dimanche 22 juillet 2012

Le chat Marchal


Il y a quelques années, une femme très intelligente m'a dit que je ressemblais à la publicité pour les phares Marchal, cette face de chat stylisée aux yeux étincelants. Je ne suis pas sûre que c'était un compliment. D'abord je ne me suis jamais trouvé une tête de chat. Je n'ai ni vibrisses ni oreilles pointues. Et le minet peut exprimer aussi bien la vivacité que la fourberie. Le chat - surtout noir - reste un être maléfique. Le chat, c'est l'ennemi. Mon interlocutrice m'avait promis de m'offrir la fameuse publicité. C'était, je me rappelle, au cours d'un dîner tardif (et bien arrosé), dans la nuit tombante, au bord d'une piscine. Les grillons stridulaient. La promesse sombra dans l'oubli et je ne reçus jamais le présent.
Le chat Marchal, tout le monde connaît. C'est l’identité de l'équipementier. Voici quelques dizaines d'années, son masque en noir et jaune figurait, embossé dans une plaque de métal laquée ou émaillée, dans tous les garages. Il devait y avoir une de ces publicités chez l'électricien automobile à qui mon grand-père confiait ses voitures. Au fond, le chat Marchal, c'est mon enfance, les vacances et le contrôle qui précède les grands départs. Le félin toujours attentif présidait à la sécurité des voyageurs et se portait garant en personne de leur arrivée à bon port.


La légende veut qu'en 1923, Pierre Marchal, alors qu'il rentrait sa voiture dans son garage, capture dans le faisceau de ses phares le regard phosphorescent de son chat noir (que je m'imagine être le sosie de Lara). Il est vrai que les yeux des chats sont associés à la notion d'une vision nocturne parfaite, osons le mot, à la nyctalopie. Une image et un slogan étaient nés : "Je ne prête mes yeux qu'à Marchal".
Avec ces yeux dispensateurs de lumière, le matou érigé en mythe devient dès lors omniprésent, indissociable de la marque. Optiques, bougies d’allumage, balais d'essuie-glace équipent tant le véhicule de Monsieur-tout-le-monde que les bolides de course. Au cours des décennies, la société Marchal accumule innovations et trophées en compétition. C'est elle qui inventa en 1962 les phares à iode. Pendant ce temps, Henry Cany, artiste ailurophile, illustrateur de revues d'automobile, décline le chat noir, âme et emblème de la marque, dans toutes les circonstances, sur routes et circuits, accompagné du drapeau à damier, jusqu'à la version épurée qui nous est familière.

Une affiche signée Jean Colin

Ces vieilles pubs me rendent nostalgiques. A présent, si le célébrissime logo a disparu de notre quotidien, il reste vivace dans les esprits. Il appartient à la mémoire collective, à la longue légende de l'automobile, à l'image d'une certaine époque. En 1980, l'entité "SEV Marchal" a été absorbée par un géant de l'équipement automobile*. Mais il subsiste de son ADN dans l'éclairage de nos voitures.

Les yeux des chats sont toujours des phares. Ils éclairent et guident. Et j'aime l'idée que ce regard scintillant, aujourd’hui encore, fasse preuve pour nous d'une vigilance aiguisée et, forant les ténèbres, pourvoie à une sérénité absolue par tous temps et garantisse au conducteur solitaire une route nocturne sûre.





Je sais que des amies blogueuses et des amis blogueurs sont plus chineuses ou chineurs que moi. S'il leur arrive au cours d'une équipée de mettre la main sur cette fameuse plaque... L'appel (de phares) est lancé !

* Rectificatif : un responsable de Valeo a bien voulu m'apporter ces précisions :
"SEV-Marchal n'a pas été "absorbé" en 1980, l'entreprise a "fusionné" en 1971 par échange d'actions avec un autre équipementier français spécialiste du freinage et de l'embrayage, la "Société Anonyme Française du Ferodo" (SAFF).
Ces deux entités, aux activités complémentaires (SEV Marchal pour les équipements électriques, électroniques et les accessoires auto - essuie-glaces, avertisseurs, bouchons... -, SAF-Ferodo pour le freinage et l'embrayage), forment donc un seul et même Groupe dès 1971 et choisiront de prendre un seul et même nom en 1980, pour signifier leur unité.
La Marque Marchal sera toutefois conservée après ce changement de patronyme."

7 commentaires:

Anonyme a dit…

On a tendu une oreille et on ouvre les yeux sur les brocantes.
Les voitures ainsi équipées devaient faire un doux ronron!

Rafaèle a dit…

J'imagine plutôt un vrombissement qui ressemble à un "miaou".

Triskell a dit…

Bien reçu ! Je me mets pleins phares sur la prochaine brocante pour épier la plaque convoitée.
Donc Rafaèle, grâce à cette amie d'un soir, nous savons désormais à quoi tu ressembles...

Anonyme a dit…

Merci encore pour ce joli texte qui commence par une modeste confidence pour nous conduire vers tout un monde que tu sais si bien explorer et présenter en quelques phrases. On apprend beaucoup en te lisant, ou plutôt on remarque enfin ce que tu mets en lumière, ce devant quoi on était passé sans le voir. Cette femme était décidément bien intelligente pour te comparer à un chat dont les yeux éclairent et guident. Mais tu sais aussi passer du regard félin aux mots justes, aux mots savants et savoureux. "Nyctalope"! "ailurophile"! de jolies perles dans un texte limpide. La nostalgie devient un plaisir, bien plus, un petit bonheur lorsqu'elle s'exprime aussi bien.

Philippe a dit…

Ni la société Marchal ni son logo ne m'évoquent quoi que ce soit. Pourtant j'étais né, pas en 1923 certes, mais en 1980 depuis quelques années déjà.
Je serai aux aguets dans mes prochaines brocantes...

les sylvestres a dit…

Génial ! Je ne connaissais pas du tout Le Chat Marchal, avec votre superbe texte (comme d'habitude, très agréable à lire) j'ai appris beaucoup de choses ! Merci !!!!! et puis j'ai un faible pour les chats noirs ou les chats noirs pour moi...

panti a dit…

Je vais chercher et quand une mule cherche elle trouve ......
Bisous du lundi
Maman mule