vendredi 26 août 2011

Boris, bureaucat


Las de la grisaille et de la pluie, Boris, mon vrai faux Bleu russe, a élu domicile sur mon bureau. Ça ne fait jamais qu'un objet en plus (aïe, je viens de me prendre un coup de griffes !) sur le plan de travail déjà chargé de l'indispensable et du superflu tout aussi indispensable.
Il dort enroulé sur lui-même. Seul un froissis de papiers (plus ou moins léger) révèle sa présence. Il est si bien installé qu'il en omet de descendre déjeuner.
Sans doute doit-il à son nom et ses (prétendues) origines ce goût pour la paperasse et cette aptitude à l'activité de rond-de-cuir. J'ai un vrai bureaucat russe à ma disposition ! On croyait l'espèce éteinte, mais Boris démontre sa vitalité !
Sa compagnie adoucit les rigueurs et la solitude de mon travail.
Aussi maintenant je ne m'inquiète plus quand je vois des petits hommes gris : non, il ne s'agit pas d'extraterrestres désireux de me kidnapper.
Enfin, Boris est parfois secondé par Pirate, qui semble apprécier lui aussi le calme studieux des lieux.
La bureaucatie a décidément de beaux jours devant elle.

mercredi 10 août 2011

Dans la fosse au lion (une histoire à la gomme)


J'ai plongé dans la fosse au lion. Et j'en suis sortie. Même pas eu peur  (enfin, à peine) ! Comment, direz-vous, moi qui fréquente habituellement des félins d'un autre genre que le grand fauve à crinière ? Notez l'emploi du singulier pour "lion". C'est que j'ai dû me rendre dans un garage Peugeot pour faire changer un pneu, alors que je roule italien. Vous m'auriez dit ça il y a une semaine encore, je vous aurais ri au nez. Et envoyé paître. Las, le sort s'est joué de moi avec la plus féroce ironie.
Tout a commencé par un pneu à plat, la semaine dernière. 
Ah, les joies de la crevaison ! On se rend compte qu'il existe encore des gens serviables.  Un monsieur - le propriétaire de mon garage - se met en quatre pour changer la roue et la remplacer par la galette logée dans le coffre. Je me traîne ainsi équipée jusqu'à un atelier de réparation. J'apprends que mon pneu, percé et endommagé par une vis, est foutu. Faute du modèle Kléber idoine, le technicien  téléphone chez Peugeot, qui travaille avec cette marque. Nous sommes vendredi, il est dix-sept heures passées et la concession est sur le point de fermer : j'irai lundi.
Peugeot ! Ma première pensée est "Jamais de la vie !". Je n'ajoute pas "Plutôt crever", c'est déjà fait.
Il faut dire qu'entre ma famille et la firme sochalienne, c'est loin d'être le grand amour.
Mon grand-père a été propriétaire d'une Peugeot dans les années 50. Il s'est vite rendu compte que la voiture attirait comme un aimant les autres véhicules. Au total, une dizaine d'accrochages. Il n'en était jamais responsable. Non, les autres conducteurs venaient systématiquement emboutir la carrosserie. Lassé des froissements de tôle (un comble pour lui qui en fabriquait), mon grand-père changea de voiture et de marque. Ainsi naquit la malédiction Peugeot. J'ai grandi dans l'exécration du constructeur de Sochaux et de ses automobiles. A son seul nom les mines se crispent, les visages pâlissent comme si on avait proféré un blasphème. Mes chromosomes portent un gène anti-Peugeot qui remonte à deux générations. L'hérédité des caractères acquis dans toute sa splendeur ! Qui a dit "C'est la faute à Lamarck" ?
J'ai pourtant conduit des Peugeot au cours de ma carrière d'automobiliste. Je n'avais pas le choix et ce n'était jamais sans appréhension, bien que j'aie conduit des voitures d'autres marques autrement plus redoutables. Je suis conditionnée par une longue tradition familiale. Mais j'avoue que ma curiosité me poussait, et peut-être autre chose, comme s'il s'agissait de transgresser un tabou. A chaque fois, je suis sortie indemne de l'expérience. Mais je me disais qu'on ne m'y reprendrait plus.
C'est donc avec la plus vive réticence que j'ai fait mes premiers pas dans le garage Peugeot de ma petite ville. Je m'attendais plus ou moins à ce qu'une voiture folle me fonce dessus, ou qu'un pont malintentionné ne me raplatisse. Ou, à la rigueur, qu'on ne me fourgue un modèle de vive force en lieu et place de la Tine. Or l'endroit n'a rien d'inquiétant. Au contraire. On y est bien accueilli. Le travail a été effectué rapidement et dans les règles de l'art. En sortant j'ai poussé un grand ouf : j'ai vaincu ma répulsion atavique, et la Tine est à nouveau correctement chaussée !
Enfin j'ai appris une chose essentielle lors de cette incursion dans l'antre du lion : tous les modèles Peugeot sont dotés de sièges chauffants. La marque garantit ainsi à ses clients "l'effet Sochaux".
Le lion, après tout, n'est jamais qu'un gros chat.


