vendredi 20 novembre 2009

A Gerberoy


J'en discutais ce matin avec ma pharmacienne. Elle a fait ses études à Rouen, a vécu et travaillé en Normandie, mais elle ne connaissait que de nom. Je lui ai parlé des fleurs, des maisons à colombages, de l'église, des remparts, du temps qui semble s'est arrêté il y a quatre cents ans.
Ce n'est pas la Normandie. Le village perché sur une ancienne motte féodale se situe aux confins ouest de l'Oise, entre les villes de Marseille-en-Beauvaisis et de Gournay-en-Bray. Pourtant c'est l'un des points-clé de mes voyages.


Gerberoy, c'est une longue histoire. J'avais seize ans quand j'ai découvert ce lieu. Je passais à ses pieds sans le savoir, quand je partais à Rouen. Il figurait dans le livre "Les plus beaux villages de France" qu'une connaissance m'avait prêté. Dès que ma mère et moi avons repris la route, nous avons fait le détour. Ç'a été le coup au cœur, l'éblouissement. Un grand amour venait de naître. Je courais partout. Je voulais tout voir, tout saisir, étreindre le village à bras le corps et ne jamais le lâcher. Ces rues pavées, ces maisons, ce puits, et même la mare aux canards à l'entrée... Et la fameuse "maison bleue" !
Dès lors, pas question d'aller en Normandie sans faire une halte à Gerberoy, pique-niquer sur le mail qui ceinture la ville, se promener un peu et monter jusqu'à l'église aux bancs de bois clos qui fleure l'encens (un lieu et une odeur que m'a récemment évoqués Filles en Aiguilles de Serge Lutens).
Gerberoy est un endroit hors du temps, même si l'expression est bien galvaudée. Le passé se dresse devant vous, compact, irréductible. C'est une merveille au printemps et en été, quand les rosiers sont en fleurs.  Le peintre Le Sidaner ne s'y est pas mépris - quel bonheur de retrouver Gerberoy lors d'une expo au musée Marmottan ! Oui, ça ressemble à un décor de cinéma, et téléfilms et spots publicitaires y ont été tournés. Mais le village a gardé son âme. Elle est trop fortement ancrée dans les briques, le bois, les pavés pour s'émousser ou se laisser corrompre.
On fait parfois des rencontres surprenantes, inattendues. Une fois c'était un vol de chardonnerets en pleines ablutions dans une flaque, un magnifique spectacle. Une autre fois, un vol de Ferrari tout droit débarquées d'Angleterre. Elles ne déparaient même pas parmi les vieux murs qui avaient dû en voir d'autres - à la Révolution notamment ! Gerberoy ne refuse pas l'insolite et les yeux s'en nourrissent. Son mystère est infini. Il tient à de petits détails : une statue, une grille fermée sur un jardin... C'est ainsi qu'il reste dans ma mémoire.


Et puis la route a changé, les petits bourgs que l'on traversait se sont retrouvés "hors-circuit" en raison de voies de contournement bien pratiques mais asphyxiantes pour leur activité. J'ai changé. J'ai préféré la rectitude de la "route du nord", qui passe par Amiens et comportait alors un segment d'autoroute. Le luxe suprême ! Elle était plus rapide. Elle répondait mieux à l'appel fort de la Normandie que j'étais toujours si pressée de gagner. La vitesse primait. Trajet sans escale. Toujours ce fichu temps qui s'étire ou se contracte, mais qu'on ne maîtrise pas ! J'ai délaissé ma "vieille route". Le chemin historique et chargé d'histoire, de mon histoire, de la Normandie...
J'y suis passée pour la dernière fois à Noël 2006. Il faisait froid. Rien n'avait changé. Je ne me suis pas attardée. Le soir tombait. A soixante kilomètres, Rouen et ses lumières m'attendaient. J'ai longé le mail aux arbres dépouillés et repris la route.


