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mercredi 20 octobre 2010

Essences rares (pompes et circonstances)

Dans les stations-service, le fond des cuves est plus sec que le désert d'Atacama ou qu'un cœur de PDG.  On est prêt à payer le sans plomb à prix d'or. Il ne sert à rien de supplier le pompiste pour obtenir quelques gouttes de carburant ; d'ailleurs il n'y a plus de pompistes, à croire qu'ils ont tous été enlevés dans des soucoupes volantes par des petits hommes gris (les témoignages concordent : les extraterrestres kidnappeurs sont GRIS). A ce propos j'espère pour leurs occupants que les soucoupes volantes avaient leur réservoir plein avant de venir en France : on ne sait jamais.

Boris, un homme gris venu de l'espace ?

Corollaire de la situation : je n'irai pas en Normandie cette semaine. Je resterais bloquée à mi-route (bon, je ne suis pas contre une halte prolongée dans la Somme, mais enfin) ou, si je parvenais à destination, je ne pourrais pas rentrer. Bloquée à Dieppe ou à Rouen. Un petit séjour était dans l'air pourtant. J'en ai besoin. J'étais bien décidée. Ah, faire un petit coucou à Maman Mule, dîner au Comptoir à Huîtres... Et puis la pénurie galopante est venue s'opposer à moi.

Dieppe : un mirage ?

Les désirs contrariés sont bien vexants.
J'ai toujours de bonnes raisons de partir et de bonnes raisons de ne pas partir. De mauvaises raisons, surtout aussi. Quand elles ne sont pas externes et, dirons-nous, indépendantes de ma volonté, je suis prisonnière de mes hésitations, de mes entraves. La Normandie est là, lointaine et proche, désirée et tellement idéalisée... C'est, à chaque fois, un rendez-vous d'amour, et à l'excitation se mêle la crainte d'être déçue.

 Une envie d'Azur normand...

Ma terre d'élection me manque. Je dois prendre mon mal en patience, attendre que le fluide vital coule à nouveau sans restriction des pompes. Car les deux cents kilomètres et quelques qui me séparent d'une chambre normande sont infranchissables pour le moment. Tel est le résultat de la pétrolo-dépendance. Dès le déblocage, plus d'atermoiements ! Promis !
Finalement la meilleure des choses est de partir sans raisons. Mais avec un peu d'essence dans sa voiture tout de même...

lundi 24 mai 2010

Mon beau navire Ô ma mémoire : adieu à la "Jeanne"


Le salut aux couleurs...

Bouh, c'est loin... (Plus loin que ça n'en a l'air.)

