dimanche 28 octobre 2012

L'œil (choix cornéen)*


Voici quelques mois, suite à une consultation rendue nécessaire par un renouvellement de lunettes, j'avais envie d'écrire un billet sur les ophtalmologistes. Je me suis toujours sentie transparente face à eux. Ils ne voient que vos yeux, mais ni leur forme ni leur couleur : seulement leur anatomie, leur physiologie et leurs éventuelles pathologies.
Je n'ai pas à me plaindre : l'occasion m'est doublement donnée d'évoquer cette profession.
C'est un samedi de début août. Il fait doux, pas trop chaud. Le temps idéal pour travailler en plein air. Un ami s'est porté volontaire pour m'aider à me débarrasser des ronces qui tendent à envahir le fond du jardin. Gantée et armée d'un sécateur, je me suis mise à la tâche aussi. Le travail va bon train. A un moment donné, je me penche et saisis une tige de ronce pour la sectionner. Elle rebondit alors comme un ressort et vient m'érafler l’œil gauche. La fraction de seconde où je garde la paupière fermée sous le choc, la surprise et la douleur est épouvantable. Y vois-je encore ? Courage. J'ouvre l’œil. Je vois, mais ma vision est brouillée. Ma seconde pensée, après la peur de la cécité, est de trouver un ophtalmo fissa. J'en ai besoin. Je me dirige vers la maison. C'est le week-end. Premier coup de fil au cabinet de mon spécialiste attitré. Personne. Second coup de fil à l’hôpital de ma petite ville. Oui, il y a un ophtalmo. Direction les urgences. Là, j'apprends l'absence de l'homme providentiel. L'urgentiste de garde m'examine et insiste pour que je voie un spécialiste. Il se démène au téléphone pour trouver un ophtalmo de garde. S'il n'y a pas dans la ville la plus proche, ce sera le CHU de Lille, rien que ça. Il en trouve un, enfin, avec qui il discute quelques instants. Je suis attendue vers 13 h 30 à l'hôpital de V. Pas question de conduire en raison du risque d'éblouissement dû à la photophobie. Heureusement, j'ai un chauffeur. Je souffre, je larmoie unilatéralement sans discontinuer. Et, surtout, j'ai peur. Des urgences, de nouveau. Démarches administratives, puis attente. Je suis prise en charge par une interne. Après un premier examen, elle prévient la spécialiste. Le chemin qui mène à son bureau est un labyrinthe. Heureusement, un employé du SMUR, à l'air las, mais serviable, me cornaque jusqu'au secteur consultations.
Encore un peu d'attente. Le médecin, une jeune femme, arrive et me fait entrer dans la pièce obscure occupée par toutes sortes d'appareils blancs. Je raconte mon histoire. Un collyre antalgique me soulage temporairement et je peux garder l’œil ouvert. Une goutte de fluorescéine dans la mirette, puis passage à la lumière bleue. Le diagnostic tombe : trois beaux ulcères de la cornée. L’œil, me précise la jeune femme, ne présente pas de "fuite". Même soulagée, je frémis à l'idée d'un globe oculaire "fuyant", un peu comme un tube de dentifrice percé. L'ordonnance qu'elle rédige spécifie collyre antibiotique, larmes artificielles et pommade à la vitamine A destinée à favoriser la cicatrisation. Et port, pendant quelques jours, d'un pansement occlusif.
Je vais devoir me faire à ce look de Frère de la Côte, idéal pour passer inaperçue. Mais ce n'est pas l'abordage musclé d'un galion au ventre tout renflé d'or qui m'a valu cette distinction... Corollaire, le séjour en Normandie, prévu autour du 20 août, tombe à l'eau. Si la blessure est physique, elle n'en affecte pas moins mon quotidien... et mon moral.
Les premières quarante-huit heures, je déguste. La douleur me réveille la nuit. Mais bon. J'ai mes deux yeux. On se rend compte à quel point les calots sont importants. Ils servent à lire, à contempler les plus belles choses du monde, à voir les plus laides aussi hélas, à lancer des œillades à un séduisant voisin de table, à communiquer, au moyen de clignements, avec les chats, à sonder le regard de l'autre... Quinquets ou châsses, ils sont un bien précieux.
Qu'en est-il, deux mois et demi après la mésaventure ? Une récidive - douloureuse, genre coup de poignard dans l'orbite -, quelques consultations ophtalmologiques. Une sensation de corps étranger, de brûlure, de vision floue parfois, des douleurs, une gêne... Tous les professionnels de la vue mais aussi tous ceux qui ont connu des lésions de la cornée, qu'elles soient causées par un éclat de métal ou des griffes de chien, me le confirment : la guérison prend du temps. Des mois, voire des années. Les cellules épithéliales font preuve d'une certaine paresse quand il s'agit de se renouveler. On garde une sensibilité, une fragilité. Je m'en rends compte. Je sais à quoi m'en tenir, et j'ai toute une panoplie de collyres, gels et pommades pour atténuer ces désagréments.
Moralité : des lunettes protectrices sont indispensables en cas de jardinage.
Il fallait que j'en parle pour exorciser.
Au final, le croisement d'un iris et d'une ronce donne un hybride d'aspect fort déplaisant, dont je ne vous conseille nullement la culture.

*Et, non, je n'ai pas intitulé ce billet Le nom de la ronce, pour ne pas entacher un roman et un film que j'ai beaucoup aimés d'un vilain souvenir.

Illustration : aquarelle de Grau-Garriga.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

L'humeur et l'humour doivent bien avoir des racines communes que tu nous donnes à voir. Prends soins des miroirs de ton âme : ils te serviront toujours!

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Nul doute que pendant quelques jours les Lillois vous ont accueillis d'un amical et tendre "tiens voilà Coco bel-oeil"!!!!
L'histoire titrée à la manière du "canard enchainé", j'aime beaucoup, est amusante à lire et fort heureusement, tout fini par 2 bons yeux heureusement préservés malgré ces récidives douloureuses Ouf!!

panti a dit…

Heureusement que tu n'étais pas à Dieppe (il faut au moins six à 12 mois pour un rendez-vous ! )tu risquais une ressemblance aves Moshe Dayan !!
Bisous rieurs .
Maman mule