mardi 18 septembre 2012

And it's such a sad old feeling... (18 septembre)

Fin mai 2011.
Gobelin, mon Jolibeau, mon Gobo, mon Goblin-boy... Mon goûteur de bûche.
Le petit microbe tout noir que j'avais ramassé sur un trottoir un soir de septembre 2010, le 18 septembre très exactement, s'en est allé. Irrémédiablement.
Je m'étais bien sûr hâtée de raconter notre rencontre, avant de déceler en lui un un authentique gobelin normand.
Je me rappelle le moment où je l'ai pris dans mon bras pour le ramener chez moi. Il levait vers moi un regard à la fois confiant et interrogateur. L'image même de l'innocence. Où l'emmenais-je ?
Il était si faible que j'ai cru qu'il ne passerait pas la nuit. La suite m'a donné tort.
Il était devenu un magnifique matou, les yeux vifs, la livrée noire, drue et douce, semée de poils blancs. Il se jetait dans des batailles échevelées avec sa "sœur" Arwen, arrivée deux mois avant lui. Je le revois, levant soudain un museau inquiet, ce museau pointu qui lui donnait des mines chafouines et dénotait une curiosité sans cesse en éveil. Savait-il ce qui l'attendait ?
Ce jour de septembre 2010, je ne voulais pas le laisser mourir seul dans la rue. C'est pourtant ainsi qu'il nous a quittés.

Le titre de ce billet est tiré d'une chanson de Tom Waits, Innocent when you dream. Je suis capable de l'écouter en boucle. Sur Youtube et dans ma tête. Sa mélancolie m'accompagne et berce mon chagrin.
Allez, je vous la poste... 

Rédigé début juin 2011.






mardi 28 août 2012

La montre


L'anecdote figure dans la préface d'un roman de Thomas Hardy, Tess d'Urberville sans doute. L'histoire est narrée par Hardy lui-même. Un jeune homme offre à sa fiancée une montre. Las, il décède, et étrangement la montre s'arrête. Quelques années plus tard, alors que la jeune femme, ayant trouvé un nouveau promis, s'apprête à convoler, la montre se remet à fonctionner. Ce récit m'avait frappée par son caractère surnaturel, qui interroge plus largement le rapport de l'objet à son propriétaire. En dépit des années, je pense souvent à cette montre qui "revit" et rappelle le défunt au souvenir de la femme qu'il aimait, le jour même de ses noces. Je ne sais si l'histoire est vraie, mais elle évoque la symbolique qui unit les battements du cœur au mécanisme horloger.
Ainsi, peut-être, la montre que l'on m'a offerte pour mes quinze ans. Elle pouvait paraître bien classique pour une jeune fille, mais j'avais jeté mon dévolu sur ce modèle au cadran ovale ivoire et noir. C'est une montre mécanique, avec un remontoir. Il faut s'occuper d'elle tous les jours, veiller à ce que ses aiguilles ne cessent pas de tourner dans leur course vers l'éternité, à ce que son tic-tac ne s'arrête pas. Car c'est une montre qui fait tic-tac, contrairement à mes Swatch dont le leitmotiv est un "tac-tac-tac-tac" nettement moins mélodieux. C'est peut-être suite à mes retrouvailles avec Amazone, qui me ramène à la même époque, que j'ai eu envie de la porter à nouveau. De la faire revivre.
Récemment, j'ai donc fait changer son bracelet. Elle est toute fine. Son style n'a pas vieilli. Je la porte de temps en temps. Elle chantonne à mon poignet, avec la même obstination rassurante qu'il y a trois décennies.
Douces comme l'acier poli, aussi implacables qu'une Parque, les montres ne se contentent donc pas de mesurer le temps, ce voleur impalpable que rien ni personne ne retient ? Au contact de nos peaux, nos veines, nos nerfs, seraient-elles en symbiose avec ce que nous sommes ? En garderaient-elles la mémoire ?
Je pense à la montre de Thomas Hardy. Je pense à toutes les montres anciennes, à leur âme palpitante, dépositaires de l'écho lointain d'un cœur.

