dimanche 9 mai 2010

"In silico"


On ne peut décidément pas trop compter sur la technologie moderne. Le chargeur de la Bête (c'est le petit nom de mon ordinateur portable) m'ayant lâchée à l'orée du week-end avec une batterie vide, j'ai rallumé ma vieille machine, trop heureuse de reprendre du service après neuf ans de fidèle compagnonnage.
Il faut toujours garder une poire pour la soif. Et une souris vaillante, quand vous démange l'envie de pianoter frénétiquement et d'être branché sur l'univers.
J'ai miraculeusement réussi à établir une connexion (en bricolant quelque peu la rallonge ADSL, que voulez-vous, je dois maintenir ma réputation de geekette !), chose que je croyais encore impossible il y a peu... et hardi (ou ordi) petit !
Mise à jour de l'antivirus et d'autres programmes, farfouillage dans les fichiers... J'ai décidé de faire du ménage dans ma messagerie. Les derniers e-mails remontent à août 2009 ; l'ordinateur n'a pas été relié au vaste monde depuis.
Je relis les messages avant de les expédier à la poubelle ou pas. Mais ce ne sont pas des messages, c'est un journal ! C'est mon histoire de ces cinq dernières années que j'ai sous les yeux ! Ma vie, la partie émergée de ma vie plutôt, se dessine en filigrane dans cette étoffe que je déroule, tantôt de façon linéaire, chronologique, tantôt par sauts de puce. Echanges intensifs : sur le temps qu'il fait, sur des bouquins. Satisfactions et déceptions professionnelles. Etres perdus de vue. Amitiés distendues, diluées, finies... Signaux de bon retour : "Coucou, je suis bien rentrée, pas de bouchons sur la route, j'ai passé une bonne après-midi !". Chats disparus et, parfois, revenus, tel ce sacripant de Mascaret... Le départ de la Fée me semble encore tout proche, tout frais, à travers les propos écorchés qui l'ont précédé et suivi. Parfois je me surprends : ces envolées sont-elles bien de moi ? E-mails échangés avec Sophie Calle, du temps de notre (brève) "collaboration", passée depuis à la postérité. Des sourires, malgré tout. Et une foule de choses dont je ne me souvenais plus, évidemment !
Alors je taille, je tranche, je sucre, j'élimine sans pitié et avec tout le discernement dont je suis capable. Je fais de la place. Au pilon, ce que j'ai envie d'oublier ! Et qui n'était pas si important. Garder l'essentiel ? Mais quel est-il ?
Une vie n'est peut-être riche que de petites choses, finalement.
Voilà comment un adaptateur dans les choux et un vieux confident à puce et clavier s'unissent pour vous titiller la mémoire et vous convier à une balade nostalgique. Faut-il en croire Apollinaire et le souffle de son Cor de chasse ?

Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d'un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique

Et Thomas de Quincey buvant
L'opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent

Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

et parfois, ce que nous effaçons est ce qui nous reste le plus profondément en mémoire.
quelle belle photo!!!

Philippe a dit…

Avec les mails, l'écriture a repris du galon. Notre mémoire s'en trouve utilement secondée à condition de procéder à des mailicides avisés autant que nécessaires...et des sauvegardes ! ;-)
Vive les chargeurs en panne en somme !

Martine a dit…

Et merci au vieil ordinateur qui a repris du service pour notre plus grand bonheur! Et quelle rose, et quel texte, cela me redonne le moral, à bientôt, Martine

panti a dit…

Pour être heureux, il faut essayer de vivre chaque minute au charme que nous lui trouverons lorsqu'elle ne sera plus qu'un souvenir.
[Henri Troyat]
Bisous du soir
Nathalie
Ps:As-tu vu Laure,la voisine de Colette?

DE CHAT EN CHATS a dit…

Oui je crois que la vie est faite de petits bonheurs juxtaposés qui si nous savons les apprécier embellissent notre vie.
ton texte est magnifique.
Je t'embrasse

Elvézia a dit…

Oui, passons passons puisque tout passe.
Le mauvais comme le bon... Les douleurs succèdent au bonheur. Mais je remarque que ce dernier est toujours bien plus court que le premier...

Elvézia