La Jeanne d'Arc part en retraite, après quarante-six ans de bons et loyaux services. Une retraite sans doute peu glorieuse, indigne d'elle, si j'en juge par le sort réservé à d'autres vaisseaux mythiques. Le Clémenceau et, dans le "civil", le France... Nous ne sommes pas un peuple de marins ! Et le navire-école fait escale à Rouen, sa ville marraine, pour son ultime tournée. Dès que j'ai appris la nouvelle, j'ai décidé d'aller lui faire mes adieux. Et raviver mes souvenirs...
J'ai visité la "Jeanne"  il y a seize ans, lors de l'Armada 94. En resquillant. Oui, je peux l'avouer à présent, car il y a prescription. J'avais, la veille au soir, bavardé avec des petits marins du porte-hélicoptères dans un pub de la rue du Gros (oui, je sais, on se croirait dans un roman de Mac Orlan). Ils nous avaient invitées, ma mère et moi, à visiter leur bateau : en faisant appeler l'un d'eux à la coupée, nous avions court-circuité la file d'attente qui s'étirait sur deux cents mètres de quai. Des ponts intérieurs à la passerelle, des cuisines au fauteuil du "pacha", nous avions accédé à des zones "interdites au public". Frayeur à un moment donné : le bateau bouge ! En fait, en raison de la marée, on est en train de retendre les amarres (j'apprends de la bouche de notre guide qu'on les appelle des "aussières").
Je recevrai, quelques mois plus tard, une carte postale du Cap Horn...
Beaucoup d'émotion donc en ce samedi après-midi. Tout d'abord, il faut (beaucoup) marcher. La Jeanne est amarrée en aval du pont Flaubert, autant dire au tonnerre de Brest. Mon point de départ est en amont du pont... et mes pieds, dans leurs sandales, ne sont pas équipés ! Je vois le bateau, au loin, tel un mirage, dans le soleil qui cogne sur le port. Irai-je jusque là ? OUI ! Je suis ici pour lui.
Alors, je marche, je marche. J'aime marcher sur les quais, j'aime l'activité des ports. A Rouen, tout semble ensommeillé, n'étaient les colonnes de piétons qui se dirigent vers le bout du quai ou en reviennent. Le bateau ne rapproche que lentement. Enfin, m'y voici. Des photos. Je suis filmée, index sur le déclencheur, par l'équipe de France 3 Haute-Normandie. Les images seront diffusées au journal de 19 heures. C'est mon hommage inattendu à la Jeanne.
Même à la veille de l'arrêt des machines, celle-ci se fait belle : dans une nacelle suspendue au-dessus de l'eau, deux marins armés de pinceaux-balais s'activent sur la coque. A bord, on prépare la réception du soir pour quelques privilégiés, dont je ne fais pas partie...
Pourtant je ressens de la tristesse dans l'atmosphère. Ce n'est pas la fête. La Jeanne n'est pas là pour ça. Bien sûr, elle sera célébrée comme il se doit, mais...
La tête pleine d'images, je rentre par le bus. Mes pieds meurtris m'en sont reconnaissants. Et j'apprécie de voir Rouen en me laissant conduire...
Il me semble qu'une époque prend fin. Les générations de marins qui ont servi à bord du vaisseau ou y ont été formées doivent éprouver ce pincement au cœur bien plus profondément que moi...
Les bateaux, comme tout le reste, sont faits pour passer.

Un jeune homme pomponné...

Ce n'est pas tout à fait l'image qu'on se fait d'un cap-hornier...

Dans la marine, si ça bouge tu salues, si ça bouge pas tu repeins.

 Pour les bordées en ville du commandant ?

La Jeanne, on l'aime peu ou... proue !

Une vieille (?) dame légendaire encore pleine d'allure.

R 97...

Tout est dit...

C'est en fini des voyages. La Jeanne ne reviendra plus à Rouen. Nul autre bateau ne pourra la remplacer.
Si ta vieille coque pouvait nous raconter, Jeanne, que dirait-elle ?...
Je pense à La chanson du Mal-Aimé :

Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir ?

Où va la jeunesse, où vont les années, où vont les vieux bateaux lourds de la mémoire des vagues et du monde ?

Pour finir, cette magnifique chanson de William Sheller...