jeudi 9 août 2012

Le Chat et le Lion

Non, ce n'est pas une fable méconnue de La Fontaine, exhumée des archives longtemps oubliées de quelque collectionneur. Qu'est-ce qui peut bien, alors, réunir les deux félidés, la divinité familière et le "roi de la savane" ?
J'ai récemment rendu hommage au Chat Marchal et, l'an dernier, je racontais mon incursion dans l'univers du Lion Peugeot. Le Chat, le Lion... L'évocation de ces emblèmes à la célébrité mondiale m'a amenée à m'interroger sur l'"usage" des félins dans le domaine de l'automobile. Pourquoi équipementiers et constructeurs ont-ils fait appel à eux ? Nous connaissons, bien sûr, les marques susmentionnées. Côté "lourd", comment ne pas citer Jaguar, représenté par le fauve d'Amérique Latine divinisé par les Olmèques et les Mayas ? Et Panther, marque anglaise spécialisée dans les modèles "néo-rétro", mélange de carrosserie à l'ancienne et de mécanique d'aujourd'hui, dont le nom est à la fois référence et défi à la précédente ? Il y eut aussi, dans les années 70, la mythique De Tomaso Pantera... On l'imagine, rampant sur le bitume, tel le fauve éponyme prêt à fondre sur une proie... Enfin, n'oublions pas le Chat blanc mascotte de l'enseigne Feu Vert, qui, s'il est apparu plus tardivement dans l'histoire, n'en met pas moins son astuce au service des automobilistes avec un dynamisme communicatif et leur prodigue ses conseils avisés. A noter qu'entre 2005 et 2009, le protagoniste des publicités était un matou nommé Ramsès.
Le félin, c'est une vision de la voiture. Celle-ci s'identifie à l'animal, s'en approprie les qualités (ou du moins le publicitaire malin veut-il créer dans l'esprit des clients cette association). A une vue perçante se conjuguent puissance, souplesse, élégance, rapidité, endurance, voire agressivité. Un moteur rugit ou ronronne. En outre, le chat, petit ou gros, qu'il soit logo en relief dans le verre d'un phare ou bouchon de radiateur, est plus évocateur qu'un symbole abstrait comme le Losange ou les Chevrons, plus propre à titiller l'imaginaire et à susciter émotions et attachement.
Las, ces figures animalières, totems dont les vertus se sont transférées aux objets qu'ils symbolisent, ont tendance à perdre tout réalisme, à se désincarner, passées au moule aseptisant de la 3 D et de la palette graphique. On en a fait des personnages de Pixar ou de Disney. Le Jaguar bondissant du constructeur de Coventry n'a plus la silhouette souple et élancée du fauve, mais a adopté la face grimaçante, nettement moins sexy, d'une divinité précolombienne. Le prédateur s'est bien assagi.


Ce n'est pas beau de tirer la langue...

Le Lion Peugeot, un peu raide, tient à présent du robot (rappelons-nous qu'il est né en 1847, à l'époque où la marque fabriquait des outils, bien avant la naissance de l'automobile. On dit qu'il s'agissait d'une analogie entre les canines du grand carnassier et les dents d'une scie). Quant au Chat Marchal, réduit à une tête rouge stylisée à l'extrême, il a perdu, sur les emballages, ses yeux jaunes emblématiques. De fait, tournant le dos à ses origines, le label ne propose plus les dispositifs d'éclairage qui ont fait sa renommée et sa gloire, mais des balais d'essuie-glace, des bougies et du liquide et des plaquettes de freins. Il existe encore un Chat Marchal plus digne de ce nom, je l'ai trouvé après bien des recherches, mais là encore il sent l'ordinateur à plein nez. Comme le Chat Feu Vert, réalisé depuis 2009 à partir d'images de synthèse. Que voulez-vous, l'animalité (qui nous ramène à notre propre condition d'animaux) a mauvaise presse. Zappée, la Bête ! Et la dictature du jeunisme ne touche pas que les humains.

Une minette qui a choisi le Lion.

Bientôt 90 ans, le célèbre matou, quand même !

En dépit des vicissitudes de la modernité, félins et voitures sont deux espèces qui s'entrecroisent et s'allient depuis l'aube de l'automobile, dont la première a accompagné les progrès...  Les deux sont entrées de concert dans la légende. Une union dont les exemples résistent malgré tout au temps...
Ah oui, bien sûr, j'allais oublier le Tigre Esso !

