mardi 23 novembre 2010

Gunnar Staalesen, l'œuvre au Nord


Médiathèque Guy de Maupassant d'Yvetot, 15 heures. Dans le cadre du festival les Boréales, qui célèbre les cultures et la création nordiques, le romancier norvégien Gunnar Staalesen vient à la rencontre de ses lecteurs. C'est l'émotion et l'excitation. Je suis aussi intimidée !
Si les livres sont des choses bien concrètes, les écrivains sont toujours un peu abstraits. On connaît leur nom, parfois leur visage... what else ? On n'a pas souvent l'occasion de les rencontrer. On ne vit pas sur la même planète. Alors on se demande s'ils existent vraiment, si les bouquins ne sont pas nés comme ça, ex nihilo, s'il y a bien quelque démiurge derrière, à l'origine du monde que l'on tient entre les mains, de ces pages couvertes de petits signes d'où s'envole et s'ordonne tout un univers. Et puis, à supposer qu'ils existent, on ne sait pas sur quel genre de personne on va tomber. C'est pourquoi une rencontre avec un auteur présente toujours un caractère d'irréalité.
Aujourd'hui Gunnar Staalesen est là, devant son public. Il est accompagné de Mme Staalesen, de son traducteur, Alex Fouillet, et d'un organisateur du festival. Nous attendons sagement, dans la confortable salle de conférence de la médiathèque.
J'ai découvert ses polars il y a plus de quatre ans. La littérature policière scandinave faisait alors une percée sur les rayonnages des librairies et on connaît le succès qu'elle a aujourd'hui. Mais ce sont ces livres-là qui ont attiré mon attention et que j'ai emportés chez moi. La Norvège. Garance, la Fée. Il est possible qu'elle ait guidé mes choix de lecture (oui, un chat, je sais !). La nuit, tous les loups sont gris, La belle dormit cent ans, Ange déchus... autant d'œuvres qui m'ont entraînée au cœur de la ville de Bergen, sur son port, dans le dédale de ses petites rues. Mon guide : Varg Veum, que j'ai suivi au fil de ses enquêtes.
Gunnar Staalesen prend la parole. Il se présente avec un texte saupoudré d'humour et de malice, dans un français rythmé par un accent venu de loin. L'audience est tout ouïe. Des sourires fleurissent brièvement sur les visages. Né en 1947 à Bergen, où il réside toujours, il est venu à la littérature policière en 1975. Il crée alors le héros que l'on retrouvera dans tous ses polars, Varg Veum, ancien assistant social reconverti en détective privé. Le nom de Varg, issu du vieux norrois, signifie "loup". Et Varg Veum, c'est celui qui est destiné à ne jamais trouver la paix. L'auteur évoque Hammett, Chandler, les fondateurs du roman noir, les modèles. Il raconte : lorsque ses premiers ouvrages parurent en France, les éditions Gaïa proposèrent ce slogan : "Des polars au pays des ours blancs". Pourquoi pas ? Mais "en Norvège, les détectives privés ne sont pas beaucoup plus nombreux que les ours blancs" ajoute l'écrivain dans un clin d'œil. Au fil de ses propos se précise la silhouette de son héros, comme projetée en trois dimensions. Vivante. Varg est cependant différent de Gunnar ; ce n'est pas son double littéraire. Mais, comme l'exprime joliment l'auteur, "c'est un très bon ami".

 Face à ses lecteurs...

