui caractérise Bornéo. Notre beau ténébreux, entre portrait de Buffet et bronze de Giacometti, ne se départit jamais de sa dignité. Mais si, sous son habit strict, toujours droit dans ses bottes, il se refuse aux épanchements exubérants auxquels pourrait le convier le patchouli, il sait déployer une chaleur et une douceur surprenantes, tout en volupté contenue.
*Le nom de Bornéo 1834 se réfère aux châles importés des Indes Orientales Néerlandaises (et de ses comptoirs âprement disputés par les Anglais !), à l'époque où les élégantes d'Europe s'engouaient pour l'exotisme de ces parures. Le patchouli était réputé protéger des "prédateurs" - toujours les mites ! - le précieux chargement au cours de son long voyage. Et son parfum imprégnait durablement l'étoffe...
** Christopher Sheldrake est aux manettes de la création de la plupart, entre autres, des parfums Serge Lutens.
Illustration : Portrait d'une jeune femme dans une robe rouge avec un châle cachemire paisley - Eduard Friedrich Leybold - 1824
Une "petite dame" qui me semble dans sa sagesse bien loin de Bornéo, en dépit de son châle (NdA).
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Rafaèle
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mercredi 6 mars 2019
Dieppe inside
Retrouver Dieppe, après de longs mois. Voir la mer surgir au bout de la route qui plonge vers la ville : une bande bleu-gris qu'on distingue à peine du ciel. Prendre, instinctivement, une inspiration - la première goulée d'air qui emplit nos bronches à notre naissance. Se savoir parvenue aux rives d'un mystérieux continent liquide aux origines de toute vie.
S'offrir chez le traiteur quelques gourmandises qui composeront un repas du soir festif. S'attabler dans l'antre chaud d'un café face au port, prendre un "express côtier" sur fond de musique "d'ambiance" insignifiante et braillarde - de quoi noyer les mots, de quoi faire fuir. Prendre des photos et faire quelques pas tout au bout du front de mer - là où la ville laisse place à l'âpre visage des falaises livré au vent et aux vagues. Se retourner et observer la fumée noire du ferry à quai qui s'étire vers le large dans des contorsions d'ophidien blessé. Là-bas, devant nous, un nouvel éboulement s'est produit. Les marées ont disséminé de gros blocs de craie sur les galets.
Et respirer, respirer autant avec les poumons qu'avec les yeux, aspirer cette lumière, aspirer ce bleu-vert laiteux qui vient doucement bouillonner sur l'étroite langue de sable, incertaine frontière. Il n'y a quasiment pas de vent. La prochaine fois nous prendrons les vélos, pour sentir, comme ivres, l'air marin se glisser sur nos faces, y dessiner d’invisibles tourbillons dans un chuchotis ou un sifflement, voix du vent, voix de la mer, rassurante, inquiétante - inintelligible.
Se dire qu'on reviendra. Bientôt. Chercher. Chercher toujours. Chercher jusqu'au nœud serré des origines ce qui m'attache ici. Chercher dans chaque pas, chercher dans les monotones ruminations des vagues une porte entrebâillée sur quelque miséricordieuse consolation.
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Rafaèle
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