jeudi 29 octobre 2009

Une Auvergnate



Je vous avais promis de vous parler de mes Auvergnats. Auvergnats métaphoriques, bien sûr, ceux de la fameuse chanson de Brassens. Leurs filles et fils spirituels. Ceux qui allument un petit feu en vous, ou raniment une flamme éteinte. Ils consolent, réconfortent, apaisent les souffrances physiques et morales. D'un regard, d'un geste, d'une parole,  ils vous éclairent quand tout est sombre. Ils balaient vos doutes au sujet de l'humanité. Ce sont des femmes et des hommes providentiels. On se demande si on les a mérités.
Il sera question d'une Auvergnate normande, ou du moins rencontrée en Normandie.
Janvier 2002. J'ai décroché un poste dans un organisme à vocation sociale à Rouen. Au bout d'une semaine, je suis devenue la femme à abattre. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Je me sens - ou on me fait sentir - de moins en moins à ma place. Je rame, je n'ai - on ne me donne - aucun point de repère.  Février. Ma période d'essai tire à sa fin et des remarques me laissent entendre qu'elle ne sera pas prolongée, tout en me maintenant dans l'incertitude. Mon rêve s'effondre. Je vais devoir quitter la Normandie...
Lundi matin, au retour d'un week-end chez moi. Je sais ce qui m'attend. Visite à la médecine du travail avant de reprendre le boulot. Je ne me fais pas d'illusions. On veut me virer, alors à quoi bon me plier à ce simulacre ?
Formalités auprès de l'infirmière. Le médecin, une femme, me reçoit dans son bureau. La cinquantaine, cheveux blond foncé courts. Je lui expose ma situation, mes angoisses. Elle m'écoute avec une attention extrême. Son regard est intense, pénétrant. Elle me cerne, je crois, très vite. "Ce travail ne vous convient pas", me dit-elle. Nous parlons, peut-être m'a-t-elle examinée, je ne m'en souviens pas. Je ne m'attendais pas à un échange aussi simple, aussi évident. Ça fait du bien. Je retiens un conseil : "Surtout, n'arrêtez pas de fumer maintenant, ce n'est pas le moment !". Je prends de la distance avec ce travail, cette atmosphère délétère surtout, qui ne vise qu'à me faire vaciller. Les cons, c'est eux, pas moi.
Il s'est passé quelque chose. Cette femme m'a insufflé un peu de force. Elle m'a comprise, a cru en moi.
Le soir je suis proprement éjectée, comme je le savais, sur des motifs dérisoires. Je ne suis pas dupe. Je pense à ma rencontre du matin, à cette femme extraordinaire, et la violence de ce moment - car c'est bien de violence qu'il s'agit - glisse et m'atteint moins qu'elle n'aurait dû.
Je m'étais promis d'écrire à ce médecin, et puis... Je me serais sentie ridicule...
Des Auvergnats il y en a d'autres. Oui, oui, je vous en parlerai. Je le leur dois. Ce sont des sauveurs. Pour employer une expression à la mode, c'est mon devoir de mémoire. Mais plus qu'un devoir, c'est un besoin.
Mes Auvergnats sont au-delà de la gratitude. Je ne les oublierai jamais.

lundi 28 septembre 2009

L'aventure commence à l'aurore



Les vêtements et les produits de beauté qui rejoignent l'un après l'autre le sac de voyage. Le chargement de la batterie du zap. La vérification des niveaux de la Tine. Le stock de provisions pour les chats. Je ne m'inquiète pas pour eux : non qu'ils sachent ouvrir les boîtes eux-mêmes, mais une voisine dévouée en prendra soin.
J'ai réservé pour deux nuits en chambre d'hôtes à Duclair. La maison est en bordure de Seine. Départ mercredi matin. Peut-être un crochet par Dieppe, en fonction de l'état des troupes.
Mais que d'obstacles, que de complications, tant extérieurs qu'intérieurs, comme le souligne Gris-Bleu, avant de se décider, de se lancer !
J'évite de penser au retour.
Découverte d'une nouvelle chambre normande. Le lieu, je le connais bien. Duclair, c'est une histoire très ancienne. Elle va s'offrir un peu de renouveau.

L'aventure commence à l'aurore
A l'aurore de chaque matin
L'aventure commence alors
Que la lumière nous lave les mains !



