samedi 21 avril 2012

Je dors avec un centenaire


Que ne ferait-elle pas pour arrondir ses fins de mois, allez-vous dire, outrés ? Car il va de soi que le vieillard susmentionné a les rognons bien couverts. Pour quelle autre raison, sinon ? Bon, encore, elle ne fait que dormir. Mais il faut supporter les ronflements qui s'échappent d'une bouche édentée, voire légèrement baveuse. C'est là le prix à payer pour rouler en Maserati, passer ses vacances à l'Eden Roc et goûter à tous les autres plaisirs de la grande vie. Bref, vous m'imaginez parfaitement vénale et dévoyée.
Que nenni ! Vous n'y êtes pas du tout !
Le centenaire en question, c'est L'Heure Bleue, porté sur les fonts baptismaux en 1912 par Jacques Guerlain. Alors que d’habitude je me tourne vers lui dès les prémices de l'automne, le froid et la pluie de ces jours-ci m'ont jetée - prématurément ou tardivement - dans ses bras. C'est dans ses notes aromatiques, fleuries, poudrées et vanillées que je m'endors, comme auprès d'un doudou. On ne saurait imaginer nuit plus chaste. L'Heure Bleue n'est pas un séducteur, mais un compagnon enveloppant et rassurant.
Dans mon petit nuage, je m'interroge pourtant. Si je sentais le parfum d'origine, le reconnaîtrais-je ? Les ingrédients utilisés aujourd'hui ne sont plus ceux d'il y a cent ans. Mais, surtout, la dictature du marketing et des réglementations européennes notamment - qui visent à bannir tout composant potentiellement allergène des parfums - est passée par là. Les marques reformulent leurs grands classiques à tour de bras par un souci de conformité dont on ne sait s'il est louable ou non, utile ou non, et cela dans une absence de transparence que l'on peut déplorer. Combien de fois me suis-je entendu dire dans une parfumerie, par une vendeuse scandalisée, qu'on ne touche jamais aux formules ? Cependant le processus est bien lancé, et au fil des liftings, les parfums perdent leur identité, leur âme, au point que je me demande si les jus mythiques ne sont plus que des noms plaqués sur des fantômes, de vagues sosies qu'on nous fourgue comme identiques aux originaux.
Bon, L'Heure Bleue reste tout de même très beau. En près de vingt-sept ans de vie commune, il a gardé son pouvoir évocateur, sa mélancolie d'un autre âge qui me colle à la peau. Vol de Nuit aussi, bien sûr, mais j'ai nettement détecté des changements dans l'eau de toilette comme dans l'extrait. C'est ce dernier qui a sans doute le plus pâti des reformulations. Ses notes animales, cuirées, son fond vanillé ont été bien rabotés - c'est en tout cas ce que me dit mon nez.
Et j'en suis triste.
Alors je sens que je vais avoir tendance à me détourner de Guerlain. D'autres maisons me tendent d'ailleurs les bras. Il n'est pas sûr que j'y perdrai au change.
Et puis, chuuuttt, en dépit de mes regrets, je porte parfois Vol de Nuit pour dormir, l'été. Son année de naissance ? 1933. Encore un an et je passerai la nuit avec un octogénaire.

Illustration : Mathusalem, abbaye de Canterbury

mardi 10 avril 2012

Etro vaut bien une Messe


Le moins qu'on puisse dire est que Messe de Minuit, de la maison milanaise Etro, ne fait pas l’unanimité sur la Toile et se voit même vilipendé. "Parfum de vieille crypte", "déprimant", "parfait pour un enterrement", "importable", "gothique" (ce qui n'est pas forcément négatif) et même, sur un forum en anglais, "vulgaire". N'en jetez plus.
J'avais approché les parfums Etro l'an dernier par le biais d'Héliotrope. La gamme propose des créations recherchées, originales, souvent à caractère oriental et empreintes de mysticisme. Messe de Minuit est sans doute l'une des plus représentatives de cet esprit.
La première bouffée me fait penser au sirop de figue Monin (mais plus figue sèche que sirop), un peu médicinal, un peu herboristerie, tandis que simultanément crépitent les zestes d'orange et la cannelle, légère et pétillante comme une nuée de petites fées. Le tout a un petit effet... Coca-Cola très surprenant ! L'armoise, cette plante magique, insuffle son amertume et apporte une touche de mystère ineffable.
L'encens, socle de la composition, est présent d'emblée et jusqu'aux dernières exhalaisons sur la peau, où il persiste longtemps. On décèle parfois des accents qui rappellent L'Eau Trois de Diptyque, aujourd'hui radiée du catalogue. Cependant cet encens n'est pas froid et tranchant, mais chaleureux et doux, émoussé par la myrrhe, les résines et une touche d’opopanax. Et puis oui, à un moment donné émerge l'odeur de la pierre humide des églises romanes ou des habitations troglodytiques. Elle est cependant plus familière que déroutante. Rien d'"importable" ici. En fin d'évolution, le parfum évoque quelque peu Sables. Mais là où le Goutal se fait sec comme un fagot de petit-bois, avec à peine une trace de vanille, Messe de Minuit se présente comme un petit matelas moelleux, encens et agrumes capitonnés de musc léger.
Pourvoyeur de réconfort et de réconciliation, le parfum se déploie et s'élève telle une incantation, vibrante des intonations ferventes d'un chant sacré. Le feu couve en son sein. Ce ne sont cependant pas les feux de l'Inquisition ni, à l'opposé, de quelque sabbat. C'est la lumière qui dissipe les ténèbres, fortifie les âmes craintives et ranime l'espoir en nous.
Par ses contrastes mais aussi son unité, Messe de Minuit m'apparaît comme un parfum en noir et or. Noir, comme l'espace suspendu sous les voûtes d'une cathédrale. Or, comme une petite flamme qui court à fleur de peau, diffusant clarté et chaleur. Comme le note Umberto Eco dans Le nom de la rose, reprenant les mots d'Hildegarde de Bingen : "la flamme consiste en une sublime clarté, en une vigueur innée et en une ardeur ignée, mais la splendide clarté elle la possède pour briller et l'ardeur ignée pour brûler".
Tout est dit.

Création de Jacques Flori, 1994.

dimanche 1 avril 2012

Boris, vrai Bleu russe


De nombreux e-mails de doctes visiteurs de mon blog me le laissaient entendre depuis un certain temps, des photos ayant suscité leur vif intérêt. Aujourd'hui, les experts sont formels : Boris est un VRAI Bleu russe. Plus question de le chambrer sur ses origines incertaines et de l'appeler "mon vrai faux Bleu russe". Les tests ADN auxquels j'ai accepté qu'il soit soumis ont même permis de le rattacher aux chats du tsar Nicolas II : Boris est d'ascendance impériale !
Vous imaginez combien la nouvelle m'a réjouie.
Cependant, me suis-je demandé, ma demeure est-elle encore digne d'héberger un matou au pedigree aussi prestigieux ? Comment protéger un tel trésor et le soustraire à la convoitise des collectionneurs et autres nostalgiques des Romanov ?
J'ai hésité à faire poser alarmes et portes blindées. Et puis une nouvelle solution m'est apparue. 
J'espère bien obtenir le meilleur prix de Boris à Drouot.