mercredi 10 août 2011

Dans la fosse au lion (une histoire à la gomme)


J'ai plongé dans la fosse au lion. Et j'en suis sortie. Même pas eu peur  (enfin, à peine) ! Comment, direz-vous, moi qui fréquente habituellement des félins d'un autre genre que le grand fauve à crinière ? Notez l'emploi du singulier pour "lion". C'est que j'ai dû me rendre dans un garage Peugeot pour faire changer un pneu, alors que je roule italien. Vous m'auriez dit ça il y a une semaine encore, je vous aurais ri au nez. Et envoyé paître. Las, le sort s'est joué de moi avec la plus féroce ironie.
Tout a commencé par un pneu à plat, la semaine dernière. 
Ah, les joies de la crevaison ! On se rend compte qu'il existe encore des gens serviables.  Un monsieur - le propriétaire de mon garage - se met en quatre pour changer la roue et la remplacer par la galette logée dans le coffre. Je me traîne ainsi équipée jusqu'à un atelier de réparation. J'apprends que mon pneu, percé et endommagé par une vis, est foutu. Faute du modèle Kléber idoine, le technicien  téléphone chez Peugeot, qui travaille avec cette marque. Nous sommes vendredi, il est dix-sept heures passées et la concession est sur le point de fermer : j'irai lundi.
Peugeot ! Ma première pensée est "Jamais de la vie !". Je n'ajoute pas "Plutôt crever", c'est déjà fait.
Il faut dire qu'entre ma famille et la firme sochalienne, c'est loin d'être le grand amour.
Mon grand-père a été propriétaire d'une Peugeot dans les années 50. Il s'est vite rendu compte que la voiture attirait comme un aimant les autres véhicules. Au total, une dizaine d'accrochages. Il n'en était jamais responsable. Non, les autres conducteurs venaient systématiquement emboutir la carrosserie. Lassé des froissements de tôle (un comble pour lui qui en fabriquait), mon grand-père changea de voiture et de marque. Ainsi naquit la malédiction Peugeot. J'ai grandi dans l'exécration du constructeur de Sochaux et de ses automobiles. A son seul nom les mines se crispent, les visages pâlissent comme si on avait proféré un blasphème. Mes chromosomes portent un gène anti-Peugeot qui remonte à deux générations. L'hérédité des caractères acquis dans toute sa splendeur ! Qui a dit "C'est la faute à Lamarck" ?
J'ai pourtant conduit des Peugeot au cours de ma carrière d'automobiliste. Je n'avais pas le choix et ce n'était jamais sans appréhension, bien que j'aie conduit des voitures d'autres marques autrement plus redoutables. Je suis conditionnée par une longue tradition familiale. Mais j'avoue que ma curiosité me poussait, et peut-être autre chose, comme s'il s'agissait de transgresser un tabou. A chaque fois, je suis sortie indemne de l'expérience. Mais je me disais qu'on ne m'y reprendrait plus.
C'est donc avec la plus vive réticence que j'ai fait mes premiers pas dans le garage Peugeot de ma petite ville. Je m'attendais plus ou moins à ce qu'une voiture folle me fonce dessus, ou qu'un pont malintentionné ne me raplatisse. Ou, à la rigueur, qu'on ne me fourgue un modèle de vive force en lieu et place de la Tine. Or l'endroit n'a rien d'inquiétant. Au contraire. On y est bien accueilli. Le travail a été effectué rapidement et dans les règles de l'art. En sortant j'ai poussé un grand ouf : j'ai vaincu ma répulsion atavique, et la Tine est à nouveau correctement chaussée !
Enfin j'ai appris une chose essentielle lors de cette incursion dans l'antre du lion : tous les modèles Peugeot sont dotés de sièges chauffants. La marque garantit ainsi à ses clients "l'effet Sochaux".
Le lion, après tout, n'est jamais qu'un gros chat.


Illustration : La chasse au lion, Eugène Delacroix.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment oses-tu illustrer un tel article par un Delacroix alors qu'il es si rafaélique par son esprit? Manger du lion autorise toutes les transgressions!

panti a dit…

Mais tu as mangé du lion!!....
Bisous du vendredi et bon week-end
Maman mule

Martine a dit…

Comme quoi...je vais me souvenir de cette histoire pour avoir, peut-être, le courage d'affronter certains endroits qui sont mon peugeot à moi! Amitié, Martine

Anonyme a dit…

Solidarité entre usagers de Tines déchaussées! Un méchant silex contraint la mienne à rester au garage jusqu'à lundi! Puis-je oser dire que j'ai les boules de gomme?