Illustration : La chasse au lion, Eugène Delacroix.

jeudi 4 août 2011

Que reste-t-il...

Non, mon horizon ne se limite pas à mon nombril !

Que reste-t-il, une fois regagnées ses pénates, d'un séjour en Normandie ?
Le souvenir d'instants qu'on essaie de vivre dans toute leur plénitude, le plus intensément possible, dont on tâche d'extraire tout le suc, comme une machine à expresso. Et qu'on s'en veut de ne pas saisir en totalité, comme si c'était humainement possible. D'où frustration et culpabilité bien encombrantes et bien vaines. Alors que le soleil est là, et que le séjour ressemble diantrement à des vacances...
Un petit paquet de photos, parce qu'il est parfois plus facile d'appuyer sur le déclencheur que de s'installer face à son clavier et rassembler ses idées. Les zaps ont donc bien cliqué. Je garde toutefois à l'esprit qu'en regardant dans le viseur, on oublie parfois de regarder tout court. Alors j'ai souvent posé mes zaps, histoire de m'imprégner de la saveur unique de l'air et de la lumière.
On est là-bas, pour quelques jours. La réalité rejoint les rêves et les aspirations. Mais déjà, on réfléchit à ce qu'on va écrire. On se prépare à l'après-Normandie. Comment traduire émotions et sensations en mots, avant qu'elles ne s'échappent ? Car les mots, finalement, c'est tout ce qu'il reste, une fois de retour, face à l'ordi. C'est ce que je me dis, quand la nostalgie m'étreint. Et je suis une grande spécialiste de la nostalgie. J'ai tous mes diplômes de nostalgologue de l'université de Pétaïouchnok (les Slaves sont les plus fins connaisseurs du monde en nostalgie ; je me risquerai à dire que c'est de naissance) et je suis en la matière une autorité locale mondiale. Philippe, ne m'en veuillez pas si j'ai l'air de vous copier, là !
Mais non : il reste des sourires de grands et d'enfants, des rencontres félines, assez nombreuses dans les rues d'Arques-la-Bataille, un déjeuner arrosé de quincy (je vous parlerai dans un prochain billet d'un excellent restaurant que j'ai découvert à Arques).  Car, comme disait Francis Blanche, je préfère le vin d'ici à l'eau de là. Un donjon millénaire qui veille, protecteur, tel un symbole d'éternité.  La magie d'un concert d'orgues dans une église déserte. Une prise de bec, au sens propre, entre un canard et une mouette, pour un bout de pain. L'indispensable trempette sur la plage de Dieppe. Et tous ces instants fugaces par essence, justement, qui se recomposent en une mosaïque infinie. Ma richesse.
Et une forte déception, tout de même : les brebis de Douvrend n'étaient pas là, ni à l'aller ni au retour. Le grand champ bêlant était vide de toute silhouette laineuse et je m'en inquiète. J'espère être rassurée la prochaine fois ; en attendant j'ai renoncé au gigot.

Dans une rue d'Arques, un habitué des lieux.

Sous les galets, la plage.

La fuite à de la Varenne

  A Dieppe, on prend l'express côtier, bien sûr (j'ai pas demandé un déca, moi !)

Rue St-Jacques, la cour mystérieuse.

 A Arques, les locataires de l'étang.


PS : Merci à Carole, Sylvain et les enfants pour leur accueil.