Vous êtes bien sérieux, jeune homme !
En flagrant délit de grignotage ?
Toumaï, chat cul-de-jatte ?
Samedi 25 octobre 2014. Je sors de chez mon bon docteur. Son cabinet est situé à l'autre bout de la ville ; j'ai ma voiture et suis garée sur une vaste place toute proche, bordée de hautes maisons bourgeoises d'inspiration hispano-mauresque. Le quartier, autrefois animé, est aujourd'hui réduit au statut de cité-dortoir.
Il fait gris, il pleuvine et je me hâte de regagner la Petite Tine. Sur le pas d'une porte, un chat boit du lait dans une écuelle. Je me penche pour le caresser quand soudain la porte s'ouvre et laisse échapper un chaton roux et blanc. Je lève les yeux, étonnée, sur la femme qui vient d'apparaître sur le seuil. "Vous le laissez s'enfuir ?" "Il n'est pas à moi, il est entré dans la cave par un soupirail. C'est un chat abandonné." Ah bon. Elle a l'air désolée mais aussi résolue à se débarrasser de l'intrus. Moi je l'aurais gardé, ce minet. Il est là, sur le trottoir, il s'éloigne sous la pluie fine en boitillant me semble-t-il. La scène me fend le cœur. Je me décide, vite. Je dis au revoir et repars vers ma voiture, le temps de passer un coup de fil. Lorsque je sors de la Petite Tine, la bête s'est volatilisée. Happée par un autre soupirail ? Cachée sous une voiture ? Je reprends le volant, fais le tour de la place. Pas de chaton bicolore. Je dois faire quelques courses, mais son éviction me reste en travers de la gorge, et je ne cesse d'y penser. Mes achats expédiés, tant ce malheureux m’obsède, je reprends la direction de la place, j'en fais à nouveau le tour - avec la Petite Tine aux flancs ornés de coquelicots, je vais me faire repérer - et rentre finalement bredouille à la maison. Je viens de m'attribuer le rôle de sauveuse et ce chat, je le veux ! Je pense déjà à des noms, parmi lesquels Toumaï arrive en tête.
Je ne cesse de ressasser la vision du chaton trottinant sous la pluie, image même de la détresse et de l'abandon. Je n'arrive pas à me faire une raison. Et je reprends le chemin de la fameuse place, en compagnie de ma mère cette fois : deux paires d'yeux ne seront pas de trop pour scruter les lieux, soupiraux, appuis de fenêtres et dessous de voitures. En vain.
Pour nous consoler, nous décidons de filer acheter des pâtisseries sur la route de la grande ville voisine. Las ! En ce samedi après-midi, toutes les voitures des environs semblent s'être donné rendez-vous à la sortie de l'autoroute, et nous nous retrouvons dans un embouteillage bien compact. Je perds patience. Une échappatoire - la route du retour - s'offre à moi et je m'y engage sans regrets. Tant pis pour les gâteaux ! Ce sera en outre l'occasion de partir une dernière fois à la recherche du petit roux et blanc...
Nous longeons lentement la place et, miracle, non loin de l'endroit où je l'avais vu, il est là, dans l'encadrement d'un soupirail ! Je stoppe, descends de voiture et embarque "Toumaï", avec l'impression de commettre un rapt. Le chaton, pas sauvage pour deux ronds, s'installe sur la planche de bord. Nous n'avons pas parcouru trois mètres que nous croisons deux hommes à pied. L'un d'eux tend le doigt vers le pare-brise et s'écrie : "Il est là !" J'ai peut-être beaucoup de défauts, mais je ne suis pas une voleuse. Je me gare en catastrophe, descends de voiture, un peu contrite, et marche vers les deux hommes, qui se sont arrêtés et me regardent. Je m'attends à me faire copieusement "pourrir". "Bonjour. C'est votre chat ? Je suis désolée, une voisine m'a dit qu'il était abandonné. Je l'ai pris sans penser qu'il avait un propriétaire." (Comme si on pouvait être propriétaire d'un chat. Mais ce n'est pas le moment de finasser.) "Ce n'est pas grave. Il a l'habitude de suivre mon ami - le propriétaire en question désigne son compère d'un signe de la tête - qui habite ici - il montre la fenêtre d'un appartement à l'étage d'une des maisons. Je viens régulièrement le rechercher. J'ai toujours peur qu'il se fasse écraser."