(Le texte complet est ici)

samedi 24 janvier 2009

Un an

Il y a un an et quelques jours, je mettais en ligne ce blog. En quête de la chambre "fantôme", dont je ne sais si elle appartient au passé ou à l'avenir. Une première pour moi, et peut-être le début d'une aventure, essentiellement introspective certes, mais une aventure quand même. Ma chambre normande était au bout des lignes, au bout des mots. Il m'était donné de l'atteindre, de la meubler, de la peupler, de la faire vivre, de la vivre parfois. Pari tenu ? En un sens, oui, si cette chambre est destinée à rester une projection holographique. Et non, puisque mon rêve (puis-je parler de projet ?) ne s'est pas concrétisé.
Je n'ai pas trouvé ma chambre normande en 2008. Je m'en suis approchée. J'ai posé mes sacs en divers lieux, pour 24 ou 48 heures. Ce n'est jamais assez. Il y a la frustration teintée d'envie d'être toujours "chez les autres". Et les retours toujours si difficiles qui m'arrachent au sol normand. Il ne tient qu'à moi ? Je n'en suis pas sûre. Les choses ne sont pas si simples, et il m'appartient de me mettre "au clair" avec moi-même. De trouver le déclic, l'énergie, et de ne plus mettre celle-ci seulement dans l'écriture...
2008. L'Armada en juillet, la découverte de la merveilleuse chapelle de Flainville... J'ai suivi plusieurs fois ma petite route - ah, le coup au cœur en apercevant les eaux vagabondes de l'Eaulne !
J'ai (re)garni mon sac de rouges à lèvres, poussée par quelle frénésie, quelle peur du manque, quel amour de la couleur aussi ? Je n'ai pas manqué mon rendez-vous autoroutier de juin, le coeur meurtri par le départ tout récent de la Fée... (Le départ est moins récent mais le cœur est encore meurtri.)
Toujours sur le versant "triste", je ne suis pas allée à la recherche de Colette. Trop de souvenirs et d'émotion à la clef, et puis, excuse suprême, je n'avais pas le temps, la durée de mes séjours en Normandie étant mesurée.
Mon réveillon du 31 décembre a eu lieu au G..., euh, au Comptoir à Huîtres, et ça veut dire beaucoup pour moi. Je vous en reparlerai !
2008 m'a laissé des souvenirs, des regrets, des envies, la trace de bouffées d'émotion que je ne songe qu'à retrouver, renouveler, inlassablement... qu'attendre d'autre au fond d'une année "bien remplie" ?
Voilà. J'espère ne pas vous avoir lassés avec mes obsessions, mes retours sur le passé, ma velléité. Vos visites, vos commentaires me touchent énormément. Vous me donnez le désir de poursuivre ce cheminement. C'est ce que je peux souhaiter de mieux à mon blog : qu'il vous "rencontre".

Que 2009 soit pour vous un creuset à envies et à souvenirs. Bonne année à tous.

Photo : l'Eaulne à L'Epinay, point de départ de "ma petite route".

