mardi 10 avril 2012

Etro vaut bien une Messe


Le moins qu'on puisse dire est que Messe de Minuit, de la maison milanaise Etro, ne fait pas l’unanimité sur la Toile et se voit même vilipendé. "Parfum de vieille crypte", "déprimant", "parfait pour un enterrement", "importable", "gothique" (ce qui n'est pas forcément négatif) et même, sur un forum en anglais, "vulgaire". N'en jetez plus.
J'avais approché les parfums Etro l'an dernier par le biais d'Héliotrope. La gamme propose des créations recherchées, originales, souvent à caractère oriental et empreintes de mysticisme. Messe de Minuit est sans doute l'une des plus représentatives de cet esprit.
La première bouffée me fait penser au sirop de figue Monin (mais plus figue sèche que sirop), un peu médicinal, un peu herboristerie, tandis que simultanément crépitent les zestes d'orange et la cannelle, légère et pétillante comme une nuée de petites fées. Le tout a un petit effet... Coca-Cola très surprenant ! L'armoise, cette plante magique, insuffle son amertume et apporte une touche de mystère ineffable.
L'encens, socle de la composition, est présent d'emblée et jusqu'aux dernières exhalaisons sur la peau, où il persiste longtemps. On décèle parfois des accents qui rappellent L'Eau Trois de Diptyque, aujourd'hui radiée du catalogue. Cependant cet encens n'est pas froid et tranchant, mais chaleureux et doux, émoussé par la myrrhe, les résines et une touche d’opopanax. Et puis oui, à un moment donné émerge l'odeur de la pierre humide des églises romanes ou des habitations troglodytiques. Elle est cependant plus familière que déroutante. Rien d'"importable" ici. En fin d'évolution, le parfum évoque quelque peu Sables. Mais là où le Goutal se fait sec comme un fagot de petit-bois, avec à peine une trace de vanille, Messe de Minuit se présente comme un petit matelas moelleux, encens et agrumes capitonnés de musc léger.
Pourvoyeur de réconfort et de réconciliation, le parfum se déploie et s'élève telle une incantation, vibrante des intonations ferventes d'un chant sacré. Le feu couve en son sein. Ce ne sont cependant pas les feux de l'Inquisition ni, à l'opposé, de quelque sabbat. C'est la lumière qui dissipe les ténèbres, fortifie les âmes craintives et ranime l'espoir en nous.
Par ses contrastes mais aussi son unité, Messe de Minuit m'apparaît comme un parfum en noir et or. Noir, comme l'espace suspendu sous les voûtes d'une cathédrale. Or, comme une petite flamme qui court à fleur de peau, diffusant clarté et chaleur. Comme le note Umberto Eco dans Le nom de la rose, reprenant les mots d'Hildegarde de Bingen : "la flamme consiste en une sublime clarté, en une vigueur innée et en une ardeur ignée, mais la splendide clarté elle la possède pour briller et l'ardeur ignée pour brûler".
Tout est dit.

Création de Jacques Flori, 1994.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un beau commentaire qui donne envie de sentir ce parfum porté par celle qui en parle si bien!

Triskell a dit…

Juste quelques gouttes de parfum et tu nous transportes dans une incroyable histoire où mysticisme et magie noire guerroient en un combat crépitant et odorant. Quel talent !

polline moineau a dit…

de belles lignes, irrésistibles! ça serait pas ton métier par hasard, journaliste beauté spécialisée dans les parfums?
en tout cas c'en est un qui pourrait me plaire, simplement parce qu'en général ce sont ceux qui obtiennent les hourras des médias que je trouve "vulgaires", attendus, sans imagination, copiés et surcopiés...alors que tant est possible hors des sentiers battus, là comme aileurs...j'irai donc découvrir ceci avec curiosité.