samedi 26 avril 2008

La fille de l'aire



C'est à 68 kilomètres de chez moi, sur l'autoroute A1. Une étape presque "obligée" du trajet vers la Normandie. A une si courte distance de mon point de départ, direz-vous ? En fait, je n'ai pas besoin de m'arrêter, ou plutôt la nécessité n'est pas d'un ordre pratique. C'est que l'aire d'Assevillers, c'est déjà le voyage. Je la connais depuis des années. J'y avais ma place de parking juste en face de la boutique. J'y prenais (vous comprendrez bientôt pourquoi j'utilise l'imparfait) ma première tasse de café, tirée d'une Thermos. J'en jetais les dernières gouttes au sol, rituellement. Conservé dans ces conditions, le petit jus n'a pas bon goût, mais qu'importe. Je partais. La Normandie m'attendait. Pas un trajet sans une halte, comme avant d'entamer la dernière ligne droite, d'être aspirée par l'asphalte jusqu'à ma destination, sans retour possible. Souvenirs du temps où la route était pleine d'espoir. Où j'étais partagée chaque fois entre l'excitation et l'appréhension. Les circonstances changeaient, mon aire était immuable.
J'ai éprouvé un choc au mois d'août dernier. On avait effectué, en un peu plus de trois mois, des travaux de grande ampleur. Ma "petite aire" avait été défigurée, dénaturée. La boutique avait disparu, mon parking aussi. A la place s'élevait une sorte de galerie marchande abritant plusieurs établissements de restauration rapide et un magasin de souvenirs. Je vouais immédiatement la plus vive hostilité à la nouvelle construction. On m'avait spoliée de ce point fixe de ma route que je fréquentais depuis si longtemps. Désarroi, dépit... que me restait-il de mes itinéraires sacrés de voyageuse inter-régionale ? Ceux où je fourrais tant de rêve ?
Mais... "Un animal qui s'habitue à tout, telle est ma définition de l'homme", disait Dostoïevski. Il a suffi de quelques trajets pour que je me forge de nouvelles habitudes. C'est toujours mon aire, après tout. Alors arrêt-pipi règlementaire ! J'ai renoncé à la Thermos. Je m'octroie une pause chez Pomme de Pain. On y est servi avec le sourire. On y boit un bon café, servi dans de petits verres, on y trouve de bons sandwiches (je vous recommande le "Norvégien"). Le sandwich est l'auxiliaire indispensable du voyageur. Ce qu'on mange ou boit en transit a toujours meilleurs goût, pour moi du moins. Même en son temps le café de la Thermos. Puis on reprend la route, on file vers l'inconnu...
Comme le lierre qui s'attache ou qui meurt, je suis en quelque sorte implantée sur "ma petite aire", je me suis acclimatée, comme s'il s'agissait d'une question de survie. Ceux qui font halte sont toujours les mêmes. Ils me semblent juste un peu plus nombreux, mais peut-être est-ce dû aux nouvelles dimensions des lieux. Il y a toujours des regards, des sourires échangés. Nous les voyageurs, nous nous reconnaissons. Qu'on vienne de près ou de loin. Je scrute les immatriculations lointaines. Place à l'imaginaire ! L'aire est une plaque tournante, un arrêt qui nous fait tous nomades, jetés sur les routes, un peu perdus (j'exagère : nous savons où nous allons). Ce n'est pas encore l'ailleurs, ce n'est plus tout à fait chez soi. Un lieu de l'entre-deux, comme ma petite route. On a envie de s'attarder, mais on sait bien qu'on ne peut pas, qu'on n'est pas arrivé...
En voiture !
Est-ce donc la destination qui compte ? Mon aire, c'est le règne du fugace, un temps d'arrêt dans le transitoire, un instant nécessairement appelé à ne pas se prolonger. Et c'est ça que j'aime. Nous sommes décidément de passage où que nous nous trouvions.

1 commentaire:

axolotl a dit…

hi, i'm Alvaro.

is always disturbing when your familiar (and loved) places are desfigured like that. but, also, well... Dostoievski is right, i guess...


besos, abrazos.