mercredi 3 mars 2010

Somme where, Somme time

Un samedi, après déjeuner. Un rayon de soleil, une envie. Je me décide, vite. Direction les étangs de la Somme, où je suis passée voici quelques mois. A défaut d'aller plus loin, là où le bout du trajet s'appelle Rouen ou Dieppe...
La Somme est sur ma route. Elle est l'articulation entre ma région et la Normandie, une terre de transit et de transition. Elle peut être aussi riante qu'austère. Elle a choisi ce dernier visage aujourd'hui, car les nuages sont venus tapisser le ciel.
Bapaume. Direction Albert. Un détour pour voir de près le mémorial anglais de Thiepval, dont j'ai souvent aperçu la silhouette au loin. Le chemin vicinal serpente à travers les champs, triche avec les distances. Étendues de terre brune fraîchement labourée qui épousent le courbes du sol et annoncent les prochaines semailles. Le printemps. Des dizaines de milliers d'hommes sont tombés ici. J'imagine tous ces jeunes gens vaillants, venus d'Angleterre, du Canada, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, qui partaient au feu sans savoir ce qui les attendait. De fait personne ne pouvait savoir. On n'avait jamais vu une guerre aussi totale, sanguinaire.


Le mémorial de pierre et de brique se dresse au milieu des arbres. Ce n'est pas gai, surtout sous ce ciel bas. C'est un lieu de recueillement. Pourtant j'aime ce décor et cette atmosphère. La terre ici semble sereine, mais qui sait quels souvenirs ressassent ses profondeurs... Je me demande soudain si la terre a une mémoire, ou si la mémoire est seulement dans le cœur des hommes... Sous les bosquets, les premières feuilles de jonquilles jaillissent du tapis de feuilles mortes. Indifférence des saisons, suprématie de la vie après sa négation par la Grande Guerre...
Un autre lien m'attache au sol picard : en 1916, à quelques kilomètres de là, un officier nommé JRR Tolkien concevait sa mythologie et sa Terre du Milieu. L'abri de la pensée, au cœur du cataclysme. Les premiers vers, des personnages, des récits qui s'ébauchent. Tolkien perd deux compagnons d'écriture, Roy Gibson et G.B. Smith. On a dit que ses œuvres étaient un tribut à leur mémoire...
Je poursuis ma route. Des détails, des visions captés par l'œil à mesure que l'asphalte se déroule. Une girouette en forme de chat sur le toit d'une maison. Des étangs à canards. Le canal de la Somme, aussi rectiligne que le parcours du fleuve est sinueux. Tout est calme. Un chat traverse lentement devant moi. Il a tout son temps. J'admire les chats, téméraires et sages. Une balade sans croiser l'un d'eux, c'est triste. Au-dessus de Glisy un petit monoplan cabriole dans les airs, alternant loopings et piqués.


Je m'attarde un peu. Un café. Escale du voyageur. Il faut rentrer. A cinquante ou soixante kilomètres d'ici, la Normandie. A portée de main et lointaine. Je reprends le volant sous une averse de neige fondante. Un vol de perdrix par dessus la route. Des noms connus sur les panneaux. Je navigue au milieu des sillons de glèbe. Je rentre. Mais la Somme est là, sera toujours là, immuable. Terre qui m'éloigne et me rapproche. Terre de passage, terre d'espoir qui accueille mon attente de la Normandie.

Ô vieux corbeaux tachés de temps vous le savez :
par moment il n'est pas d'issue vers le ciel,
et vous tentez des envols à travers la terre.


                    Didier Pobel



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Les photos sont magnifiques par leurs compositions majestueuses et leurs couleurs froides. En somme, des points de passage et d'équilibre, des moments immobiles, entre Nord et Normandie.

panti a dit…

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil de la montagne fière,
Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement: il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au coté droit.


Arthur Rimbaud

Je t'embrasse
Maman Mule


M