Nous sommes dans les années 80. Varg, le marginal, le solitaire, évolue dans une société norvégienne malmenée, en perte de repères. La richesse soudaine née de la manne pétrolière, au début des années 70, n'a pas bénéficié équitablement à tous les citoyens. Frustrations, hypocrisie, mensonge, violence, addictions destructrices se révèlent sous le vernis d'un modèle social qui s'est trop longtemps voulu "idéal". La belle façade n'a pas résisté et Gunnar/Varg en explore les failles et leurs corollaires, les effets dévastateurs sur les êtres fragilisés, défavorisés, à la dérive - de façon visible ou non. Plongée en apnée dans la noirceur de ce monde. Il se penche sur cette humanité avec lucidité et compassion tout en dénouant les fils d'énigmes qui le confrontent souvent à la violence... à ses propres dépens. Mais le détective, astucieux et doté d'une langue bien pendue, se tire en général sans trop de dommages de situations épineuses... Ses méthodes sont peu conventionnelles mais efficaces, ce qui lui vaut quelques démêlés avec la police "officielle". Il s'offre parfois le réconfort fugace de l'aquavit (la bouteille est dans le tiroir de son bureau), mais pour renouer très vite avec la réalité... Et, surtout, les vicissitudes n'entament pas l'amour de la justice qui l'anime.
Ajoutons que Varg est un des très rares héros de la littérature policière à posséder sa statue, ce qui fait de lui une idole, un personnage du patrimoine norvégien mais aussi une figure du domaine policier mondial  ! Posté au pied de l'immeuble qui abrite son agence, bras croisés, il attend dans la nuit berguenoise...
Gunnar Staalesen ne se contente pas de briller dans le genre policier : il évoque un autre pan de son œuvre, Le roman de Bergen, une somme littéraire, publiée chez nous en six tomes, où s'entrecroisent les destins de familles berguenoises tout au long du 20e siècle. Bergen est toujours là, elle est moins un arrière-plan  qu'un personnage à part entière. L'écrivain se pose en témoin de l'évolution de sa ville et des hommes qui y vivent, aiment, souffrent, meurent. Il cite un auteur norvégien dont je n'ai pas retenu le nom : "Le monde change, tout change, mais le cœur humain reste le même".
Le romancier se livre volontiers au jeu des questions-réponses avec beaucoup d'à-propos et, toujours, d'humour. Mes craintes se sont dissipées : c'est un homme simple, accessible, attentif, proche de ses lecteurs. Il ne joue pas les stars. Public et invités sont ensuite conviés à prendre le verre de l'amitié (pas d'aquavit, malheureusement mais... du cidre !) et l'échange se poursuit, direct et chaleureux. Skål ! Simultanément, traditionnelle séance de dédicace, avec le sourire !

Concentré...

Alex Fouillet se révèle lui aussi très abordable. Il réalise un travail de traduction remarquable et n'hésite pas à "démythifier" son métier, à la fois plaisir et passion pour la littérature. Il est le passeur qui fait franchir aux livres la frontière des langues pour nous les rendre accessibles. A ce titre il mérite notre admiration !

Alex Fouillet, un traducteur en Nord...

L'heure est venue de se séparer. Un grand moment, une belle rencontre marquée par l'humanité et la simplicité de l'auteur. J'en oublie les deux cent cinquante kilomètres que j'ai derrière moi....
Pendant ces instants si riches trop vite enfuis, la Norvège était là, à portée de main. J'ai ressenti son appel. Un jour j'irai à Bergen, je parcourrai, sur les traces de Varg Veum,  les quais de Bryggen et les rues bordées de maisons de bois, les rives de son fjord, contemplerai les sommets qui l'enchâssent et rêverai face au large...

C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté.


Garance a franchi la porte du Royaume des Fées, mais ses pouvoirs magiques sont toujours à l'œuvre.



Les romans de Gunnar Staalesen sont publiés chez Gaïa. Ses polars sont également disponibles chez Seuil Policier.

Un grand merci au personnel de la médiathèque d'Yvetot pour son accueil !

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Fixer de bon moment et nous inviter au voyage! Émotions et désirs que tu partages et fais partager.

panti a dit…

Je connais Bergen,(j'y suis allée en 1968)mais je ne suis pas polar;-))
Bisous du soir
Maman mule

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Merci Rafaèle pour ce beau billet... je songeais en vous lisant qu'il y a longtemps que je n'avais pas parcouru avidement les kilomètres à la rencontre passionnée d'auteurs ou de peintres et c'est bien fâcheux,car c'est bien là que réside notre vrai enthousiasme pour eux.
... Merci de répondre à mon invitation pour votre prochain billet, l'enfance valant toujours la peine d'être lu lorsqu'elle est confiée à une belle écriture....alors voilà, j'ai bien hâte de vous lire.

Les Sylvestres a dit…

Merci pour ce billet qui donne vraiment envie de lire cet auteur. La Norvège est un pays fascinant, dont je suis assez nostalgique à travers de vagues souvenirs d'enfance.

Amitiés

Pascale

LE CHEMIN DU BONHEUR a dit…

C'est vrai que nous sommes intimidés lorsque nous rencontrons un écrivain ! Je me souviens l'avoir dit un jour à Katherine Pancol et elle m'avait gentiment répondu : "et moi je ne devrais pas être intimidée ?"
Bisous

Philippe a dit…

Merci Rafaèle, je rentre à l'instant avec Gunnar Staalesen sous le bras, si je puis dire. J'ai choisi La femme dans le frigo chez Gaïa. Vous lire juste avant de partir ne pouvait pas me laisser de glace !

Camilla a dit…

The Varg Veum books are so great!