L'enthousiasme de ma mère, la critique de Philippe l'année dernière. La mer, les chats, la Normandie. Autant de raisons de lire Les déferlantes. Autant de raisons de ne pas le lire : ces thèmes me sont trop chers, trop proches, pour ne pas me toucher. Aussi j'ai préféré l'évitement. C'est pourquoi le bouquin a mariné, si je puis dire, pendant des mois et des mois sur ma table de chevet.
Et puis un soir il y a eu le déclic. Le moment où je ne pouvais plus remettre sans cesse cette lecture. J'ai cédé aux appels du livre auxquels jusqu'alors je demeurais sourde. Je ne me l'explique pas. Ce devait être l'instant idéal pour la rencontre...
La narratrice, profondément meurtrie par la perte de son compagnon (amant ? mari ?) a accepté un poste sur une côte sauvage du Cotentin, non loin du Cap de la Hague. Elle observe et dénombre les oiseaux marins, les nids, les œufs. Elle a trouvé dans ce travail et dans ce lieu reculé un refuge contre sa douleur. Mais voici que débarque au village un « horsain », comme elle, qui sème les interrogations et ravive les souvenirs de chacun. Doucement vont se dénuder les rouages d’une tragédie vieille de quarante ans.
Le pays de la Hague se prête aux grandes passions, car sur cette terre fouettée par les vagues et les vents, on s'aima fort. Le silence a plus de poids que les mots. Se taire, on sait très bien faire. Se révèlent les haines macérées, les rancunes toujours vivaces et j’oserais dire nourricières. On développe aussi l'art de se pourrir la vie. En gâchant celle des autres.
Le récit progresse lentement, à petits coups de plume. C’est un rythme auquel il faut s’habituer. Pour conférer à son texte un vernis d'authenticité, l'auteur use d'un style parlé qui confine malgré tout au maniérisme. Cela m'a agacée. Car cela reste, finalement, assez conventionnel. Dommage pour cet effet « roman à la mode ». Cependant, Claudie Gallay a su ménager des silences entre les mots. Le lecteur n’est pas bousculé. Peu à peu, au fil de l’enquête que mène la narratrice, de rencontre en rencontre, la parole se libère, les vieux secrets se dessinent puis se débrument.
Avec la narratrice dont nous ne saurons pas le nom, nous côtoyons des personnages attachants : Raphaël le sculpteur tourmenté, sa sœur Morgane à qui l’unit un lien fusionnel, Max le lunaire qui aime Morgane d’un amour impossible, Lili la patronne du bistrot et sa mère à demi impotente, ravagée de haine, la vieille Nan, un peu cinglée, frappée de trop de deuils, qui s’occupa jadis d’un foyer d’enfants abandonnés, Théo, l’ancien gardien du phare, qui vit entouré de chats et porte une terrible responsabilité sur la conscience. Le phare, n'est-ce pas la métaphore de ce qui nous éclaire, nous attire, avec cependant une double et redoutable finalité : nous sauver ou nous détruire ? Nous croisons aussi Monsieur Anselme, l’érudit local, héraut du souvenir de Prévert qui vécut non loin de là, à Omonville-la-Petite. Mot après mot, les protagonistes dévoilent leur histoire au contact de la narratrice, que son apparente neutralité met en position de recueillir les confidences.
Et puis il y a les paysages façonnés par l’âpreté des éléments et les vieilles maisons qui semblent vivre leur vie propre et abritent peut-être des fantômes, si ce n'est des goublins ou des fées…
Roman de l’attente, roman du deuil, roman de la mer surtout, Les déferlantes m’a fait ressentir l’envoûtement de ce coin de Normandie dont on ne sait plus très bien s’il est terre ou eau. La mer y est un personnage parmi les autres. Entité puissante et mystérieuse, omniprésente qui prend - les vies, les hommes - mais ne rend pas toujours. Elle rythme le temps et conditionne les existences. Je ne peux que saluer le talent d’observatrice de l’auteur, qui a su en transcrire les humeurs et les nuances. Elle s’est manifestement immergée dans cet univers. Roman du temps qui passe, aussi : celui qui enfouit les drames mais ne les efface pas. Celui qu’il faut à la narratrice pour se réparer, se reconstruire, retrouver la sérénité. Car la paix - si tant est qu’on puisse la trouver - et la vérité sont au bout du chemin…
Une question reste à la fin de cette lecture : comment peut-on vivre loin de la mer ?…
Ce roman-là a toute sa place dans ma Chambre Normande.
J’attends maintenant qu’on me propose de compter les goélands sur la Côte d’Albâtre.
Les déferlantes est publié chez J'ai Lu.
Illustration : Le phare, huile de Claudine Douville.
6 commentaires:
Compter les mouton pour dormir paisiblement et les goélands pour rêver de voyages? Lorsque tu t'installera sur la haute côte blanche tu peupleras de tes livres ta chambre normande. La tienne. Et nous les lirons.
Je suis bien tentée par cette déferlante ainsi narrée. A mon tour , j'attendrai au détour cette écriture qui parle de ce coin de Normandie que j'aime tant. Oui , comment vivre loin de ce paysage....
Bien à vous.
Hélène
Tu as répondu à l'appel de la sirène..
Bisous du mercredi
La mule horsaine et garde-fée.
J'ai essayé de le lire étant une grande amoureuse de ce coin de France, de la mer et des oiseaux mais j'ai arrêté à cause de cette façon d'écrire qu'elle a et qui me dérange, j'ai le même problème avec M. Duras dont le style est un peu semblable. Mais ton texte va peut-être m'aider à le reprendre en main et c'est une bonne saison, là, pour ce genre de lecture, avec toute mon amitié, Martine
Nous avons eu les mêmes agacements, heureusement surmontés. Je suis heureux que vous l'ayez enfin lu.
Quant à votre ultime interrogation, je me la pose souvent, en substituant au mot "mer" celui d'océan cependant. Car en disant "mer", j'entends bien trop facilement "mère"...
Un petit coucou en passant pour prendre des nouvelles .
Nathalie
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