dimanche 3 février 2008

La petite route

Là-bas

C'est la partie finale de mon itinéraire vers Dieppe, à ne pas confondre avec LA route, qui d'une façon beaucoup plus large commence dès que j'ai franchi le seuil de chez moi.
C'est le moment que j'attends. Celui où on quitte les grands axes pour prendre les chemins qui mènent à la destination attendue. Je déplore au passage que la mythique Nationale 29, la pauvre, ait été déclassée pour d'obscures raisons de gestion, c'est-à-dire de fric. On tourne à droite. Il faut faire attention à ne pas manquer ce carrefour si peu repérable. J'attends cet instant avec fébrilité, car c'est là que je bascule dans un autre univers. Je suis en Normandie. Oh, j'y suis déjà depuis un petit moment, depuis que j'ai franchi le panneau m'indiquant l'entrée dans le département de la Seine-Maritime. Il s'agit d'une frontière administrative, même si symboliquement elle représente beaucoup pour moi. Mais je n'ai pas encore vraiment franchi le seuil... Mais ce n'est pas encore ma petite route...
Dès les premiers mètres, une rivière longe la départementale à gauche. Jaillie de sous un petit pont, c'est l'Eaulne, qui brasse ses bouquets de cresson sauvage. Eaulne, un joli nom, une syllabe et demie grave et mélancolique... Le cours d'eau m'accompagnera un petit moment. Déjà, on est ailleurs. Les colombages, les massifs de fleurs, les prés, les vallons... C'est comme si la saveur de mon environnement changeait, et j'ai beaucoup de mal à définir cette notion. Paysage, lumière, couleurs, odeurs, pensées... Mes Normandie réelle et rêvée sont si étroitement entremêlées que je ne cherche pas à les distinguer. A ce moment elles ne font qu'une, et c'est miraculeux. Je me contente de me laisser bercer, imprégner par cet essaim de sensations.
Au fil des trajets, j'ai appris à bien connaître les villages, les hameaux, les croisements. Ils sont autant de points de repère indispensables, de gradations dans ma progression. Je les aime, ces lieux. Chacun d'eux me rapproche de Dieppe, de la mer. Ils sont toujours hantés par des souvenirs d'allers et de retours. Je passe souvent vers treize heures, l'heure tranquille. Tout paraît paisible, comme oublié. Tout se fait harmonieux, prend sens, jusqu'aux coulées d'arbres qui nappent les côteaux sur ma gauche. J'aime aussi les noms des lieux traversés. Vatierville, Clais, Londinières, Douvrend s'enchaînent dans un ordre immuable, rassurant... On passe au pied de la magnifique collégiale d'Envermeu, mais je me suis jamais arrêtée...
Je me demande parfois si je pourrais me poser dans un de ces villages, y vivre. Un rêve que j'abandonne dix fois et qui m'attend au village suivant, qui ricoche sur chaque lieu au rythme du trajet. Ou simplement, je voudrais m'attarder et je regrette de ne pouvoir le faire. Pourquoi ? Parce que c'est ici que tout se joue et se noue. Parce que ce n'est pas "chez moi". C'est l'entre-deux nécessaire mais fugace, la promesse. Parfois je m'arrête pour une photo, mais je suis toute à ma hâte d'arriver. Je suis vouée à n'être qu'une passante... Et mon regret participe sans doute au charme poignant du voyage...
Deux châteaux d'eau plantés côte à côte m'indiquent l'imminence de l'arrivée. La mer surgit au bout de la route, nue, inaccessible et proche. C'est une barre à l'horizon, parfois à peine distincte du ciel. A chaque fois, mon cœur bat plus vite.
Nationale 29. Le village se nomme Mortemer. On tourne à droite. Dans quarante minutes je serai à Dieppe. Je remercie les petites routes d'exister. Sans elles nous ne connaîtrions pas le bonheur de l'attente.

1 commentaire:

Bruno G. a dit…

La région de Dieppe regorge de petits coins tous plus charmants les uns que les autres.