Voici quelques années, je vous avais entretenus de mon emblématique veste noire, rendue importable suite aux outrages infligés par les mites, ces carnassières, qui n'en ont décidément rien à f... de l'affection qui nous lie à certains vêtements, et se contrebalancent des produits à odeur forte destinés à les éloigner. Rien n'a moins de cœur qu'une mite, hormis une autre mite, ou un PDG de multinationale. J'ai eu des cabans, des manteaux, un blazer en tweed à double boutonnage, comme j'aime, mais aucun n'a pris la place de "ma petite veste" tant chérie. Dire que je me suis fait une raison serait exagérer. On n'oublie rien, mais on s'habitue, chantait le Grand Jacques. Je ne suis pas entièrement convaincue, mais si je garde - un peu - la nostalgie de ma veste, elle s'atténue...
L'an dernier, en cette fin d'été qui nous fait encore hésiter entre tenues légères et vêture plus douillette, alors que je parcourais la Grande-Rue à Dieppe, je suis tombée en arrêt devant une vitrine. Sur le mur de droite était épinglée, tel un papillon aux ailes moirées, une veste noire joliment coupée dans un tissu brillant, comme constitué de minuscules écailles. Assez courte, pimpante, manches trois-quarts dans un esprit années 60, fermée par un bouton et signée d'une marque italienne, elle avait immédiatement accroché mon regard et semblait me tendre les bras. A vue de nez, elle était à ma taille, et le prix "promotionnel" (des soldes déguisés) la rendait abordable. Je suis entrée dans la boutique, ai demandé à l'essayer. Elle me seyait parfaitement, mais je concevais quelques hésitations en raison de sa matière étincelante, pas forcément idéale pour le quotidien... Pas trop voyante ? Pas trop habillée ? Pas trop... ? je n'osais pas formuler carrément le mot ou plutôt l'image qui m'était venue en tête. Rassurée par la patronne, bien sûr, qui tenait absolument à me fourguer sa veste, la toute dernière... Et je quittais la boutique avec, dans un grand sac de papier blanc, mon butin.
Et cette veste, j'ai décidé de l'assumer. Je l'ai portée ! Tous les jours, avec un jean, une jupe, sur un pull ou un top, en guise de cache-misère, mais l'esprit conquérant ! Je l'ai étrennée presque sitôt achetée et l'ai retrouvée avec plaisir au printemps. Sa coupe un peu chicos et son étoffe "habillent" les frusques les plus insignifiantes. Les bons jours je l'appelle "ma veste disco", les autres, ceux où je me fais la tête, "ma veste de bombasse". Mais elle m'est devenue indispensable.
Et puis, cet été, elle a disparu. J'ai fouillé la maison de fond en comble. Idem pour ma voiture : banquette arrière, dessous des sièges... Même le coffre a été inspecté. Comme si j'avais pu éprouver la soudaine lubie de fourrer ma veste dans le coffre de la Petite Tine ! Le garage où elle dort a été passé au peigne fin. Comme si j'étais femme à laisser traîner mes habits dans un garage. Même pas en rêve ! Je devenais folle. Je suis retournée arpenter en tous sens les lieux où j'aurais pu l'oublier : magasins, cafés. Elle restait introuvable et j'ai fini par penser qu'elle avait dans un instant d’inattention glissé de mon bras pour filer vivre sa propre vie et n'avait pas été perdue pour tout le monde. Je scrutais d'un air suspicieux la mise des femmes que je croisais. Non, ma veste s'était volatilisée...
Voici un mois environ, nous allons déjeuner, un ami et moi, au restaurant chinois de ma petite ville. La patronne est sur le pas de la porte. Elle nous sourit de loin. J'approche et à peine ai-je le temps de la saluer qu'elle me lance : "Vous avez oublié votre veste la dernière fois !". Jamais, au cours de mes recherches frénétiques, je n'ai pensé au "chinois" où ma mère et moi nous sommes régalées, quelques semaines plus tôt, de beignets de crevettes et de petits dés de poisson frit. Je n'y crois pas. Pas tant que je ne l'ai pas vue, touchée. Et pourtant, elle se trouve bien, soigneusement pliée, dans le sachet blanc que me tend en souriant la serveuse alors que nous allons quitter l'établissement.