vendredi 15 août 2008

Le sourire du marin inconnu

Triste constat ce jeudi matin dans la chambre normande du quai du Havre où j'ai établi mes quartiers d'été. Mes pieds ont bien morflé. Dessous, un peu plus bas que les orteils, ils s'ornent d'énormes ampoules. Les décos de Noël des Champs-Elysées, c'est rien à côté ! Perçage, désinfection, pansements. Je suis parée - enfin, il faut le dire vite - à appareiller.
Les bateaux, ce sera pour cet après-midi. Toujours ce besoin de me fondre dans le cœur de la ville, d'en retrouver les contours. La matinée se termine par un café à la Brasserie Paul, un lieu que je suis heureuse de retrouver. Il est immuable, rassurant. Mais là comme ailleurs on ne s'attarde pas...
Il est l'heure de déjeuner. Le Big Ben Pub (dit "le Big") propose une petite restauration le midi. Il est niché au pied du Gros Horloge. C'est un endroit "hanté", où il suffit d'un claquement de doigts pour convoquer les souvenirs. Je pénètre dans cet antre tout de pénombre et de bois luisant. Et un double croque-monsieur au chèvre, un ! Je choisis pour l'accompagner une bière belge d'abbaye, la Saint Idesbald. Je connais. Pas la bière, mais le nom et l'endroit. C'est sur la côte belge. J'ai passé mes toutes premières vacances dans la ville juste à côté. J'avais trois mois.
On m'apporte quelque chose qui a, en gros, le volume, disons, des Bienveillantes. J'ai eu le yeux plus gros que le ventre... mais c'est délicieux ! On déjeune au calme, dans la semi-obscurité. Contraste avec l'agitation du dehors. Des touristes photographient le "Gros". Du monde, du monde. Mais les vieilles pierres du Big sont bien amarrées et le fleuve de la rue ne m'entraîne pas...
A moi les quais, les bateaux... la foule ! Rive gauche, aujourd'hui. La pluie s'est mise à tomber. Pluie drue, lancinante, têtue. Le franchissement du pont Guillaume est un exploit en soi. Files compactes, montantes et descendantes, de visiteurs dans les escaliers. On se bouscule, et la politesse n'est pas à l'ordre du jour pour certains (elle ne l'est sans doute jamais). Malgré le temps la file s'allonge à la coupée du Vespucci. Je dédaigne le géant italien. Le Mir aussi. Il faut pour approcher du navire viking Dreknor franchir des passerelles peu rassurantes. Un peu plus loin, l'Artémis. Bon, je suis ici pour visiter des bateaux ! Je m'engage sur la première coupée. Sous les pieds le ponton tangue et roule. On se croirait en mer. Le voilier constitue un abri précaire - et relatif ! - contre la pluie. Discussion avec un organisateur de l'Armada. Mais il ne faut pas traîner pour quitter le bateau, car d'autres visiteurs attendent...
A terre, les pieds barbotent dans des sandales qui font eau, les cheveux sont trempés. C'est la Berezina ! Retour rive droite dans les mêmes conditions. J'échoue dans un café installé sous chapiteau. C'est la pagaille. Il me faut patienter un quart d'heure à la caisse pour obtenir un café qui me requinque à peine.
Il pleut tant que mon téléphone portable prend l'humidité dans mon sac à main. Les touches ne répondent plus ! Je dois en changer en catastrophe. Il y a un espace SFR rue du Gros, côté Vieux-Marché, où je suis très rapidement et très bien accueillie. Je sors de là un nouvel appareil dans mon sac. Mais je me rends compte qu'un coup de sèche-cheveux suffit à rendre la forme à mon "vieux" téléphone... Telle est la technologie du XXIe siècle...
Dernier soir. Dîner créole rue du Vieux-Palais. Dehors, c'est un défilé ininterrompu. On va vers les quais, on en remonte. Des uniformes émergent du flot, tels des îlots sombres. Non, ce n'est pas "comme d'habitude". L'atmosphère, la "saveur" de cette soirée que je perçois dans un kaléidoscope d'éléments disparates mais qui me disent tous : "Tu es en Normandie. Tu es à Rouen. Tu es un peu chez toi. C'est l'été. C'est la fête". Rouen est transfigurée. Je l'aime - aussi - comme ça. Comment se fait-il que, malgré la quiétude de ce moment, de ces moments, je me sente en dehors de l'animation, de la liesse, sans attaches ? Sans autres liens, sans autre appui que ce qui me relie au passé et va se délitant sous l'effet du temps et des caprices du ciel comme un drapeau fatigué ? Exilée et à jamais étrangère ?
Pourtant - est-ce le ti punch ? - je suis bien, dans mes contradictions mêmes...
Après un tour nocturne sur la rive droite, je rentre à l'hôtel en longeant le quai du Havre. Un marin mexicain en grand uniforme m'adresse en me croisant un sourire spontané, lumineux. Le premier sourire de marin de cette Armada. Cafard. Je rentre demain. Ces sourires déchirants sont les plus beaux, bien sûr. On ne les reverra plus jamais. Jamais est bien l'un des seuls mots qui aient encore un poids dans une vie humaine. Enfin, je l'espère, même si ce mot est aussi le plus désespérant. Comme une chanson de Brel. Comme un poème de Baudelaire. Mais les poèmes ne sont pas la vie. Et la vie vous touche en plein cœur, en pleine chair.
Demain je quitte Rouen.

