samedi 13 novembre 2010

La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et de la Normandie




Poser son sac plus d'une nuit dans une même chambre normande est un luxe. Vouloir tout voir, tout saisir, tout retrouver, faire jaillir les sensations présentes et passées... Un luxe que je me suis finalement décidée à m'offrir. L'approvisionnement des stations-service est rétabli. Enfin, pas partout. Aux pompes de mon aire, plus une goutte de carburant. Heureusement il reste du café ! Et il y a de l'essence dans le réservoir de la Tine, au moins pour aller jusqu'à Dieppe.
Je me sens chez moi quand je m'engage sur ma petite route. A ma gauche, l'Eaulne ondule et offre au regard ses miroitements mouvants, joyeuse, indifférente au temps qui passe et aux saisons. Aux confins des pays de Caux et de Bray, la Normandie a revêtu son éphémère tenue d'automne. Mais quelle splendeur ! Elle se pare de jaune, de roux, de rouge, tandis qu'une brume évanescente nimbe le paysage au loin. Une beauté saisissante, presque irréelle, qui prend aux tripes. Je ralentis, saisie de respect face à ce décor somptueux, dernier sursaut de vie avant le dépouillement de l'hiver. 
Installation dans ma chambre. Normandie, nomadie. Havre provisoire, incertain, comme toujours. Mais je suis là. Dans un air, une lumière normands que je goûte comme une assoiffée. Avec, qui plus est, la perspective d'un dîner au Comptoir à Huîtres.
Journée à Rouen, le lendemain. L'autoroute est une entaille dans le pays de Caux, longée de champs et de clos-masures. La ville me semble presque hostile sous un ciel bouché qui libère épisodiquement des gouttes mouillées. Les plus désagréables. Parfaitement. Tout change. Le Palais des Congrès a fait place à un chantier  bruyant caché derrière des palissades. Le pire comme le meilleur peuvent en sortir. "La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur d'un mortel", déplorait Baudelaire en son temps, ce en quoi il avait raison. Je le constate ici. Déjeuner dans la semi-obscurité du "Big", immuable lui, son bois sombre patiné, ses banquettes capitonnées, haut lieu de la mémoire. Dans les rues je traîne, j'essaie de m'imprégner de l'atmosphère, je creuse pour trouver les souvenirs, la nature de ce qui m'appelle et me retient ici. Mais Rouen est fermée, inaccessible, à moins que je n'aie pas aujourd'hui la réceptivité nécessaire. L'alchimie ne peut pas fonctionner à tous les coups. Après l'agitation de la grand-ville, je retrouve avec bonheur et soulagement le calme de ma chambre dieppoise.
Dieppe. Déjeuner sur le port est aussi un luxe. Un voyage immobile à la Marius, une aventure à peu de frais, mais Marius finit tout de même par prendre la mer pour voir si la réalité rejoint le rêve. Ici le retour est devant moi, comme un couperet. Je savoure d'autant plus le moment présent. Et le tiramisù aux pommes, qui est délicieux. Je m'étais pourtant promis de n'en prendre qu'une cuillerée ou deux. Partir. Rentrer. Quitter ce décor, cette ambiance que j'aime.
Je reprends la route. Je longe le quai de Norvège, squatté par les goélands. Au revoir, Dieppe. A bientôt. Consolation : les brebis de Douvrend sont de sortie ! Je les avais aperçues à l'aller. Vous pouvez deviner ma joie ! Elles paissent dans leur pâture clôturée, qu'on appelle le grand champ bêlant. Ce sont des brebis d'automne : elles n'ont cure d'avoir la laine fraîche. Je commençais à craindre de jamais les revoir, voire à douter de leur existence ! Curieusement, ce sont les premières photos que j'ai faites d'elles qui m'ont permis de découvrir, à l'arrière-plan, leur domaine, trop focalisée sur ces ovins quand je les aperçois de ma voiture. La perspective révèle de la brique et du colombage. Des arbres et des prés. De douces collines. Le calme bucolique, profond. L'essence de la Normandie. Un décor que je partagerais bien avec elles (mais pas question, évidemment, d'aller brouter l'herbe à quatre pattes)...



J'ai gardé le meilleur pour la fin : Fréauville a aussi ses brebis ! Et même ses poules ! Elles voisinent dans le même verger. Un arrêt s'impose, zap en main, pour fixer la scène.
Peut-être à mon prochain  passage verrai-je le résultat du croisement des deux espèces, un coq ovin.




5 commentaires:

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Merci pour le voyage si bien conté. A mesure de la lecture, j'ai eu l'impression de prendre aussi la route pour Dieppe, que j'aime tant, une ville modeste et vive prise sous les vents et les embruns et dont j'affectionne chaque ruelle qui me mène vers la mer...

Anonyme a dit…

Tu commences par une leçon d'écriture classique qui exprime si joliment une atmosphère et tes humeurs avant de libérer ton humour, celui qui soulage par le rire nos maux d'esprit.

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Un petit relais de l'amitié vous attend sur mon blog. A très vite!!
!!✿◕ ‿ ◕✿

panti a dit…

Mais tu es la reine du calembour!!!
Bisous et à bientôt
Maman mule

Les Sylvestres a dit…

J'aime beaucoup "Normandie-Nomadie !"

À bientôt, car c'est toujours un plaisir de vous lire...

Pascale