vendredi 19 mars 2010

L'ancre de miséricorde, par Pierre Mac Orlan

J’éprouve de temps à autre le besoin de me replonger dans des lectures régressives. Entendons-nous : il ne s’agit pas de remonter aux aventures de Fantômette ou du Club des Cinq. Les lectures en question sont plus récentes. Ce sont des expériences littéraires qui m’ont marquée et dont le temps n’a pas atténué la douce aura. Elles apportent l’apaisement, aux souvenirs, aux émotions passées se mêlant l’excitation de la redécouverte. Ainsi j'ai lu L'ancre de miséricorde il y a dix ans. Peut-être trouvé au Salon du Livre (j’aimais beaucoup le stand Phébus) ? Je ne sais plus. Un coup de cœur, en tout cas, qui me reliait aux choses de la mer, à des atmosphères ressenties sur les quais du port de Rouen. De mon point de vue, cette lecture pourrait être qualifiée de régressive, d’enfantine, si l’ouvrage n’était autant infusé de mélancolie et porteur de "leçon"  sur la condition d'homme.
Brest, dernier tiers du XVIIIe siècle. La ville connaît une belle animation que lui impulsent le port de commerce florissant et les activités militaires. Yves-Marie Morgat, dit Petit Morgat, est le fils d'un commerçant estimé de la ville. Collégien brillant qui se destine à la carrière des armes, il est porté à la rêverie, nourrie par les exploits des hommes de mer dont l’écho lui parvient depuis toujours, tel le ressac de l’océan. Alors que son père, homme ouvert aux idées des Lumières, et lui se lient d’amitié avec l’énigmatique et bienveillant Jérôme Burns, ancien chirurgien de marine, la rumeur du retour de Petit-Radet, redoutable forban donné pour mort, s'amplifie. Jean de la Sorgue, forçat au "Grand Collège", ainsi nomme-t-on le bagne de Brest, et ami de Petit Morgat, aurait quelques comptes à régler avec le gentilhomme de fortune entouré d'une noire réputation. C’est à l’ombre de tels personnages qu’Yves-Marie plongera dans l’Aventure, cette garce séduisante et traîtresse. Jérôme Burns, en homme mûr, en est revenu et met le jeune garçon en garde contre ses attraits destructeurs. Mais Yves-Marie va se retrouver mêlé à de sombres histoires dont un seul personnage détient la clé. Il l’apprendra de façon tragique alors que s’effondrent les apparences. Sa découverte le fera basculer dans l’âge d’homme. Il en portera toujours la blessure.
Chez les marins, l'ancre de miséricorde, c'est la dernière planche de salut, le dernier espoir au cœur de la  tempête, quand plus rien ne retient le navire en perdition. L'ancre de miséricorde, plus qu’un roman d’aventure, est un roman sur l’aventure, celle dont on rêve mais dont on ne sort jamais indemne. Tout au long de ce récit initiatique, les péripéties sont davantage relatées « de loin » que vécues. Les protagonistes sont dépeints avec couleur et vivacité. Régiments aux uniformes chamarrés, paysannes portant coiffe de leur pays pour se rendre au marché… C’est tout un univers qui défile sous les fenêtres de Petit Morgat. On perçoit bien sûr toute la fascination de l'auteur pour la mer et le voyage, fût-il imaginaire. Pierre Mac Orlan donne vie à la mythique rue de Siam, à un Brest disparu, happé par le gouffre du temps. La langue se fait archaïsante et emprunte grandement sa saveur au vocabulaire argotique des forçats et des mauvais garçons. Et c'est un régal, telles ces invectives qui fusent entre le passeur du bac et un garde-chiourme, le premier reprochant au second une manœuvre de navigation hasardeuse :
- "Dérobe-toi à tribord, ânon de pré-salé, matelot de poulaine. Tu iras vent arrière dans tes oreilles mal carguées avec la première bordée qui déhalera la barque infernale.
- Tête de sabouleux, tu vendrais ta daronne pour une menée de ronds. Je t’attends ici, dans peu de mois, et je te ferai danser au bout de la tortouse devant les narquois de la garnison."
Rassurez-vous, l’ouvrage comprend un lexique, histoire de "naviguer" plus à l'aise dans ce langage fleuri !
Curieusement, des correspondances avec mon univers se sont révélées. Pierre Mac Orlan est né à Péronne, dans la Somme. Il a fréquenté l'Ecole Normale d'Instituteurs de Rouen avant de mener la vie de bohème dans la ville. Il y logeait dans une chambre de la rue des Charrettes. Comment ne pas y voir un "signe" ?
Il est des illusions qui ne survivent pas à la jeunesse, Petit Morgat nous le rappelle. Mais les sentiments éprouvés les premières fois à la lecture de ce roman étaient eux au rendez-vous. Une lecture non pas infantilisante, mais profondément marquante. 

L'ancre de miséricorde, par Pierre Mac Orlan, Phébus, collection Libretto.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vite, relire ce que tu relis et relies

panti a dit…

Prendre un livre et s'y plonger, une minute, une heure, une journée ou une vie......
Bisous du week-end et profite du printemps.
Maman Mule
Ps:un membre de plus dans la famille mule,une petite chatte....

Martine a dit…

J'aime que l'on me donne des idées de lecture, alors à la recherche de celui-là, bon week-end, bises Martine

MONSIEUR LE CHAT ET MOI a dit…

Il est des livres qui m'accompagnent, et que j'ouvre au hasard et qui chaque fois m'emportent : Christian Bobin, le Dalaï lama et d'autres encore.
Chat l'heureusement

Joëlle de chat en chats