Merci à mes amies blogueuses et mes amis blogueurs qui se sont proposés de chercher la plaque publicitaire Marchal lors de leurs expéditions sur les brocantes...

dimanche 22 juillet 2012

Le chat Marchal


Il y a quelques années, une femme très intelligente m'a dit que je ressemblais à la publicité pour les phares Marchal, cette face de chat stylisée aux yeux étincelants. Je ne suis pas sûre que c'était un compliment. D'abord je ne me suis jamais trouvé une tête de chat. Je n'ai ni vibrisses ni oreilles pointues. Et le minet peut exprimer aussi bien la vivacité que la fourberie. Le chat - surtout noir - reste un être maléfique. Le chat, c'est l'ennemi. Mon interlocutrice m'avait promis de m'offrir la fameuse publicité. C'était, je me rappelle, au cours d'un dîner tardif (et bien arrosé), dans la nuit tombante, au bord d'une piscine. Les grillons stridulaient. La promesse sombra dans l'oubli et je ne reçus jamais le présent.
Le chat Marchal, tout le monde connaît. C'est l’identité de l'équipementier. Voici quelques dizaines d'années, son masque en noir et jaune figurait, embossé dans une plaque de métal laquée ou émaillée, dans tous les garages. Il devait y avoir une de ces publicités chez l'électricien automobile à qui mon grand-père confiait ses voitures. Au fond, le chat Marchal, c'est mon enfance, les vacances et le contrôle qui précède les grands départs. Le félin toujours attentif présidait à la sécurité des voyageurs et se portait garant en personne de leur arrivée à bon port.


La légende veut qu'en 1923, Pierre Marchal, alors qu'il rentrait sa voiture dans son garage, capture dans le faisceau de ses phares le regard phosphorescent de son chat noir (que je m'imagine être le sosie de Lara). Il est vrai que les yeux des chats sont associés à la notion d'une vision nocturne parfaite, osons le mot, à la nyctalopie. Une image et un slogan étaient nés : "Je ne prête mes yeux qu'à Marchal".
Avec ces yeux dispensateurs de lumière, le matou érigé en mythe devient dès lors omniprésent, indissociable de la marque. Optiques, bougies d’allumage, balais d'essuie-glace équipent tant le véhicule de Monsieur-tout-le-monde que les bolides de course. Au cours des décennies, la société Marchal accumule innovations et trophées en compétition. C'est elle qui inventa en 1962 les phares à iode. Pendant ce temps, Henry Cany, artiste ailurophile, illustrateur de revues d'automobile, décline le chat noir, âme et emblème de la marque, dans toutes les circonstances, sur routes et circuits, accompagné du drapeau à damier, jusqu'à la version épurée qui nous est familière.

Une affiche signée Jean Colin

Ces vieilles pubs me rendent nostalgiques. A présent, si le célébrissime logo a disparu de notre quotidien, il reste vivace dans les esprits. Il appartient à la mémoire collective, à la longue légende de l'automobile, à l'image d'une certaine époque. En 1980, l'entité "SEV Marchal" a été absorbée par un géant de l'équipement automobile*. Mais il subsiste de son ADN dans l'éclairage de nos voitures.

Les yeux des chats sont toujours des phares. Ils éclairent et guident. Et j'aime l'idée que ce regard scintillant, aujourd’hui encore, fasse preuve pour nous d'une vigilance aiguisée et, forant les ténèbres, pourvoie à une sérénité absolue par tous temps et garantisse au conducteur solitaire une route nocturne sûre.





Je sais que des amies blogueuses et des amis blogueurs sont plus chineuses ou chineurs que moi. S'il leur arrive au cours d'une équipée de mettre la main sur cette fameuse plaque... L'appel (de phares) est lancé !

