lundi 13 février 2012

Lettres d'amour


Quand on évoque mon métier d'écrivain public, on me demande souvent si j'ai écrit des lettres d'amour. C'est là un objet de curiosité récurrent. En d'autres termes, ai-je joué les Cyrano, me suis-je glissée dans la peau d'un autre pour déclarer ma flamme à des hommes et des femmes dont je n'avais que faire ?
Si une lettre d'amour, c'est un torrent incandescent, un verbe qui incendie, l'expression d'une passion dévorante ou dans un registre plus soft un chapelet de petits mots doux, alors non, je n'ai jamais, dans le cadre professionnel du moins, procédé à cet exercice.
Si c'est exprimer un regret ou un remords, désirer la réconciliation, implorer le retour de l'autre, alors, oui, j'ai écrit des lettres d'amour. J'ai rédigé des confessions pour des cœurs errants que leur bien-aimée avait, pour une raison ou une autre, fuis. Des hommes, toujours, qui jugeaient sans doute une femme mieux à même de "trouver les mots".
Pas question bien sûr de trahir les clients qui ont placé leur confiance en moi, souvent en désespoir de cause. Je ne peux que respecter leur courage. Ils ont sonné à ma porte, m'ont écrit, nous nous sommes parlé. Ils m'ont livré des confidences. Ils m'ont demandé conseil. Ils m'ont prise à témoin, m'ont embarquée dans une histoire qui n'était pas la mienne mais dans laquelle je me suis, par la force des choses, investie. "Qu'en pensez-vous, en tant que femme ?". Question qui s'ouvrait comme un gouffre : sans fond, sans réponse possible. Quels sont les mots qui susciteraient chez moi la réflexion, provoqueraient un déclic ? Étrangement, aucun ne me venait à l'esprit. Sur le papier, il fallait donc déployer professionnalisme et imagination, et combler un vide...
Sur le fond et la forme, je me suis conformée à la volonté de mes clients. Je me suis bien gardée de leur dévoiler mon pessimisme quant à leurs chances de succès. S'il existait un secret, une recette, une formule magique, ça se saurait. Je ne suis pas sûre qu'eux-mêmes, en leur for intérieur, y croyaient. Mais il fallait le faire, passer par cette étape de leur histoire. Je pense que ces gens attendaient de moi plus qu'un service : une écoute, un réconfort, un espoir. Ces lettres étaient avant tout des actes symboliques, qui cristallisaient leurs sentiments et leur attente et leur permettaient de se libérer. Ce qui devait être dit allait être dit. C'était leur dernière chance.
J'ai fait mon métier du mieux que j'ai pu, comme toujours. Il s'agissait d'entendre une demande mais surtout une souffrance. Je ne pouvais la transcrire telle quelle, dans sa brutalité : elle aurait semblé, au destinataire, effrayante, telle une menace. Car l'amour meurtri fait peur. C'est du TNT. Et pourtant. Ces lettres étaient des cris sous la forme de chuchotements. Je n'en ai pas pleuré, mais j'ai été touchée, des souvenirs enfouis ont refait surface. Comment ne pas verser dans ces écrits une part de subjectivité, et une part d'expérience, comme en réponse à une requête formulée à demi-mot ?
J'ai réalisé ces "prestations" de loin en loin. Elles se sont faites rares ces dernières années. SMS et e-mails ont peut-être pris le relais... A moins que les mots, dans les couples désunis, n'aient fait place au silence... Je ne regrette pas ces "courriers du cœur". Leur élaboration n'est pas franchement une partie de plaisir, et il me semble avoir outrepassé, en mettant quelque peu de côté un devoir de neutralité impossible à respecter, les limites de ma profession. Des individus blessés ont vu en moi un intercesseur et, qui sait, une magicienne capable de toucher, sinon ramener, le cœur éloigné, par la force du Verbe. Hélas, je n'ai pas accompli de miracles. En tout cas, on ne m'en a rien dit. Mais j'ai été, plus que dans d'autres circonstances peut-être, amenée à interroger le pouvoir des mots.

