dimanche 7 octobre 2012

La buraliste de Buchy


Ce pourrait être le titre d'un roman. Comme The Normand Bedroom. J'avais donné ce nom à une photo, prise dans une chambre normande dieppoise, que j'avais publiée sur Flickr il y a cinq ans. Quelques mois avant de créer mon blog. Une "Flickr-amie" finlandaise m'avait fait cette remarque à propos d'un titre de livre. La "chose" a pris une autre forme, mais elle a vu le jour et s'est développée. Merci, Lucy, pour cette étincelle...
Ce jour-là, j'attends mon tour dans une boucherie d'un village normand. Quelques provisions s'imposent avant le départ. Parmi les clients, une dame aux cheveux gris et courts me salue en souriant. Son visage ne me dit rien. Peut-être l'ai-je déjà croisée dans un commerce local. Ou probablement elle croit me reconnaître. Je l'entends murmurer : "Je connais cette dame". Elle s'approche de moi. "Je vous connais". Je lui dis tout de suite que je ne suis pas d'ici. Elle me répond qu'elle a tenu un commerce à Offranville et à Buchy. En une fraction de seconde le déclic se fait, l'opacité se déchire. Je reste clouée sur place. "Vous êtes la buraliste de Buchy !" Je ne me suis pas trompée. Cette femme a une mémoire phénoménale : nous ne nous sommes pas vues depuis huit ans, à quelques semaines près. C'est chez elle que j'allais m'approvisionner en cigarillos. A chaque fois, j'avais droit à du rab : elle m'offrait, sans se départir de son air quelque peu sévère, quelques cigarillos supplémentaires. Je me suis toujours demandé pourquoi. Ma tête devait lui revenir.
C'était à une époque qui s'éloigne à la vitesse d'une galaxie. Chacun sait que la vitesse des galaxies s'accroît à mesure qu'elles s'éloignent. L'Univers se dilate, la vie se ratatine se contracte. C'est une vérité astronomique. Comme en astronomie, le passé semble parfois présent, à portée de main. Mais c'est une illusion. Il est à quelques milliards d'années-lumière.
J'échange encore quelques mots avec la dame. Elle a quitté Buchy. Elle me note son adresse sur un bout de papier. Elle et son mari sont à présent établis dans le pays de Caux. Ils tiennent toujours un bar-tabac. Je suis invitée à y prendre le café lors de mon prochain séjour.
Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent jamais.
Je vous avais, voici quelques années, parlé de Colette. Les patronnes de café normandes m'ont décidément à la bonne.

Illustration : Edward Hopper, Sunlight in a cafetaria, 1958

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En tout cas, ta tête lui est revenue et ce n'est pas une illusion.
Si le temps passe, les lieux demeurent, et leurs habitants qu'une nouvelle comme celle-ci fait revivre et retrouver. Il faut en profiter!

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Se sont tout de même les cigarillos qui rendent perplexe dans toute cette histoire, l'univers en est tout chiffonné!!! Trêve de boutade, j'aime bien l'anecdote , la rencontre et votre belle manière de raconter ‿◕

Triskell a dit…

Je sors du vernissage de l'expo "Edward Hopper " au Grand Palais et je tombe sur l'illustration de ton billet !!!
Le temps n'existe pas, les montres et les calendriers sont juste là pour nous rappeler que nous ne sommes que de passage.
Plus que les cigarillos, c'est la boucherie qui me chiffonne, mais bon, noboy's perfect !
Bises
Triskell (ex-fumeuse et végétarienne)

Triskell a dit…

NoboDy : c'est mieux, non ?