J'ai lu voici quelques mois Le Mascaret, un roman de Jean-François Coatmeur, auteur principalement de polars. C'est le titre qui m'a fait choisir cet ouvrage "les yeux fermés" : il me rappelait mon chat Mascaret, mais aussi les bords de Seine que j'ai longtemps hantés. Le mascaret, c'est en effet cette vague qui lors des grandes marées remontait le fleuve avec une puissance inouïe, pareille au déferlement ininterrompu d'une armée aux rangs serrés, dans un grondement de tonnerre. Au début des années 60, la Seine fut endiguée, son lit creusé, et le phénomène, de ce fait, "castré". Certains prétendent qu'il n'existe plus, or le mascaret je l'ai vu : s'il n'a plus le caractère spectaculaire - et parfois meurtrier - d'avant les travaux, il est toujours cette vague qui avance sans à-coups et tient en respect le courant contraire. On ne vient pas à bout si aisément des forces de la nature...
Point de bords de Seine ici, mais essentiellement le Pays Basque. Nous plongeons, menés par une belle écriture classique, au cœur des destins entrelacés d'une femme et de deux hommes. Figure emblématique, respectée de la résistance anti-franquiste dans son Espagne natale, le docteur Ramirez s'est rangé des voitures. Il a ouvert un cabinet dans la petite ville d'Irrégui, de ce côté-ci de la frontière, où il mène une vie tranquille - irréprochable, pourrait-on dire - entre Chico, son homme à tout faire et ami, mais aussi son âme damnée, et ses quelques patients. Le guérillero sulfureux s'est effacé derrière l'homme distingué, détaché, le patricien "qui porte une eau de toilette Carven". A priori, un monde le sépare de Chantal, sage bourgeoise parisienne engourdie par l'ennui. Un jour, par désœuvrement, elle assiste à une conférence du docteur qui vient de signer un best-seller retraçant les péripéties de son existence flamboyante vouée au combat pour la justice. C'est, pour Chantal, une révélation quasi mystique. Elle est subjuguée. Elle pense avoir trouvé "la" cause, "sa" cause, celle pour laquelle elle veut s'engager et lutter. Elle quitte son mari, son appartement cossu, part pour le Pays Basque, rencontre le docteur, lui expose son désir de rejoindre les rangs de ses anciens frères d'armes. Il hésite, refuse, elle revient à la charge, et le docteur Ramirez, dont elle devient la maîtresse, la fait, à contrecœur, intégrer à un réseau de lutte terroriste contre le régime en place, où des missions subalternes lui sont confiées. Car, en Espagne toute proche, la sédition armée se poursuit sans trêve. Chantal, frustrée, réclame des missions plus périlleuses. Ramirez cède. Enfin, elle va connaître l'exaltation des actes "héroïques" et voir sa destinée s'accomplir.
Le "coup de main" est cette fois bien plus risqué pour elle : abattre un dignitaire du régime. Défaut de préparation, imprévus : les choses tournent mal pour le trio désigné à cette "tâche". Les deux terroristes parviennent à leurs fins mais tombent sous les balles de la police ; Chantal ne parvient pas à s'enfuir - une Alfa Romeo récalcitrante - et est arrêtée. Jugée, elle échappe de peu à la peine capitale et se voit condamner à la perpétuité dans une prison au régime particulièrement sévère, propre à broyer les plus fragiles. Ramirez, qui a suivi fébrilement le déroulement du procès et donné une conférence en faveur de sa protégée - appel véhément à l'opinion publique et à la clémence des juges -, est hanté par la culpabilité. Le mari de Chantal entre en scène, avec l'intention de tuer Ramirez qu'il considère responsable du sort de sa femme. L'agneau s'est mué en lion. Pourtant, au fil de leurs conversations, une étrange sympathie va se nouer entre les deux hommes, qui se découvrent un but commun : sauver Chantal qui dépérit dans sa geôle.
