dimanche 29 novembre 2015

"Patchouly" d'Etro : sans chinchilla


Si l'on en juge par leur descriptif et la liste de leurs ingrédients, les parfums Etro s'inspirent, voire se revendiquent clairement de la magie. Magie blanche, magie noire ? Impossible de trancher, tant peuvent être paradoxales les propriétés des plantes mises en œuvre, quand bien même les intentions sont on ne peut plus louables. Vertus curatives cohabitent fort bien avec des usages moins innocents : la double nature des végétaux est là. Et la marque italienne aux imprimés paisley joue de cette aura de sorcellerie, selon un parti pris hardi qui n'est pas peut-être pas qu'un argument de marketing propre à appâter une clientèle d'intellos.
La plupart des créations olfactives Etro se présentent comme des remèdes aptes à déplacer vers le haut le curseur de nos états d'âme mais se prêtent aussi à des évocations - ou des invocations - mystiques. Au-delà du discours et des promesses qu'il contient, il faut peut-être aller chercher l'origine de ce choix dans la tradition italienne de l'herboristerie. Je me souviens, à Florence, à chaque coin de rue, au début des années 90, se trouvaient des échoppes qui proposaient toutes sortes de plantes pour soigner tous les maux, alors qu'en France ce genre de boutiques avait quasiment disparu (le diplôme d'herboriste ayant lui aussi disparu en 1941). L'offre des cosmétiques "naturels" était alors en Italie bien plus étendue et variée que chez nous. Qui dit "plantes" dit antique science détenue par quelques-uns au fait de leurs pouvoirs thérapeutiques... ou nettement moins avouables ! D'où le côté philtres concoctés dans un chaudron ou distillés dans un athanor, de ces jus, avec cette ambivalence, toujours, inhérente au monde végétal et ses secrets. L'encens chaleureux et rayonnant de Messe de Minuit se déploie sous des voûtes de pierre froide, la douceur poudrée d'Héliotrope elle-même n'est pas exempte d'une note diffuse d'amertume. Potions issues d'une officine de Dieu, ou du Diable ?
En allant justement m'offrir Héliotrope, au Soleil d'Or à Lille, au printemps dernier, j'ai reçu, parmi d'autres échantillons, une fiolette de Patchouly (et un mini-atomiseur de Jacquard également signé Etro - 15 ml tout de même -, décoré d'un imprimé sérigraphié).
Parmi la poignée de doses d'essai que contenait mon petit sac, Patchouly ne m'a pas attirée d'emblée. Du patchouli ? Trop daté, trop typé, trop... trop ! Pas pour moi ! Et puis je suis souvent revenue poser mon nez sur le bord de la fiolette. Le vilain petit canard avait commencé à m'apprivoiser. Ou est-ce moi qui l'ai peu à peu apprivoisé ? Toujours est-il que maintenant, j'en rêve, et j'en dépose presque chaque jour une goutte sur mes poignets, avec parcimonie car le minuscule tube de verre voit le niveau de son précieux contenu diminuer à la vitesse grand V...
Alors, ce beau-laid de patchouli, qu'est-ce que je lui trouve pour qu'il m’émoustille ainsi ? Débarrassé de l'exubérance un peu tapageuse à laquelle il nous a habitués et de sa connotation post-soixante-huitarde, en quelques mots de ses vieux oripeaux défraîchis, il est gratté, dénudé jusqu'à l'âme, comme taillé au ciseau à bois. Ainsi dépouillé, visage nu, il révèle, en finesse, son aspect de glèbe humide, d'humus, principe de métamorphose et de renouveau, à mi-chemin entre minéral et végétal, et se permet même de frayer avec les âpres arômes d'une eau-de-vie de marc. Bois exotiques, épices, un fond de musc à peine appuyé, peut-être, assouplissent ce côté rude et raide. En notes de tête, herbes médicinales et agrumes apportent une fugitive bouffée de fraîcheur, comme pour purifier le corps de ses miasmes et libérer l'esprit de ses tourments.
Parfum intimiste, un peu étrange, réconfortant, d'une chaleur toute en retenue, Patchouly pianote sur la peau sa petite musique envoûtante. Il doit faire bon le sentir sur soi par les après-midis pluvieux où doute et spleen nous gagnent. Je veux bien croire qu'il ouvre les fenêtres de l'âme et nous dote d'irrésistibles pouvoirs, mais en dépit de sa filiation ésotérique, le porter ne nous conduira pas au bûcher.

Illustration : patchouli (Pogostemon patchouly). Source : Wikipédia.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

On brûlera de te l'offrir?

Triskell a dit…

Une Ode au patchouli? Le seul sympa que j'aie connu était un superbe Siamois, roi félin chez mes parents... Je freine des 4 sabots lorsque j'en soupçonne l'existence dans un parfum, mais ton texte est tellement beau qu'il me ferait presque changer d'avis. Chez toi le pouvoir des mots est aussi fort que celui des fragrances.
Etro devrait te solliciter pour la rédaction de ses plaquettes !

Philippe a dit…

Je suis tout à fait de l'avis de Tristkell, vous parvenez presque à nous donner une envie de patchouli, de nuages, de pluies, d'ouragans de patchouli...
Vos textes sur les parfums sont toujours si beaux !

panti a dit…

Un coucou en passsant pour te souhaiter à toi et à ta maman un bon réveillon.
Bisous.
Nathalie