* Rectificatif : un responsable de Valeo a bien voulu m'apporter ces précisions :
"SEV-Marchal n'a pas été "absorbé" en 1980, l'entreprise a "fusionné" en 1971 par échange d'actions avec un autre équipementier français spécialiste du freinage et de l'embrayage, la "Société Anonyme Française du Ferodo" (SAFF).
Ces deux entités, aux activités complémentaires (SEV Marchal pour les équipements électriques, électroniques et les accessoires auto - essuie-glaces, avertisseurs, bouchons... -, SAF-Ferodo pour le freinage et l'embrayage), forment donc un seul et même Groupe dès 1971 et choisiront de prendre un seul et même nom en 1980, pour signifier leur unité.
La Marque Marchal sera toutefois conservée après ce changement de patronyme."

mercredi 4 juillet 2012

Tour de France

 
J'ai passé l'après-midi bêtement scotchée à mon poste de télé pour suivre l'étape du jour du Tour de France. Non que le cyclisme me passionne. C'est pour la région traversée, qui m'est chère, que j'ai fait ce sacrifice. Bon, admirer de beaux jarrets musclés en action, ce n'est pas franchement désagréable. Mais ces falaises, blanc visage tourné vers la mer, ces merveilleux châteaux et manoirs qui parsèment le pays de Caux, ces abbayes, cette route du bord de Seine dont je connais chaque décimètre pour l'avoir longtemps empruntée ont fait de cette étape un long chapelet d'émotions.
Sans compter, à chaque côte, une pensée pour Mascaret, maillot du meilleur grimpeur 2010, qui aurait sans doute, une fois de plus, surclassé les champions les plus vaillants.
C'est vous dire si les larmes n'étaient pas loin...

A Bébert, maillot du meilleur grimpeur. Pour toujours.

jeudi 21 juin 2012

La fête à Arques


La silhouette tutélaire du donjon d'Arques veille sur le village depuis huit cents ans. Las, en huit siècles, la forteresse a souffert des méfaits et du temps et des hommes. Abandonnée à la fin du XVIIe siècle, elle servit de carrière au bénéfice de maisons et autres édifices de la région, autant de vexations infligées à sa stature orgueilleuse.
L'association "Sauvegardons le château d'Arques" s'attache à préserver le site de nouvelles dégradations et assure notamment des opérations de nettoyage. Pour la première fois, elle a organisé, le lundi de Pentecôte, "Les Médiév'Arques", une fête médiévale, pour traduire l'attachement du bourg à son château et sa riche histoire.
Je suis pour quarante-huit heures en Normandie. A peine un aller et retour. Et je décide d'aller à la fête. Direction : l'Avenue Verte !
Une ou deux photos d'ambiance... ça commence bien : la batterie du petit zap me lâche. Qu'importe, je ferai appel à ma mémoire, à mes impressions. Car j'ai apprécié ces moments que le soleil a bien voulu éclairer et réchauffer. C'est, vous l'imaginez, à souligner.
Non loin de l’étang qui marque l'orée de l'Avenue Verte, visiteurs petits et grands déambulent dans une atmosphère bon enfant, parmi hommes et femmes costumés. Le Moyen Âge, qui inspire les diverses animations, et l'univers de la fantasy s'entremêlent. Commerçants et artisans, venus de la région pour la plupart, déploient sur leurs éventaires mille merveilles comestibles ou non  : miel, bières, bijoux, poteries... L’association organisatrice est là, bien sûr, et ses bénévoles présentent leurs actions.
Les créations d'un potier retiennent mon attention : entre les cruches et les vinaigriers, ses mini-poteries me rappellent celles que l'on m'avait achetées, il y a bien longtemps, dans un bazar de La Feuillie. J'avais six ans. Le magasin n'existe plus. Les petits pots de grès, je les ai toujours. Un seul a terminé en morceaux. Ils sont alignés sur une étagère, avec leurs différentes formes, leur charge de souvenirs. J'aime leur couleur brune, leur fini brillant, leur toucher légèrement granuleux. Ces menus objets témoignent d'une rencontre marquante, fondatrice, avec la Normandie. Alors j'emporte, tout heureuse, quatre de ces charmantes miniatures.

Un peu plus loin, comment ne pas être séduite par cette bague-fée ? Elle gagne aussitôt mon annulaire et devient mon nouveau gri-gri.


