lundi 4 avril 2011

"L'écriture sur le mur", de Gunnar Staalesen


C'est toujours avec un peu de fébrilité que je découvre un nouveau Staalesen, une nouvelle enquête du détective Varg Veum, et me lance dans sa lecture. J'avais rencontré l'auteur norvégien à Yvetôt en novembre dernier. Un moment marquant en compagnie d'un homme simple, sincère et attachant. A l'image de son héros, Varg Veum ?
L'écriture sur le mur est son dernier roman publié sur notre territoire. Je l'ai reposé il y a peu sur ma table de chevet.
Malgré des déconvenues, malgré des meurtrissures de l'âme sur lesquelles son sens de l'auto-dérision lui interdit de s'apitoyer, Varg Veum garde sa "pêche", son sens de la justice et son humour auquel rien n'échappe. Une nouvelle mission lui est confiée : retrouver une jeune fille disparue. Point de départ somme toute banal qui va le lancer en quête de traces, si infimes soient-elles, de Torild, recueillies auprès des siens, et l'amener à découvrir des ramifications insoupçonnées à cette affaire. Les révélations se succèdent à mesure que l'on touche à la vérité. Les êtres se dévoilent, les âmes se dénudent peu à peu sous les questions de Varg. Les façades se fissurent, laissent place au désarroi. Et parfois à des choses moins avouables.
Confronté à ces hommes et ces femmes en mal de repères, le privé berguénois se garde pourtant de juger, de moraliser. Combatif et désabusé, il est avant tout le témoin d'un système mal en point. Les couples rencontrent l'échec, les frustrations s'accumulent, les jeunes vies tournent mal, tandis que l'absence de scrupules se révèle un trait de caractère indispensable à la réussite, si l'on peut appeler réussite la mainmise sur la pègre locale et les réseaux aux activités douteuses. Birger Bjelland, gredin patenté, que nous avons  croisé antérieurement, est l'exemple de cette figure mafieuse intouchable, et ses estafiers sont aussi stupides que dangereux. Face à cette organisation, une police quelque peu dépassée. Même l'inspecteur Dankert Muus, vieux comparse - faut-il dire "ennemi" ? - de Varg Veum semble avoir perdu en pugnacité et animosité à l'approche de la retraite. Ajoutons que cette fois, le détective a dû creuser trop profond au cours de son enquête : ses recherches ont agacé quelque malandrin et le voici menacé de mort. Bref, les choses risquent de se gâter pour lui s'il ne démasque pas à temps l'auteur d'un faire-part de décès... à son nom !
Le récit de ces péripéties inédites donne une lecture agréable, souvent palpitante, parfois angoissante (j'avoue appréhender les passages où Varg est sur le point de se faire passer à tabac !). Avec la finesse d'un psy rompu aux détours de l'esprit et la précision d'un sociologue, Gunnar Staalesen dépeint la violence "ordinaire", et presque inévitable, celle qui réside à dose variable en chacun de nous. Elle est désir de domination, déni de l'altérité et a cours dans chaque foyer, chaque milieu social. Chacun lutte avec plus ou moins de force et de facilité pour sa propre survie dans un monde indifférent, animé par l'attrait du lucre.
"L'écriture sur le mur" est ici à la fois réelle (un "T" énigmatique tracé par un juge retrouvé mort, paré de dessous féminins, dans sa chambre d'hôtel) et possède valeur d'indice, et métaphorique. Elle est l'avertissement indéchiffrable, celui qui nous rend comme frappé de cécité verbale à sa vue, la mise en garde divine. Le signe que rien ne va plus, qu'une souffrance a gagné la jeunesse, symptôme du malaise des adultes. Quelle est cette société aveugle qui fait de ses enfants des victimes expiatoires ?
Certes, comme Gunnar Staalesen nous y a accoutumés, le roman se teinte d'une tonalité amère qui sied aux constats de son héros comme à sa personnalité. Certes, Varg Veum est seul, et ses uniques armes sont l'obstination, le courage, le bagou salvateur qu'il garde dans les pires moments et, en dépit de tout, la foi en l'humain. Il y puise enthousiasme et détermination ; il ne renonce pas à traquer la vérité quand ne serait-ce qu'une vie est en jeu. Est-ce dû à ses convictions d'ancien travailleur social ? les actes du détective s'inscrivent avant tout dans le refus de la fatalité : c'est là l'essence même de son combat.

L'écriture sur le mur, traduit par Alex Fouillet, est édité chez Gaïa.

Illustration : Untitled, Jean-Michel Basquiat, 1984. Source : www.laboratoiredugeste.com.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore un roman que tu nous incites à lire! Des aventures à partager...

Hélène Flont , french illustrator a dit…

Je me souviens de votre article lors de la conférence pour cet auteur, j'ai mis son nom sur un petit papier dans ma poche, prêt à être tendu à mon libraire favori. Je pense que l'auteur va me plaire.

leschatsdumaquis a dit…

On parle beaucoup de l'écrivain en ce moment ; sa littérature m'est inconnue, totalement ; mais je demande à découvrir...
Ronrons d'aise
Rose

Martine a dit…

Ta manière de parler d'un livre ne donne qu'une envie...le lire! Je ne connais pas cet auteur, à suivre, amitié et belle soirée, Martine

cleophile a dit…

Votre texte donne vraiment envie de lire ce livre ! Je vais l'offrir à Hubert, je suis sûr qu'il lui plaira, il cherche de bons polars à lire...
Merci !