mardi 5 mars 2013

Du courrier de Norvège


Une enveloppe portant en capitales le tampon NORGE a atterri dans ma boîte aux lettres voici quelques jours. Je ne connais personne en Norvège susceptible de m'écrire. La suscription n'est même pas rédigée en runes : ça manque d'exotisme et je suis déçue.
La Norvège a une résonance particulière pour moi : c'est le pays de Garance, la Fée. Intriguée, je décachette le courrier. Je découvre des invitations aux vernissages de l'exposition "Prenez soin de vous" de Sophie Calle, à Lillehammer et Stavanger. Décidément, Sophie Calle et moi, c'est une longue histoire !
Un jour de janvier, voici quelques années, je reçois un coup de fil. Mon interlocutrice se présente : Sophie Calle. Si je ne la connais pas, je peux faire une rechercher sur le Net, elle y figure. De fait, et le rouge de la honte me monte au front de l'avouer, je n'ai jamais entendu parler de celle qui apparaît, à travers la Toile, comme une icône de l'art contemporain. Elle m'explique le but de son appel : participer à une œuvre, un projet qu'elle présentera l'année suivante à la Biennale de Venise.
Il s'agit de répondre à un e-mail de rupture adressé par son amant à une femme. Elle. Elle me demande de tenir mon rôle, celui d'écrivain public, et de fournir une prestation "normale" à une cliente "normale" qui me réglera "normalement". Bref, de faire comme d'habitude. Elle me laisse le champ libre : "Vous pouvez écrire trois lignes ou quinze pages, c'est votre travail, faites comme bon vous semble". C'est à la professionnelle qu'elle s'adresse. Pourquoi moi, alors que pas mal d'écrivains publics possèdent leur vitrine virtuelle ? Elle m'a choisie au hasard de sa navigation. C'est peut-être vrai.
Elle m'envoie l'e-mail qui doit servir de point de départ à mon travail. Il s'achève par la phrase "Prenez-soin de vous". "Je n'ai pas su quoi répondre", avoue/prétend Sophie Calle. C'est pourquoi elle sollicite d'autres femmes - pas moins de cent sept - pour répondre à sa place. De nombreux métiers sont représentés à travers des stars ou des inconnues (je n'aime pas "anonymes". Il n'y a pas d'anonymes. "Inconnues" est un pis-aller. Cela me rappelle la phrase de Francis Picabia : "Il n'y a pas d'inconnus, excepté pour moi".) Le monde du cinéma fournit Jeanne Moreau, Catherine Deneuve... La radio, Macha Béranger. On dénombre aussi une commissaire de police, chargée de relever les motifs de mise en garde à vue du monsieur, une clown, une correctrice qui va traquer les fautes, une psychiatre qui décèlera dans le texte les troubles de la personnalité éventuels du scripteur, une chanteuse... Je suis parmi ces femmes. On compte enfin... des perroquets (femelles), pour la dérision. C'est la façon de Sophie Calle de répondre à cet e-mail.
Ma réponse d'écrivain public consistera en une quinzaine de lignes manuscrites que l'artiste signera. Elle a fait sien le texte que je lui ai adressé. J'ai répondu de la façon qui me semblait la plus "appropriée". Mais il aurait pu y avoir dix mille lettres différentes, et elles auraient pu toutes se valoir. C'est ce que je me dis. L'aléatoire fait partie du projet.
Seconde étape : la photo de l'"intervenante", demandée par Sophie Calle. Les clichés de toutes ces femmes feront partie de l'expo. Ce qui exige, pour moi, un déplacement en banlieue parisienne.
TGV, métro. Je me rends chez l'artiste, en me demandant à quelle sauce je vais être mangée. Elle est assez surprise que je reconnaisse son parfum. Les prises de vue se déroulent hors de chez elle, en particulier dans une station de métro proche, dont l'intérieur ressemble à un aquarium aux parois cyan, décor abstrait propre à dérouter le spectateur. C'est une de ces photos baignées de bleu - silhouettes plongées un espace géométrique azur au cœur du cadre urbain - qui est choisie pour la Biennale de Venise, pour l'exposition itinérante et pour l'ouvrage qui en est tiré. Elle figurera également dans une revue d'art, aux côtés de Jeanne Moreau...


Cette incursion dans le monde clos de l'art contemporain se termine par un petit tour dans la capitale : sandwich chez Paul (les Parisiens ou plutôt les Parisiennes sont en veine de parlottes ce jour-là car je fais pas moins de deux causettes avec des dames fort sympathiques) et café en terrasse place de la Madeleine. J'achète deux rouges à lèvres chez Mac, aux Galeries. Moments bienheureux de liberté. Je savoure l'air de Paris. Mais il faut songer à prendre le RER qui m'amènera Gare du Nord...
En 2007, j'ai été invitée à la Biennale de Venise et à la soirée donnée par Pierre Cardin dans son palazzo. Je n'y suis pas allée, bien sûr. Je n'avais rien à me mettre.
Plus de cinq ans après l'événement, l'exposition parcourt encore le monde, et je reçois des invitations de France, du Canada, des États-Unis, de Finlande... de tous les continents. Elle continue à vivre.
Je repense parfois à cette étrange expérience, à cette brève rencontre avec une artiste en vue. Comment un petit écrivain public de province peut se retrouver propulsé au cœur d'une aventure inattendue. Comment peut-il rester fixé à jamais dans une œuvre polymorphe, polyphonique, à l'égal de grandes de ce monde...
Et, comme un boomerang, l'appel, cette fois, vient de Norvège...


4 commentaires:

Anonyme a dit…

L'exposition n'est pas finie!...

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Çà alors!! Sophie Calle!!!!! j'ai tant aimé l'écouter raconter ses histoires d'hôtel, ses parcours humains , je l'ai rencontré une fois cette grande fille audacieuse , frêle et simple qui a apporté tant d'un sentiment voyageur et amoureux dans cet art conceptuel auquel j'ai un jour appartenu (vraiment, qui l'eut cru!!! )Une artiste ambulante et songeuse qui vous envoie là un beau signe de Norvège..... Il faut le saisir!!! Quoi de plus réconfortant que de se confier au hasard.

Cleophile a dit…

Il n'y a pas (tant) (temps) de hasard, certains se rencontrant et d'autres pas, il y a un sens, vous le trouverez !

Valérie a dit…

Très jolie histoire. Je vais régulièrement à la Biennale de Venise en tant que spectatrice. Impossible de me rappeler si j'y étais en 2007.