mardi 21 mai 2013

Boris - une liturgie peu orthodoxe

Boris, le "Bô" au pelage bleu, fidèle de mes pages, s'en est allé. Une insuffisance rénale a eu raison de lui. Il avait sept ans et demi.
A la disparition d'un de mes chats, mon premier réflexe est de me précipiter sur les quelques poignées de photos que le disque dur a soigneusement engrangées, comme pour empêcher son image de fuir, et passer encore un peu de temps, seule à seul, avec lui. C'est mieux "à chaud". Plus tard, on ne peut plus regarder les photos : on pleure. On essaie dans le même temps de se remémorer tous les Boris célèbres. Voyons, Eltsine, Johnson, Vian, Karloff, Cyrulnik, Pasternak, bien sûr, Akounine, Becker, si l'on veut, comme si les énumérer restituait par petites touches la présence du "Bô".
Boris était l'avant-dernier des chats nés chez moi, l'avant-dernier représentant de la lignée d'Andelle, cette prolifique Médée qui elle non plus n'est plus là. Bosco, son cadet de deux ans, fait à présent figure de derniers des Mohicans. Il porte là un lourd et précieux héritage.
Cette fois-là, Andelle avait mis bas dans la garde-robe de ma mère, bien à l'abri. Le nom du chaton avait-il quelque rapport avec la couleur de son pelage que les spécialistes qualifient, dans leur jargon, de bleue ? Je ne crois pas. Ce fut pure contingence - à moins que l'inconscient n'ait parlé. Ses origines slaves imaginaires en faisaient un lointain parent. Visiteurs et passants s'extasiaient sur ces yeux d'émeraude et cette robe aux tons de fumée, affublant leur propriétaire de "Chartreux" ou de "Bleu russe". Boris devint slave malgré lui. Je lui répétais : "Boris, tu pris de beaux risques en te faisant passer pour un beau Russe". Il n'en avait cure.
Il aimait, le soir, se coucher sur la table. La tête posée plus bas que le corps, ce dernier s’étalant sur un dictionnaire ou une pile de journaux. Cette position lui avait valu le surnom de Catoblépas, d'après l'animal mythique doté d'un cou si long que sa tête reposait sur le sol, le contraignant à regarder hommes et bêtes par en-dessous. D'où son nom, en grec. Il signifie "qui regarde vers le bas". Alors que ça devrait être le contraire. Rien à voir, malgré les apparences, avec un "cat" quelconque. Les Anciens affirment que celui qui croisait le regard du Catoblépas mourait sur-le-champ. Celui qui croisait le regard de Boris plongeait dans deux lacs purs, vert bleuté, ne reflétant que tendresse et innocence. Il appréciait aussi les appuis de fenêtre, celui de mon bureau en particulier. Il se cachait derrière le double rideau, comme un sicaire prêt à fondre eustache levé sur quelque vieux rentier aussi radin qu'égrotant. Mais Boris ne fondait sur personne. Il aimait le calme. Aussi je prenais garde à ne pas le déranger derrière sa tenture.
Il m'arrive souvent, le soir toujours, de prendre un petit expresso décaféiné. Boris le savait, qui guettait l'arrivée sur le plateau de la bouteille de lait. Il n'avait de cesse que j'en verse un fond dans la tasse mauve un peu rustique qui lui était réservée. Et il se régalait.
Le jours de pluie, il se couchait en rond sur mon bureau. Seul un furtif remuement de papier m'indiquait par instant sa présence. Une présence de chat, discrète et pourtant intense. Des conditions de travail, de lecture ou de réflexion, idéales.
J'ose à peine vous livrer, front bas et rouge aux joues, une anecdote qui me fait honte. Voici quelques années, Boris fut en mon absence prisonnier trois jours de ma garde-robe, dans l'espace ménagé entre deux planches. D'où venait ce bruit bizarre, à mon retour, dans ma chambre ? On eût dit un grattement, ou un appel inarticulé, étouffé... J'eus un peu peur, oui... J'ouvre la porte... et découvre un Boris étonné, un peu ahuri, un peu ankylosé, peut-être, le nez à moitié pelé de s'être frotté en vain aux cloisons de bois. Il avait vécu ainsi sans boire ni manger... ni bouger, son cachot étant de dimensions réduites, rendues plus exiguës encore par des chaussures et des sacs entassés pêle-mêle. Il s'était laissé enfermer avant mon départ. Le "pis" était qu'il semblait heureux, pour ne pas dire joyeux comme tout de me voir et ne manifestait pas la moindre trace de ressentiment à mon égard, moi sa geôlière ! Son bourreau ! Boris eut droit ce soir-là aux meilleurs petits plats, aux câlins les plus tendres. Je m'en suis bien sûr énormément voulu. Je m'en veux encore. Et je prends soin de procéder à l'appel avant de quitter la maison pour quelques jours.
Boris était aussi Raminagroboris, Cousin Boris de Moscou et, tout simplement, le Bô.
Je me souviens du jour où Mascaret s'est endormi. Je rentrais sans lui, accablée. Ce jour-là Boris a accouru sur le trottoir en miaulant fortement pour m'accueillir à ma descente de voiture, comme pour me dire "Je sais et je suis là", et me consoler.
Boris, mon Petit Homme Gris venu de l'espace, est parti. Il repose dans son jardin. Il nous manque. Il ne viendra plus chercher son lait du soir, et la tasse mauve restera vide.