Devant les stands, on se donne du "messire" et du "gente dame". On goûte hypocras et pain d'épices maison. C'est sympathique, détendu. Il fait beau. Si l'on veut trouver calme, ombre et fraîcheur, on se dirige vers l'étang. Là une oie et son jars s'occupent de leurs neuf oisons. Ils n'hésitent pas à charger les canards qui s'approchent un peu trop près de leur marmaille. Je les revois sur l'herbe. La baignade est finie. Ils montent la garde, et nul mouvement alentour ne semble leur échapper. On dirait les gorilles de quelque chef d'Etat. Je souris... et passe au large !
A l'opposé de l'étang, une partie du terrain accueille une fête foraine. Plaisir de se "paner" les doigts d'huile et de sucre en poudre en dégustant des churros tout chauds, ce qui ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps.
C'est une fin d'après-midi ensoleillée. Les festivités se déroulent sous le regard du donjon. Peut-être la forteresse d'Arques se remémore-t-elle les fêtes passées, à l'abri de ses murailles puissantes, à l'époque de sa splendeur ?... Rien n'est immuable, semble-t-elle dire, pas même les plus fières édifications humaines. Rien n'est immuable, sauf les guerres que continuent de se livrer les hommes, avides, belliqueux et oublieux de l'histoire.
Le château mérite, en tout cas, la sollicitude que lui manifestent les bénévoles.
Espérons que le succès de cette manifestation incitera l'association à récidiver l'an prochain....

http://sauvegardonslechateaudarques.org/

Daniel Dussart
Potier céramiste
1, allée du Valasse
76170 Lillebonne
E-mail : daniel.dussart0730@orange.fr

Une très précieuse source : Guide Gallimard Seine-Maritime

mercredi 20 juin 2012

Un ancien amour

C'est un peu comme tomber sur un ex au hasard d’une rue. Sauf que c'est moi qui suis allée vers lui. J'ai aperçu sa boîte rouge brique sur un rayonnage de parfumerie, entre deux de ses frères de marque. Je ne l'avais pas croisé depuis des lustres. La dernière fois, une collègue me l'avait offert pour mes vingt-cinq ans. J'ai demandé à le sentir. La vendeuse a fouillé un certain temps dans un tiroir avant d'en extraire un atomiseur. Je m'attendais à trouver un jus défiguré, altéré, dépossédé de son identité. Et là, sur la mouillette, j'ai retrouvé un parfum quasi inchangé, qui a aussitôt fait surgir des images et des sensations d'une époque passée.
Lui, c'est Amazone, d'Hermès. Un parfum oublié. Je l'ai porté à quinze ans. J'ai même possédé l'extrait. Aujourd'hui, il n'existe plus qu'en eau de toilette. Le cartonnage a changé, mais les caractères de son nom, légèrement inclinés, frappés en blanc, sont les mêmes depuis... bien longtemps.
J'ai senti à nouveau, intriguée et émue, la mandarine, plus confite qu’acidulée, à laquelle se mêle une touche de bourgeons de cassis. Puis déboule, presque abruptement, la verdeur boisée qui donne sa force et sa profondeur au parfum. Et une sorte d’obscurité sylvestre née des arômes âcres, crissants et puissants, des feuilles froissées, du bois vert, de la sève, fruit du galbanum, du vétiver et du santal.
Amazone ne m'a jamais évoqué une guerrière mythologique, ni une cavalière. Il répondait simplement à mes rêves d'ado romantique, à une fougue toute intérieure. Un parfum est un miroir ou une projection d'un soi idéal. N'oublie pas que tu ne reconnaîtrais pas dans un miroir, disait Paul Valéry, si tu n'y voyais quelque autre, et dans celui-ci tu n'en vois point. Et ce miroir-là ne m'a présenté qu'une surface lointaine et floue, comme une vérité dérobée que le temps aurait mise hors de portée.
J'ai pschitté le parfum sur mon bras hier à midi. Ce matin il était encore là. Mais ça n'est pas parce qu'on passe une nuit ensemble que ces retrouvailles engagent pour toute la vie. Ce fut pourtant une heureuse rencontre, je l'avoue. Amazone existe encore, et il est resté fidèle à celui que j'ai connu.
Si nos ex ne sont pas reformulés, il en est qui changent plus que les parfums aimés.