samedi 19 juillet 2008

Foule sentimentale

Mercredi 9 juillet. Ça commence mal, ou plutôt ça commence comme je m'y attendais : le parking Haute Vieille Tour est complet. Il faut attendre à l'entrée qu'une place se libère pour accéder à ce lieu stratégique. Finalement les choses se passent plutôt vite. Lorsque je me présente à la barrière, la borne veut bien me délivrer un ticket illico. Mais ce n'est qu'au troisième sous-sol que je trouve une place, au mépris d'un sens interdit !
Retour à la surface de la terre. Je suis à Rouen ! Pour l'Armada ! Je ne vais pas me ruer sur les quais. Il faut songer à se restaurer. Place de la Calende, à peine un coup d'œil à la vitrine de l'Artisan Parfumeur qui propose pourtant ses soldes, rue des Carmes... Je me dirige vers le Bistrot des Carmes*, place des Carmes. Un lieu que j'avais apprécié et où je n'ai pas mis les pieds depuis plus de deux ans. Une éternité. Je garde de bons souvenirs de leurs tartines et de leur colombelle, ce vin blanc sec et fruité du Gers. Eh bien, je ne suis pas déçue. "Comme d'hab" il y a foule, mais une table située près de l'entrée m'attend. Sur une affiche, un petit singe stylisé me fait penser à Bébé, mon chat, "mon petit singe", qui nous a quittés voici une semaine... La tartine "Eglantine" (au foie gras) est excellente. Elle a aussi un goût de retrouvailles. Retrouvailles avec Rouen. Je reprends pied dans ma ville grise et bleue.
Me voilà sur le quai rive droite. Les bateaux sont là. On aperçoit leurs mâts bien avant le pont Guillaume. Vision saisissante dans un rayon de soleil. C'est sur place que ça se complique, mais c'est la même chose à chaque "édition". Il faut se frayer un chemin à travers les différents "courants" qui avancent à des vitesses très variables et la progression est difficile ! Il est plus de 16 h 45 et le Christian Radich, voilier norvégien, est fermé à la visite. Pas la peine d'espérer monter à bord du Cuauhtemoc, sinon au prix d'une longue attente. Le Sørlandet, un autre norvégien, a l'air de m'attendre... Je m'élance sur l'échelle de coupée - un moment que je n'ai pas vécu depuis longtemps. Emotion. En vertu du principe d'exterritorialité, je suis à présent au pays de la Fée. Je pense à elle sans cesse. Le zap clique. Une moisson d'images, tout saisir, pour ne pas oublier. On ne visite que les parties non couvertes du bateau. Je note que la cuisine propose du lapskaus, un nom que j'ai déjà croisé chez Staalesen. Il s'agit d'un ragoût typique de la Norvège. Ma culture nordico-policière me sert :-) !
Je me sens bien à bord d'un bateau. La vie semble s'y écouler à un autre rythme. J'aime être sur l'eau. Le Sørlandet a beau n'être pas le plus couru des navires présents, on se bouscule un peu. Que vient-on chercher ici ? Le rêve, l'évasion par procuration ? Car, on le sait, "ils" vont repartir. Vers d'autres mers, d'autres rivages. Et ils ne nous emmèneront pas.
En 89, aux "Voiles de la Liberté" (appellation moins guerrière qu'"Armada" !), je ne savais pas que de tels bateaux existaient encore.
Je marche jusqu'au Staadsraad Lehmkul, le troisième et dernier norvégien de l'aventure. Le plus grand, aussi. Machine arrière. Je n'irai pas plus loin. Les derniers bateaux - des "gris", des navires militaires - sont au tonnerre de Dieu. Un café à la terrasse du Bureau. On est "filtré" par un cerbère à l'entrée. Je n'aime pas. Mais j'apprécie de me poser. Le soleil est là, mais le vent souffle en bourrasques. La foule défile à mes pieds, en quête d'images éphémères.
Je reprends mon cheminement vers le pont Guillaume, qui semble bien loin, si loin. La fatigue, la lassitude aussi, commencent à me gagner. Trop de monde, trop de bruit. Pourtant je suis heureuse d'être ici. La lumière de fin d'après-midi, les mâts qui strient le ciel... Un rendez-vous honoré...