Depuis, je brille à nouveau dans les rues, ces quelques grammes d'étoffe miroitante sur le dos, et je brillerai tant que la douceur de ce début d'automne me le permettra.
Oui, j'ai bien assimilé "ma petite veste noire", deuxième du nom, j'en ai fait une seconde peau, ophidienne, légère et protectrice.
Comment, finalement, nos vêtements s'attachent à nous autant que nous nous attachons à eux...
Illustration : Edouard Manet, Jeune femme allongée en costume espagnol, 1862.
Source : http://kerdonis.fr/ZMANET01/
Et puis, cet été, elle a disparu. J'ai fouillé la maison de fond en comble. Idem pour ma voiture : banquette arrière, dessous des sièges... Même le coffre a été inspecté. Comme si j'avais pu éprouver la soudaine lubie de fourrer ma veste dans le coffre de la Petite Tine ! Le garage où elle dort a été passé au peigne fin. Comme si j'étais femme à laisser traîner mes habits dans un garage. Même pas en rêve ! Je devenais folle. Je suis retournée arpenter en tous sens les lieux où j'aurais pu l'oublier : magasins, cafés. Elle restait introuvable et j'ai fini par penser qu'elle avait dans un instant d’inattention glissé de mon bras pour filer vivre sa propre vie et n'avait pas été perdue pour tout le monde. Je scrutais d'un air suspicieux la mise des femmes que je croisais. Non, ma veste s'était volatilisée...
Voici un mois environ, nous allons déjeuner, un ami et moi, au restaurant chinois de ma petite ville. La patronne est sur le pas de la porte. Elle nous sourit de loin. J'approche et à peine ai-je le temps de la saluer qu'elle me lance : "Vous avez oublié votre veste la dernière fois !". Jamais, au cours de mes recherches frénétiques, je n'ai pensé au "chinois" où ma mère et moi nous sommes régalées, quelques semaines plus tôt, de beignets de crevettes et de petits dés de poisson frit. Je n'y crois pas. Pas tant que je ne l'ai pas vue, touchée. Et pourtant, elle se trouve bien, soigneusement pliée, dans le sachet blanc que me tend en souriant la serveuse alors que nous allons quitter l'établissement.
Depuis, je brille à nouveau dans les rues, ces quelques grammes d'étoffe miroitante sur le dos, et je brillerai tant que la douceur de ce début d'automne me le permettra.
Oui, j'ai bien assimilé "ma petite veste noire", deuxième du nom, j'en ai fait une seconde peau, ophidienne, légère et protectrice.
Comment, finalement, nos vêtements s'attachent à nous autant que nous nous attachons à eux...
Illustration : Edouard Manet, Jeune femme allongée en costume espagnol, 1862.
Source : http://kerdonis.fr/ZMANET01/
3 commentaires:
On pourrait croire que tu va parler d'un parfum, mais non, ici, il la veste noire n'est pas une jupe et est bel(le) et bien un habit et tu nous régales d'une nouvelle aventure. Mais pourquoi dévaloriser l'élégance qui est savoir faire, savoir être et nullement provocation ou masque?
Bonsoir Rafaele,
Belle histoire pour cette "seconde peau" Entièrement d'accord avec vous. Certains vêtements ont une longue histoire et une relation particulière avec nous.
J'avoue personnellement en conserver certains que je ne porterais plus mais que je ne peux ni céder ni jeter car trop aimés ou trop chargés d'émotions.
Pascale 31
Rafaèle ou le talent narratif.
N'importe qui en aurait fait un rapport banal de cette PVN cherchée, perdue et retrouvée. Avec toi, c'est Colette, Flaubert, Delerm, Nothomb dans un seul billet.
Je ne savais pas que tu avais posé pour Manet ;-)
Bises
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