On entame l'année,
The Normand Bedroom a cinq ans... Serait-ce l'occasion de faire un petit point/une petite pause ? La nostalgie est rarement absente de mes billets. Comme le disait Paracelse, "Rien n'est poison, tout est poison, seule la dose est poison". Il en va de même pour ce sentiment. J'ai pourtant fait un grand effort dans le domaine parfumé en me lançant avec courage et audace dans les bras, pardon, dans les manches, de
La Petite Robe Noire. Comme dans une volonté de me libérer, de tourner une page, de ne pas traîner les boulets du passé, chaînes aux chevilles.
Il est cependant des pages si lourdes à tourner qu'on se demande si elles ne sont pas ensorcelées. Ou si on a bien les biceps qu'il faut. Ou encore si on a vraiment envie de les tourner.
Aussi j'ai eu envie de parler de mes regrets. Nous en avons tous. Histoire de voir, aussi, si je les retrouverais à la fin de l'année, dans le même ordre et dans le même état d'acuité. Car ils ont vocation à s'estomper, sous peine de vous pourrir la vie. J'ai longtemps cru à l'effet cathartique (non, ça ne concerne pas les chats qui vivent au Pôle Nord) de l'écriture. Mais, pour paraphraser Valéry, qui affirmait qu'
il faut beaucoup d'ignorance pour vivre, je pense qu'il faut beaucoup d'ignorance pour écrire. Sans quoi on se condamne à se répéter. A tourner en rond.
Les sages l'ont professé, les poètes l'ont chanté : les regrets sont superflus. N'empêche, on peut, une fois au moins, prendre le temps de les regarder dans les yeux.
Voici donc une liste, première et sans doute dernière du style, établie un peu à la façon de Je me souviens de Georges Perec.
Je regrette :
- Mon Alfa Romeo 145, "la Tine", qui m'a accompagnée quinze ans durant, par monts et par vaux.
- La courtoisie sur la route (genre le camionneur qui du bras vous fait signe que devant la voie est libre, mais attention, pas un pervers criminel comme dans
Duel !). Elle est devenue denrée si rare qu'on s'étonne de ses manifestations.
- Les stations-service d'antan et les pompistes.
-
Le Chat Marchal.
- Les 2 CV
- L'ancienne version de Vol de Nuit en extrait. Celle avec un fond vanillé-ambré, escamoté depuis par les reformulations.
- Le rouge à lèvres KissKiss "Brun jazzy" de Guerlain, supprimé du catalogue. Une honte !
- Les éclairs à la violette du stand Meert au Printemps de Lille.
- La boutique Garance à Rouen.
- Les vêtements Christian Lacroix.
- L'époque où j'allais à Paris quatre ou cinq fois par an.
- Le temps des Ramones.
- Mes chats disparus, cela va sans dire.
- Ma vie avant un certain jour de juin 2001 (les circonstances s'étant enchaînées - ou déchaînées, c'est une question de point de vue - , on peut même remonter jusqu'en mai). Mais
Le doigt de la fatalité inscrit, puis ayant fait,
Poursuit : ni ta pitié, ni ton esprit
Ne sauraient le tenter d'annuler une ligne,
Tes larmes effacer même un seul de ses mots.
- Le temps
gâché perdu depuis.
- Une fête de village au cours de laquelle je suis passée derrière le micro pour entonner avec l'orchestre
Je cherche fortune autour du Chat Noir. En contradiction avec ce qui précède.
Cette litanie n'est pas exhaustive. Elle est quand même pas mal étoffée.
Les regrets, ce sont ces ombres, celles des rendez-vous manqués, des amis perdus, des choses disparues, des pattes-d'oie qui défilent au pas de l'oie autour de vos yeux, du temps qui passe. Ecrire, est-ce convoquer ces ombres ? J'avais sans doute cette idée en tête en lançant mon blog. Nostalgie, frustration et, chose moins avouable, désir de revanche ont sans nul doute présidé à sa naissance. Désir de partage et de rencontres, aussi, avec des lecteurs lointains.
Tout ça a donné la Chambre Normande. Un travail solitaire, mais un chemin parcouru avec vous.
J'ai inventé le concept du regret constructif, j'en suis fière, et tant pis pour l'oxymore.
Le quatrain est tiré d'un poème d'Edward Fitzgerald.
Billet validé par Chaman, qui a daigné se coucher sur l'épreuve papier (ce que j'ai interprété comme un signe d'approbation).