vendredi 28 août 2009

Le prochain amour 2


Les souvenirs qui me traversent
Sont des aiguilles qui me transpercent
Des aiguilles de séquoia
Plantées jusqu'au bout de mes doigts

J'ai connu fort peu de coups de foudre en matière de parfum. Trois en vingt-quatre ans, c'est tout dire... Le dernier est tout récent. A vrai dire je ne croyais plus à ce genre d'événement, même si je l'espérais encore.
Ainsi, le titre n'est pas exact ! J'avais parlé l'an dernier de mes hésitations devant trois parfums parmi lesquels je ne savais choisir mon prochain compagnon. Tous trois me plaisaient assez sans qu'aucun fasse le pas décisif vers moi. C'était plutôt tiède. Au fond de moi j'attendais toujours la révélation. L'amour. Au présent, pas au futur.
C'est l'effet qu'a eu sur moi Fille en Aiguilles, la dernière création "grand public" de Serge Lutens. Une seule bouffée sur le bras m'a entraînée bien loin du stand Shiseido du Printemps. C'était quelque chose de vibrant, profond, quelque chose qui me parlait, instantanément. J'ai d'abord été frappée par un encens sombre, opulent. Il s'étoile de larmes de résine de pin qui s'échauffent sur la peau et se déploient en lentes volutes. Au plaisir que j'ai ressenti se sont ajoutées des images précises, et qui dit images dit émotions, souvenirs vivants, présents : l'intérieur d'une église romane (ah, le "myrrhon" humé à l'abbaye de Blanchelande ! Et les bancs cirés de l'église de Gerberoy...) et les bonbons des Vosges. Et le "Contre-Coup" de l'Abbé Perdrigeon, qui faisait merveille appliqué en compresses sur les bosses et les ecchymoses (il devait contenir du benjoin à l'époque mais sa formule a changé). Il y en avait toujours un flacon dans le frigo quand j'étais petite. Dans le registre proprement parfumesque, j'ai aussi pensé à mon Eau Trois, que Diptyque a traîtreusement rayé de son catalogue. Mais les notes encens et térébenthine de ce dernier sont plus froides, plus désincarnées. Si L'Eau Trois est une abbatiale destinée à recevoir les prières les plus élevées, Fille en Aiguilles est une cathédrale aux larges bas-côtés accueillants. La lumière des cierges y réchauffe la pénombre. Il est chaleureux, enveloppant.
Cette capacité d'évocation est pour moi caractéristique des créations de Serge Lutens, ce magicien. La plupart sont plus que des parfums : des atmosphères, mais surtout des supports, des ailes pour la mémoire...
Enfin, dans le nom j'aime assez l'image d'une sylphe, mi-humaine mi-végétale (qui a dit un Ent ??!!) ou, peut-être, d'une Elfette attachée à sa forêt, aimant à parcourir les derniers lieux sauvages du monde. Je tombe sur cette phrase dans Le Seigneur des Anneaux : "the deep resin-scented darkness of the trees". Elle me semble correspondre à ce parfum : l'obscurité profonde à la senteur de résine des arbres.
Ah, si je pouvais photographier cette odeur ! Ce serait à la fois, si c'est possible, un feu de bois crépitant et un crépuscule d'été à la lisière d'une pinède. Un soir paisible à l'écoute de la vie qui palpite sous l'écorce d'un grand séquoia.
Fille en Aiguilles, c'est une rencontre.

PS : et, bien sûr, il me le faut !


Photo : séquoia, Kings Canyon National Park, USA.
Avec l'aimable autorisation d'Andrew Hecht

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton texte est si beau qu'il intimide son lecteur foudroyé! Il ne s'agit pas de commenter, de répondre mais de remercier la magicienne qui nous fait ainsi voyager à fleur de peau dans son univers : intérieur, extérieur, passé et présent viennent à notre rencontre pour nous le faire aimer.

Rafaèle a dit…

A, grand merci pour ta visite et ta fidélité à mon blog !

Philippe a dit…

Une rencontre olfactive narrée comme toujours avec un grand talent d'évocation.