samedi 4 février 2012

Sans lui


Mon chat Mascaret a rejoint un panthéon félin déjà trop peuplé.
Tout ça a été trop rapide. Un chat patraque d'abord soigné pour des troubles digestifs. Une insuffisance rénale sévère diagnostiquée trop tardivement. Affection des tissus rénaux ou calculs, nous ne le saurons pas. Si une première perfusion, le vendredi, l'avait reboosté et nous avait permis de reprendre espoir, la seconde, le samedi matin, lui a été fatale. Ce fut la perf de trop. Son organisme affaibli ne l'a pas supportée. Le retour dans les larmes à la clinique vétérinaire. L'au revoir, l'endormissement, sa belle tête entre mes mains, avant l'ultime injection, puis la séparation.
Je n'étais pas préparée à une fin aussi brutale. On ne l'est jamais.
Mascaret accumulait des tas de surnoms. Les plus employés étaient Mascar, le Hardi, le Tout-Doré et surtout Bébert. Bébert-Lingot, le chat en or. Entre nous, un lien que je qualifierais de fusionnel. Dans les moments de stress, il ne me quittait pas et me gratifiait de câlins. Il me disait : "Je suis là, ne t'inquiète pas". Il me protégeait (des araignées notamment). Il exprimait par des cris sa tristesse ou son mécontentement si je devais me lever et le poser à terre ou sur mon lit.
Il était aussi un compagnon de repos et de travail. Je reconnaissais son pas dans l'escalier. Il sautait sur mon bureau, me fixait de son regard magnifique puis venait s'installer sur mes genoux.  Il aimait à "nicher" au chaud. Mais sa spécialité consistait à sauter sur les épaules, d'où son surnom de Hardi Grimpeur. Il visait son point de chute, calculait la distance et la force nécessaire et hop, il se retrouvait perché à quelques centimètres de votre tête ! Moi qui ai côtoyé des chats durant les deux tiers de ma vie, je n'avais jamais vu ça ! Parfois il venait à ma rencontre dans l'escalier. A mi-parcours, d'un bond, il atterrissait sur mon dos. Tous ces sauts étaient précédés d'un "cri de grimpage" bien identifiable : rrrrroooouuu rrrrrooouuu  rrrrrooouuu. Il se promenait ainsi à dos humain. J'étais le premier funiculaire pour chat.
Je lui disais : "Mascar, tu es extraordinaire, tu es prodigieux, tu es phénoménal !".
Je le revois rentrer du jardin. Le soleil joue avec sa robe dorée. Silhouette svelte, fières moustaches blanches, yeux en amande, démarche royale. Un tigre.
Je me souviens des fugues qui ont jalonné ses deux premières années. Je m'arrachais les cheveux. Quatre, six, sept jours... Et puis je le retrouvais dans la maison, comme si de rien n'était. Il annonçait son retour par un petit gloussis. Et c'était la fête.
Je le revois accourir vers moi joyeusement en miaulant pour m’accueillir alors que je rentrais de Normandie. Il avait reconnu le bruit de la Tine ou entendu ma voix. Ces retrouvailles allègres avaient adouci la tristesse du retour.
Nous ne l'attendrons plus, il ne nous attendra plus. Nous ne le serrerons plus dans nos bras.
Il fut aimé, adoré, idolâtré. Divinité tutélaire des humains, protecteur du foyer, il a maintenant des ailes, il a acquis l'immortalité. Son esprit demeure en ces lieux où il est né et a vécu. Sa beauté est éternelle. Sa présence se perpétue dans nos cœurs à travers souvenirs, photos et récits. Mais cela ne me console guère.
Tu t'en es allé beaucoup trop tôt, Mascar. Tu nous manques.
Repose en paix, "mon Monchat"...

Mascaret, 10 avril 2007 - 28 janvier 2012

Le Lascar était la star de The Normand Bedroom. Vous le retrouverez, lui et ses exploits, ici (entre autres) :

La cousine Simone
Vol au-dessus d'un nid de matous
Chats et croisées
La nuit, tous les chats sont griffes
Mascaret, chat martyr
Une après-midi d'été
Tour de France