mercredi 20 juin 2012

Un ancien amour

C'est un peu comme tomber sur un ex au hasard d’une rue. Sauf que c'est moi qui suis allée vers lui. J'ai aperçu sa boîte rouge brique sur un rayonnage de parfumerie, entre deux de ses frères de marque. Je ne l'avais pas croisé depuis des lustres. La dernière fois, une collègue me l'avait offert pour mes vingt-cinq ans. J'ai demandé à le sentir. La vendeuse a fouillé un certain temps dans un tiroir avant d'en extraire un atomiseur. Je m'attendais à trouver un jus défiguré, altéré, dépossédé de son identité. Et là, sur la mouillette, j'ai retrouvé un parfum quasi inchangé, qui a aussitôt fait surgir des images et des sensations d'une époque passée.
Lui, c'est Amazone, d'Hermès. Un parfum oublié. Je l'ai porté à quinze ans. J'ai même possédé l'extrait. Aujourd'hui, il n'existe plus qu'en eau de toilette. Le cartonnage a changé, mais les caractères de son nom, légèrement inclinés, frappés en blanc, sont les mêmes depuis... bien longtemps.
J'ai senti à nouveau, intriguée et émue, la mandarine, plus confite qu’acidulée, à laquelle se mêle une touche de bourgeons de cassis. Puis déboule, presque abruptement, la verdeur boisée qui donne sa force et sa profondeur au parfum. Et une sorte d’obscurité sylvestre née des arômes âcres, crissants et puissants, des feuilles froissées, du bois vert, de la sève, fruit du galbanum, du vétiver et du santal.
Amazone ne m'a jamais évoqué une guerrière mythologique, ni une cavalière. Il répondait simplement à mes rêves d'ado romantique, à une fougue toute intérieure. Un parfum est un miroir ou une projection d'un soi idéal. N'oublie pas que tu ne reconnaîtrais pas dans un miroir, disait Paul Valéry, si tu n'y voyais quelque autre, et dans celui-ci tu n'en vois point. Et ce miroir-là ne m'a présenté qu'une surface lointaine et floue, comme une vérité dérobée que le temps aurait mise hors de portée.
J'ai pschitté le parfum sur mon bras hier à midi. Ce matin il était encore là. Mais ça n'est pas parce qu'on passe une nuit ensemble que ces retrouvailles engagent pour toute la vie. Ce fut pourtant une heureuse rencontre, je l'avoue. Amazone existe encore, et il est resté fidèle à celui que j'ai connu.
Si nos ex ne sont pas reformulés, il en est qui changent plus que les parfums aimés.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Les parfums ne sont donc pas si volatiles! Et tu n'as pas renoncé à cette fougue intérieure, j'espère!

Philippe a dit…

Un ex qui n'a pas changé, ça c'est rare ! ;-)

Triskell a dit…

Je pourrais presque associer chacun de mes parfums à un moment précis de ma vie, oserais-je dire à chaque homme de ma vie...
Non, il existe des moments tout aussi intenses, par exemple un souvenir de mes 14 ans, en Pays de Galles, où je m'étais rendue pour un mariage : ma première "vraie" eau de toilette, "Apple blossom" d'Helena Rubinstein, offerte par la mariée elle-même.
Emma, où que tu sois maintenant, I love you...