* Le Bistrot des Carmes
37, place des Carmes
02 35 71 66 89
Formule à 9,50 € (tartine ou salade, dessert et café).

mardi 8 juillet 2008

Partir...

... même pour deux jours. Eh oui, je vais voir les bateaux de l'Armada à Rouen. Ce n'est plus tout à fait l'enthousiasme des premières années, pourtant je n'aurais pas voulu manquer l'événement - encore une de mes contradictions ! Retrouvailles pleines d'appréhension. La ville m'a-t-elle oubliée ? Que vais-je y trouver ? Des bouffées de mémoire éparse. Et l'ombre de celle que je fus. La question n'appelle pas forcément de réponse, du moins pas de réponse formulable.
On verra !

jeudi 17 janvier 2008

Ville d'histoire...

Poser un pied à Rouen, c'est faire un saut dans mon histoire. Archéologie perso à fleur de présent. A la différence près qu'en archéologie, les strates sont bien séparées et qu'à Rouen, elles sont perméables, elles se télescopent, s'interpénètrent. Les souvenirs surgissent et se juxtaposent, non pas en fonction de leur plus ou moins grande ancienneté, mais des associations immédiates de la pensée.
Mes propos corroborent sans doute l'idée répandue que Rouen vit dans et de son passé. Pourtant... J'aime la ville animée, où l'effervescence urbaine côtoie le calme des rues pavées qui vous recueillent quand la circulation des grands axes devient insupportable. Là encore on passe d'une époque à l'autre, comme si on était embarqué dans une machine à remonter le temps. C'est d'ailleurs ce que je fais à Rouen. Je ne ferais que ça s'il n'y avait le présent. Le bonheur de fouler à nouveau un sol aimé. Je retrouve avec plaisir mes petites rues, mes cafés, mes boutiques. L'appel régulier, le timbre des cloches de la cathédrale et du campanile du "Gros". Pour un peu on se croirait en Italie. Bonheur aussi de se laisser porter par ses pas, de marcher à la découverte de l'inconnu, faisant fi des ombres familières qui jaillissent parfois dans une ville que je ne voudrais ni ne pourrais laver des souvenirs.
Rouen, ville grise et bleue comme une "Cathédrale" de Monet. Tant de printemps, tant d'automnes ont passé sur elle et sur moi, sur elle et moi. Tant de soleils révolus et pourtant toujours renouvelés, toujours semblables. C'est la même lumière qui éclaire des jours différents. Mes souvenirs ne tiennent pas compte du temps et des saisons. C'est cette lumière que je retrouve à chaque fois. Quelque chose en moi s'est arrêté ici. Quelque chose que je cherche. Sait-on jamais ce qu'on laisse de soi dans un ailleurs finalement si proche ?
Allons-y, lâchons le grand mot : Rouen n'est-elle pas une ville plus fantasmée qu'expérimentée par les sens et l'esprit, par une vie quotidienne propre à forger des habitudes ? Je n'en sais rien. Sans doute. Un peu. Mais que j'arrête de me flageller, de mettre en question cet élan qui me porte vers la ville !
Rouen est pour moi liée depuis longtemps à ces vers d'Apollinaire :

Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais.


Mon bateau est parti mais je suis revenue. Mon ombre me suit, certes, parfois je l'interroge. Elle garde le silence.
Je reviendrai. Le soleil se lèvera toujours sur les quais de la Seine pour arracher de mouvantes étincelles à la surface de l'eau.