mercredi 16 décembre 2009

Laissez passer les p'tits papiers...



Il m'arrive de faire du tri dans mes affaires, du nettoyage par le vide. Je me débarrasse de l'inutile. J'essaie. Facturettes de carte bancaire, tickets de caisse entre autres s'accumulent. Cartes de restaurants, aussi. C'est dans mon porte-chéquier que je rassemble le reliquat de mes actes d'achat. Il ressemble à un croque-monsieur bien épais. Disons plutôt un mille-feuilles composé d'innombrables épaisseurs de papier. C'est un journal.

Les tickets de caisse sont presque aussi éloquents que des photos. Idéal, quand on aime se souvenir, ou quand on a la hantise d'oublier. Quand on s'accroche aux petits faits de sa vie comme des écrins prêts à s'ouvrir sur des horizons plus larges et plus riches. Je suis allée à tel endroit tel jour, à telle heure. Je peux retracer mon parcours de ces dernières semaines, voire de ces derniers mois. Ces factures, ces notes tracent mon contour, ma silhouette, témoignent de mes activités. Je dépense, donc je suis. Mais c'est plus que cela.

Je retrouve les notes du Comptoir à Huîtres que je garde religieusement, comme si ce fait m'assurait d'y retourner encore et toujours. Comme un support à la mémoire, aussi.

Ce ticket si anodin d'un café, c'est une virée dans les étangs de la Somme qui m'a menée aux portes d'Amiens. Le temps s'est levé au fil du trajet. Soleil d'automne magnifique et doux dont les rayons plongent comme des doigts d'or pâle entre les branches des arbres au bord des plans d'eau. Un petit pont. Une écluse étroite, ancienne, aux berges de ciment désertes. Des canards, des gris et des blancs, si dodus que je les confonds d'abord avec des cygnes. Je passe sans m'arrêter, je n'ai pas mon zap de toute façon, mais mes yeux boivent tout ce qu'ils voient. Le village s'appelle Sailly-Laurette. L'église est un peu triste : elle a sans doute été reconstruite après la guerre... Et puis les cimetières militaires, anglais, australiens, néo-zélandais, à perte de vue. Des stèles comme si on les avait semées. Il y en a des milliers. Je pense à Tolkien, qui en 1916 passa quatre mois dans cette campagne et y vit tomber quelques-uns de ses meilleurs amis. Terre et hommes martyrisés… Terre de silence...

Là, c'est encore un petit crème, une halte sur mon aire d'autoroute, un jour de départ pour la Normandie.  Là, j'ai acheté ce bouquin à la Fnac, c'était tel jour. Là, un déjeuner au "Big", à Rouen. J'ai bu une Kwak pour accompagner ma (succulente) tarte camembert-poireaux. Le prix de la bière m'a fait sursauter.

Il y a aussi des photos de Garance. Elle venait d'arriver. Elle était encore petite. Elle se contorsionne au soleil. Elle me fixe : deux pièces d'or dans une petite tête triangulaire, curieuse. Je l'appelais "Garance Monnaie de Paris". Des numismates lui auraient arraché les yeux. 

Tout fout l'camp ? Mais non ! Des moments jaillissent, revivent, présents, brumeux ou ensoleillés, inscrits dans ces menues traces imprimées qui suffisent à les évoquer...

Images, papiers… autant de voyages qui déploient leurs ailes et s'envolent de mon porte-chéquier dès que je les remue…


Photo : la Somme à Cappy.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Il ne faut pas nettoyer par le vide : les secrétaires sont là pour nous aider à conserver, à "serrer", un passé jamais disparu et que nous ouvrons parfois pour faire partager et illustrer nos secrets.

Martine a dit…

Merveilleux texte chère Rafaèle, des bouts de vie sur papiers, un bref retour en arrière, c'est pour cela que j'aime "faire" de l'ordre de temps en temps, nostalgie? Un peu mais plus encore une revisite de beaux, moins beaux, pas beaux moments qui nous ont fait ce que nous sommes, et là, c'est un nouveau chapitre...bises Martine

panti a dit…

Pour ma part j'ai bien du mal à faire du tri dans mon fouillis de fond de sac...
Bisous du soir ey à bientôt
Maman mule

Mademoiselle d'enfer(t) a dit…

Les mots m'échappent, parfois. Mais les sentiments sont bien là, et je l'écris ici: un très joli billet au goût de madeleine... :)