J'ai pris Toumaï - qui porte encore son nom "d'origine" - dans mes bras pour le poser sur la banquette arrière avant de le restituer à qui de droit, le cœur navré. L'homme réfléchit. "Il vous plaît ?" Oh que oui ! "Je vous le donne. J'ai d'autres chats chez moi, une portée doit bientôt arriver chez ma sœur..." Il hésite un peu. "Je voudrais juste lui dire au revoir." Me laissant à ma sidération, incrédule, les mots "Je vous le donne" résonnant dans ma tête, il se penche par la portière ouverte, caresse le chaton, lui murmure quelques mots. Il se redresse. Un instant, je tremble. "C'est toujours d'accord ? Vous êtes vraiment décidé ?" "Oui. Je vais vous laisser mon numéro de téléphone, vous me donnerez de ses nouvelles." Je me confonds en remerciements. Jamais encore on ne m'a donné un chat de cette façon, sur une place solitaire où l'automne s'est abattu sur les arbres, où les feuilles jaunes et rouges tombent en un tapis encore clairsemé.
Et nous rentrons avec Toumaï, après un salut de la main à l'homme généreux, pensif... Le petit blanc et roux - il a sept mois, nous a dit son ancien "maître" - sera définitivement un chat d'octobre, un chat d'automne, lui dont la robe mêle le blanc pur au caramel blond.
C'était il y a deux ans. Toumaï, dit "Petit Bellot", s'est bien acclimaté parmi ses frères et sœurs d'adoption. Après le départ de Bosco, à la suite d'une sorte de guerre de succession, il aurait même tendance à jouer les chefs, tenant en respect de forts matous tels Chaman et Phoebus, sans compter les divers intrus qui risquent une patte dans le jardin. Il nous charme de ses grands yeux d'un vert très clair, de ses petits coups de tête donnés sur la main...
Jeune chat, il n'a bien sûr rien à voir avec Toumaï, "ancêtre de l'humanité", dont les restes furent découverts en 2001 au Tchad. Mais j'ai appris que ce nom, en langue gorane, signifie "espoir de vie".
Les chats nous amènent parfois à des rencontres singulières. Et si j'ai encore pour ce billetpillé emprunté le titre d'un célèbre roman d'espionnage et d'un film américains, c'est que je préfère, à cette famille-là, ce clan-ci.
Je ne cesse de ressasser la vision du chaton trottinant sous la pluie, image même de la détresse et de l'abandon. Je n'arrive pas à me faire une raison. Et je reprends le chemin de la fameuse place, en compagnie de ma mère cette fois : deux paires d'yeux ne seront pas de trop pour scruter les lieux, soupiraux, appuis de fenêtres et dessous de voitures. En vain.
Pour nous consoler, nous décidons de filer acheter des pâtisseries sur la route de la grande ville voisine. Las ! En ce samedi après-midi, toutes les voitures des environs semblent s'être donné rendez-vous à la sortie de l'autoroute, et nous nous retrouvons dans un embouteillage bien compact. Je perds patience. Une échappatoire - la route du retour - s'offre à moi et je m'y engage sans regrets. Tant pis pour les gâteaux ! Ce sera en outre l'occasion de partir une dernière fois à la recherche du petit roux et blanc...