En attendant l'album souvenirs... :

Boris, bureaucat
Boris, vrai Bleu russe 
Brassage d'air (propos au tonneau)

lundi 20 mai 2013

Jubilé : la fête à Lara


L'an dernier, c'était celui, en grande pompe, de la Reine d’Angleterre. Cette année, c'est celui de Lara. Je parle, bien sûr, de jubilé. Mai 1999 - mai 2013. Je fête ce mois-ci les quatorze ans de l'arrivée de la "Très-Belle".
Lara, vous la connaissez. La voici sur le velours sanguine de mon pantalon. Je vous en avais déjà parlé, plus spécialement ici. Il était alors question de onze ans d'amour. Le temps a passé. Je la revois, voici quatorze ans, dans le jardin, à quelques pas de la maison, me fixant de ses yeux ronds, un peu saillants (comme ceux, vous ne l'ignorez plus, de la chanteuse belge à qui elle doit son nom, la pauvre), traversés de sentiments indéfinissables. Elle m'adressait un message subliminal. Elle savait. Elle avait choisi. Les points d'interrogation dans son regard n'étaient que question rhétorique. Oui, elle s'installerait ici, oui, elle resterait. Elle est toujours là, un peu plus maigre, peut-être. Toujours dynamique et joueuse, elle pique presque quotidiennement ses "crises de chat" qui l'entraînent dans un tourbillon vers le sommet des armoires et du buffet. Autoritaire, elle intervient dans les bagarres de matous pour séparer et tancer les pugilistes. Elle reste fidèle à elle-même.
Pour ce jubilé, point de réceptions fastueuses, point de parade fluviale (à quoi bon : il pleut) au programme. Mais un redoublement de câlins, de caresses, de baisers et de douceurs en pochons au prix du béluga. Moins royalement qu'outre-Manche, mais avec autant sinon plus de ferveur, c'est lampions, pétards et cotillons. C'est la fête à Lara ! Et je le lui chante sur tous les tons. Elle est bien la Reine des Chats !
On ne sait pas très bien quel âge a le Chat Noir. Dix-sept, dix-huit ans ? Plus ? Elle a en tout cas été nommée Doyenne de la Faculté. Il nous faut accepter que nous ne connaîtrons jamais certaines choses. Les chats sont très doués pour les secrets. Et les leçons de vie. Le chat est mystère. L'âge importe peu. Un an de plus ou de moins n'enlève rien à l'amour que nous portons au Tarsier Noir.
Dix-sept, dix-huit ans, c'est, à l'échelle humaine, un âge avancé. Peut-être a-t-elle servi de modèle à Steinlen pour ses fameuses affiches du Chat Noir et à Henry Cany, illustrateur attitré de la marque Marchal, pour imaginer sa face de chat emblématique. (Comme toute femme - et tout homme ! - Lara va me tenir rancune de la vieillir, là...) La Très-Belle a d'ailleurs, dans un photomontage-hommage, prêté ses yeux à Marchal, qui fête cette année son quatre-vingt-dixième anniversaire. Pour sa ressemblance avec le Matou aux yeux phosphorescents, elle est l'égérie honorifique de l'équipementier automobile à l'occasion de cette célébration.



Pour tout cela, Très-Belle méritait bien notre admiration et nos témoignages d'amour. Il fait froid, il pleut, il vente. Mais quel que soit le temps, le mois de mai est le mois de Lara.

Pour terminer, une superbe chanson interprétée par son homonyme Lara Fabian et Maurane, peut-être ?