mardi 28 août 2012

La montre


L'anecdote figure dans la préface d'un roman de Thomas Hardy, Tess d'Urberville sans doute. L'histoire est narrée par Hardy lui-même. Un jeune homme offre à sa fiancée une montre. Las, il décède, et étrangement la montre s'arrête. Quelques années plus tard, alors que la jeune femme, ayant trouvé un nouveau promis, s'apprête à convoler, la montre se remet à fonctionner. Ce récit m'avait frappée par son caractère surnaturel, qui interroge plus largement le rapport de l'objet à son propriétaire. En dépit des années, je pense souvent à cette montre qui "revit" et rappelle le défunt au souvenir de la femme qu'il aimait, le jour même de ses noces. Je ne sais si l'histoire est vraie, mais elle évoque la symbolique qui unit les battements du cœur au mécanisme horloger.
Ainsi, peut-être, la montre que l'on m'a offerte pour mes quinze ans. Elle pouvait paraître bien classique pour une jeune fille, mais j'avais jeté mon dévolu sur ce modèle au cadran ovale ivoire et noir. C'est une montre mécanique, avec un remontoir. Il faut s'occuper d'elle tous les jours, veiller à ce que ses aiguilles ne cessent pas de tourner dans leur course vers l'éternité, à ce que son tic-tac ne s'arrête pas. Car c'est une montre qui fait tic-tac, contrairement à mes Swatch dont le leitmotiv est un "tac-tac-tac-tac" nettement moins mélodieux. C'est peut-être suite à mes retrouvailles avec Amazone, qui me ramène à la même époque, que j'ai eu envie de la porter à nouveau. De la faire revivre.
Récemment, j'ai donc fait changer son bracelet. Elle est toute fine. Son style n'a pas vieilli. Je la porte de temps en temps. Elle chantonne à mon poignet, avec la même obstination rassurante qu'il y a trois décennies.
Douces comme l'acier poli, aussi implacables qu'une Parque, les montres ne se contentent donc pas de mesurer le temps, ce voleur impalpable que rien ni personne ne retient ? Au contact de nos peaux, nos veines, nos nerfs, seraient-elles en symbiose avec ce que nous sommes ? En garderaient-elles la mémoire ?
Je pense à la montre de Thomas Hardy. Je pense à toutes les montres anciennes, à leur âme palpitante, dépositaires de l'écho lointain d'un cœur.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Joli billet qui nous rappelle que nous sommes un peu responsables du temps que nous remontons. Une décision quotidienne qui nous libère des machines qui fonctionnent "toutes seules" : c'est nous rajeunir.

Triskell a dit…

Et dire que je n'ai plus aucun souvenir de ma première montre...
Celle que je porte a déjà 25 ans, c'est un modèle Agatha, à piles naturellement, donc aucune symbolique n'est liée à son arrêt épisodique lorsque la pile ne fait plus son office.
Mon rapport au temps, je le mesure avec l'horloge des mes arrière- grand-parents, une comtoise superbe au balancier polychrome, que l'on doit remonter à l'aide d'une clé en forme de S : ses pods font un boucan d'enfer lorsqu'ils remontent, et elle sonne 2 fois l'heure + les demi-heures !