Nous longeons lentement la place et, miracle, non loin de l'endroit où je l'avais vu, il est là, dans l'encadrement d'un soupirail ! Je stoppe, descends de voiture et embarque "Toumaï", avec l'impression de commettre un rapt. Le chaton, pas sauvage pour deux ronds, s'installe sur la planche de bord. Nous n'avons pas parcouru trois mètres que nous croisons deux hommes à pied. L'un d'eux tend le doigt vers le pare-brise et s'écrie : "Il est là !" J'ai peut-être beaucoup de défauts, mais je ne suis pas une voleuse. Je me gare en catastrophe, descends de voiture, un peu contrite, et marche vers les deux hommes, qui se sont arrêtés et me regardent. Je m'attends à me faire copieusement "pourrir". "Bonjour. C'est votre chat ? Je suis désolée, une voisine m'a dit qu'il était abandonné. Je l'ai pris sans penser qu'il avait un propriétaire." (Comme si on pouvait être propriétaire d'un chat. Mais ce n'est pas le moment de finasser.) "Ce n'est pas grave. Il a l'habitude de suivre mon ami - le propriétaire en question désigne son compère d'un signe de la tête - qui habite ici - il montre la fenêtre d'un appartement à l'étage d'une des maisons. Je viens régulièrement le rechercher. J'ai toujours peur qu'il se fasse écraser."
J'ai pris Toumaï - qui porte encore son nom "d'origine" - dans mes bras pour le poser sur la banquette arrière avant de le restituer à qui de droit, le cœur navré. L'homme réfléchit. "Il vous plaît ?" Oh que oui ! "Je vous le donne. J'ai d'autres chats chez moi, une portée doit bientôt arriver chez ma sœur..." Il hésite un peu. "Je voudrais juste lui dire au revoir." Me laissant à ma sidération, incrédule, les mots "Je vous le donne" résonnant dans ma tête, il se penche par la portière ouverte, caresse le chaton, lui murmure quelques mots. Il se redresse. Un instant, je tremble. "C'est toujours d'accord ? Vous êtes vraiment décidé ?" "Oui. Je vais vous laisser mon numéro de téléphone, vous me donnerez de ses nouvelles." Je me confonds en remerciements. Jamais encore on ne m'a donné un chat de cette façon, sur une place solitaire où l'automne s'est abattu sur les arbres, où les feuilles jaunes et rouges tombent en un tapis encore clairsemé.
Et nous rentrons avec Toumaï, après un salut de la main à l'homme généreux, pensif... Le petit blanc et roux - il a sept mois, nous a dit son ancien "maître" - sera définitivement un chat d'octobre, un chat d'automne, lui dont la robe mêle le blanc pur au caramel blond.
C'était il y a deux ans. Toumaï, dit "Petit Bellot", s'est bien acclimaté parmi ses frères et sœurs d'adoption. Après le départ de Bosco, à la suite d'une sorte de guerre de succession, il aurait même tendance à jouer les chefs, tenant en respect de forts matous tels Chaman et Phoebus, sans compter les divers intrus qui risquent une patte dans le jardin. Il nous charme de ses grands yeux d'un vert très clair, de ses petits coups de tête donnés sur la main...
Jeune chat, il n'a bien sûr rien à voir avec Toumaï, "ancêtre de l'humanité", dont les restes furent découverts en 2001 au Tchad. Mais j'ai appris que ce nom, en langue gorane, signifie "espoir de vie".
Les chats nous amènent parfois à des rencontres singulières. Et si j'ai encore pour ce billet
5 commentaires:
Tu es de retour? Quel plaisir si oui, tes beaux textes me manquaient, alors à bientôt à nouveau j'espère, amitiés, Martine
Un titre bien trouvé! Le sous-marin des soupiraux s'est retrouvé dans un havre de paix parmi des mères calmes.
Dépêche-toi : le mois d'octobre est bientôt fini et on dit bien jamais deux sans trois. Quel rouge (garance?) poursuis-tu encore?
Tout le long du texte je me disais " pourvu que cela se termine bien , pourvu que le petit finisse dans les bras de Rafaèle, pourvu que la voiture habillée de coquelicot vienne attirer l’œil du petit roux , déjà 2 ans cet heureux petit bonhomme !!!
Quel suspense ! J'étais autant en haleine qu'Hélène ! Certains "hasards" sont tout de même incroyables. Vous étiez fait pour vous rencontrer.
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