mardi 8 janvier 2013

Je me suis laissé avoir

La première rencontre a eu lieu fin 2009. J'étais alors en quête d'un nouvel amour. A l'époque on ne le trouvait que dans les boutiques Guerlain. Je m'en étais procuré une fiolette. J'avais décrété d'emblée qu'il n'était pas pour moi, trop férue d'orientaux ambrés. Et puis en parfumerie l'épithète "gourmand" tend à me hérisser. Mais à un moment de son évolution j'ai admiré, prouesse du nez Guerlain Thierry Wasser, l'illusion du "macaron framboise en 3D", hyperréaliste, saisissante.
Ce prétendant avait pour nom La Petite Robe Noire. Mais le rendez-vous a tourné en eau de boudin et j'ai craqué cette année-là pour un Lutens, bien plus proche de ce que j'attends d'un parfum.
Je restais aussi accrochée à mes vieux Guerlain comme une bernique à son rocher. Accrochée au mythe, à l'Histoire, à la nostalgie, bercée par eux. Ces classiques sont une part de moi et m'ont accompagnée, tel L'Heure Bleue, durant plus de la moitié de ma vie. Adopter ce nouveau jus capiteux mais insouciant, dénué d'ancrage affectif et de pouvoir évocateur, eût provoqué pour sûr un conflit de loyauté. Je l'ai rayé de mes tablettes sans regrets.
Et puis un beau jour, au printemps dernier, La Petite Robe Noire a atterri en masse dans les parfumeries lambda. Il semblait s'en être déversé le contenu d'un Beluga sur les rayonnages. Accessible à toutes à présent, mais non sans avoir subi quelques changements. Car je l'ai essayé.
Sensation assez décevante au premier abord. L'effet macaron a disparu, de même que se sont évaporés les accents verts et chyprés qui se manifestaient en toute fin d'évolution et conféraient à la composition un côté intrigant. En quelques mots, en quittant sa tour d'ivoire, il a perdu de sa complexité et de son originalité. A défaut de pâtisserie laduréenne, on retrouve un accord de fruits rouges, cerise noire si l'on en croit le descriptif officiel, confiture de framboise en sus pour moi. Le tout est enrobé par un patchouli présent mais discret, plus rond que terreux. En outre il possède un poli, un arrondi, une cohésion, une qualité d'exécution propres à Guerlain, même s'il n'a rien à voir avec ses illustres ancêtres.
J'ai obtenu un échantillon de cette Petite Robe-là. Le petit contenant de verre a traîné sur la commode dans l'entrée. Il s'en échappait insidieusement des volutes de tabac blond miellé et de foin coupé assez irrésistibles je dois l'avouer. Pas étonnant que le parfum fasse un carton, avec hélas pour corollaire l'anonymat...
Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Face à tant d'insistance je me suis laissé avoir. Piégée comme une bleue par tant de séduisante facilité. Par ce jus joyeux et sans mémoire, un peu aussi par la chanson entraînante (et vengeresse !) de Nancy Sinatra, par la silhouette filiforme évocatrice d'émancipation qui l'incarne. Il se comporte plutôt bien sur ma peau, avec une tenue plus qu'honorable. Vaporisé sur mes vêtements, il m'entoure d'une odeur de... miel, curieusement. Ce n'est pas désagréable. Il sait même se faire rassurant quand vient l'heure du coucher, avec ses effluves de barbe-à-papa et de nougat croquant.
Porter un parfum sans attaches, sans histoires, sans souvenirs, sans fantômes dans son sillage, sans prise de tête, qui se contente de sentir bon, parfois ça fait du bien.
Alors, foucade d'un hiver ou relation durable ? On verra. Nos histoires avec nos parfums ne sont heureusement régies par aucune loi.


Il y a cinq ans aujourd'hui s'ouvraient la porte et les fenêtres de ma Chambre Normande. Je n'avais pas la moindre idée de l'apparence qu'elle prendrait au fil des billets et soupçonnais encore moins qu'elle perdurerait ainsi dans le temps. Pour fêter cet anniversaire je porte La Petite Robe Noire, et j'irai même jusqu'à esquisser un pas de rock, boots aux pieds of course.
Merci à mes fidèles lecteurs.


3 commentaires:

Triskell a dit…

Suis-je bien ton premier commentaire ? C'est un peu de la triche car je le guettais...
Ton billet sur la petite robe est à l'avenant des autres sur ce même thème, c'est-à-dire très beau, oserais-je dire encore plus beau, et franchement la maison Guerlain pourrait te parfumer gratos à vie pour tout ce que tu fais pour eux. Tu émets des réserves ? Tant mieux, ça fait plus spontané et ôte toute suspicion de pipotage.
Comme je te l'expliquais en off, je suis en pause effluves actuellement, façon de parler car le bureau empeste/embaume la frangipane depuis hier, galette des rois oblige...
En revanche, ton billet m'a donné une furieuse envie de réécouter these boots, etc. par la miss Sinatra : c'est du pep's pour toute la journée !

Anonyme a dit…

Un joli détour rock 'n' roll! Start walkin' pour bien plus de cinq année encore! Et d'autres parfums encore?

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Voilà bien un délicieux "re-boot" et une jolie guerlinade aux portes du palais olfactif. Je retiens l'odeur du foin coupé qui s'échappe en note de fond.