Tous ignorent que, quelque part, dans l'ombre, ce que l'on imagine être une sinistre police politique est à l'œuvre. Une "présence" qui confère dès lors au roman la tournure d'un thriller. A travers de laconiques échanges, nous apprenons l'existence d'inquiétants individus anonymes qui surveillent et pistent les protagonistes pour référer de leurs faits et gestes à une autorité sans visage, qui semble aussi puissante que redoutable, et fait en permanence peser une sourde menace sur ces derniers. Y a-t-il un traître dans l'histoire, et si oui, qui est-il ?...
C'est le choc quand Chantal s'évade du pénitencier en compagnie de codétenues qui, moins chanceuses, sont rattrapées et tuées. Une évasion fortement médiatisée qui ne laisse pas d'étonner et d’inquiéter Ramirez. Les circonstances de cette cavale lui paraissent plus que suspectes : les autorités franquistes ont-elles manigancé l'opération ? Et pourquoi ? Comptent-elles sur la fugitive pour les mener jusqu'à lui ? Franco, sur le déclin, n'a, en effet, pas oublié l'un de ses plus irréductibles opposants...
C'est le choc quand Chantal s'évade du pénitencier en compagnie de codétenues qui, moins chanceuses, sont rattrapées et tuées. Une évasion fortement médiatisée qui ne laisse pas d'étonner et d’inquiéter Ramirez. Les circonstances de cette cavale lui paraissent plus que suspectes : les autorités franquistes ont-elles manigancé l'opération ? Et pourquoi ? Comptent-elles sur la fugitive pour les mener jusqu'à lui ? Franco, sur le déclin, n'a, en effet, pas oublié l'un de ses plus irréductibles opposants...
L'ouvrage n'est pas sans rappeler - d'assez loin, toutefois - Les mains rouges, de Jens Christian Grondahl, que j'ai lu voici quelques années : la lutte meurtrière contre un système haï, et non pas un régime autoritariste, une femme engagée - plus par désœuvrement que par idéologie - comme chauffeur, et donc complice, de ses compagnons terroristes lors de leurs "actions" dans l'Allemagne des "années de plomb".
Sous des dehors assez conventionnels - style, milieu d'où sont issus les héros - et les apparences d'une intrigue policière mâtinée de roman d'espionnage, c'est bel et bien d'une tragédie que Jean-François Coatmeur pose les jalons. Dès les premiers mots, tout est écrit, et les destinées n'appartiennent plus ni à l'auteur ni aux personnages, qui se meuvent et agissent tels les pièces d'un échiquier sous la main de divinités indifférentes ou cruelles, mais toujours implacables. Il dévoile lentement le mécanisme de destruction à l’œuvre, dont l'épilogue réside au-delà de la dernière ligne...
Sous des dehors assez conventionnels - style, milieu d'où sont issus les héros - et les apparences d'une intrigue policière mâtinée de roman d'espionnage, c'est bel et bien d'une tragédie que Jean-François Coatmeur pose les jalons. Dès les premiers mots, tout est écrit, et les destinées n'appartiennent plus ni à l'auteur ni aux personnages, qui se meuvent et agissent tels les pièces d'un échiquier sous la main de divinités indifférentes ou cruelles, mais toujours implacables. Il dévoile lentement le mécanisme de destruction à l’œuvre, dont l'épilogue réside au-delà de la dernière ligne...
De fait la clé du titre n'est livrée qu'à la fin du roman. Un mascaret apprécié des surfeurs subsiste toujours sur l'Adour, la "Barre". La vague tumultueuse emporte tout sur son passage et, si elle joue un rôle purificateur, sa violence abolit le parcours, le passé de ces êtres aspirés - par choix ou malgré eux - par une histoire, par l'Histoire, ne laissant derrière elle que l'amertume de l'oubli.
Le Mascaret est publié chez Denoël et au format poche chez Liv'Poche.
Illustration : le mascaret à Caudebec-en-Caux, Seine-Maritime, carte postale ancienne.
Le Mascaret est publié chez Denoël et au format poche chez Liv'Poche.
Illustration : le mascaret à Caudebec-en-Caux, Seine-Maritime, carte postale ancienne.