J'ai écrit il y a quelques années :

Les lieux perdus du temps gagné appartiennent à un âge où j'étais plus jeune, où mes préoccupations étaient autres. Oui, un jour, je me le promets, je reprendrai mon ancienne route, je ferai renaître les paysages d'autrefois à mesure que se déroulera le bitume et que je passerai sans laisser plus de traces qu'une brève averse sur un sol brûlant. Les lieux et les routes ont basculé dans l'oubli. Peut-être n'existent-ils plus, peut-être n'ont-ils jamais existé, décors de théâtre plantés le long d'espaces aussi incertains, aussi volatils que la mémoire.

Dire qu'il a suffi d'une conversation ce matin.
La prochaine fois, je prendrai le temps.


jeudi 19 novembre 2009

Sur l'Arbre aux Fées



L'été se prolonge pour l'Arbre aux Fées. Ce rosier était le perchoir préféré de Garance. Il ne valait mieux pas la déranger lorsqu'elle s'y trouvait : on encourait grognements et coups de patte intempestifs.
Ces boutons qui apparaissent si tard dans la saison confirment que c'est bien un rosier magique.

mardi 17 novembre 2009

Le cercle des polaires disparus

Après ceux d'Arnadur Indridasson, j'ai découvert voici peu les romans policiers d'Arni Thorarinsson. Deux d'entre eux sont disponibles en France :  Le temps de la sorcière et Le dresseur d'insectes. Des titres énigmatiques tirés de chansons plus ou moins oubliées.
D’emblée, nous avons droit aux clichés inhérents au genre : le narrateur et enquêteur est un journaliste, Einar, qui traîne un passé d'alcoolique. Solitaire, désabusé, il n'en porte pas moins sur ses congénères un regard compatissant. Son intérêt pour les humains et leurs vicissitudes n'est pas dû qu'à sa profession. Il exerce à Akureyri, au nord de l'Islande, loin de ses racines à Reykjavik, et se bat pour préserver l'indépendance de sa plume face à des pressions croissantes. Sa "femme" est une perruche mâle nommée Snaelda. Les relations d'Einar avec le commissaire principal Olafur Gisli sont parfois tendues, mais les deux hommes, qui ont appris à se connaître et s'apprécier, coopèrent volontiers, chacun traquant les malfaisants à sa manière.
Mais il y a plus que cela.  L'Islande fascine et nous paraît exotique : sa situation géographique, ses mœurs, ses coutumes, son climat sont rien moins que dépaysants à nos yeux, tout comme les noms qu'on ne sait dans quel sens tourner pour les déchiffrer mais dont on croit entendre les sonorités à la fois râpeuses et chantantes. C'est le bout du monde.
Entre autres particularités, les Islandais ont un sens de la fête exacerbé. Tous les excès s'ensuivent. On ne boit pas vraiment du jus de glaçons, pas plus qu'on ne fume de l'herbe à chat dans les soirées de fin de semaine. Arni Thorarinsson ne se voile pas la face. Et pourtant, ses compatriotes, il les aime, et son attachement est perceptible tout au long du récit.
L'auteur, diplômé de littérature comparée de l'université anglaise de Norwich, est lui-même journaliste. Il prend le temps de poser le décor et d'amener les personnages sur le devant de la scène. Romans noirs, romans d'atmosphère, ses polars dépeignent aussi une société gagnée - gangrenée ? - par le capitalisme et la culture made in USA mais aussi la délinquance et la criminalité. Les jeunes sont perdus, les anciens mis "au rebut" d'une société qui ne sait plus les écouter.
De rencontre en rencontre, de question en question, Einar mène l'enquête et reconstitue l'histoire de la victime, son passé, où réside souvent la clé de l'énigme. Il ne néglige aucune piste, scrute les témoins avec acuité, avec bien sûr la discrétion que lui imposent sa profession et son éthique. Il recueille leurs secrets. Des éléments épars qui s'égrènent au fil des pages, d'un ensemble confus d'indices émerge l'ébauche de la vérité. Avec l'aide de la police, le coupable sera démasqué. En effet, les criminels islandais sont de grands pécheurs, et les pécheurs d'Islande ne sont pas toujours très bien lotis.
Le temps passe très vite en compagnie d'Einar, de Gunnsa sa fille, de Joa la photographe, d'Olafur Gisli le commissaire, d'Asbjörn, de Snulli le chien et bien sûr de Snaelda ! On regrette de les quitter. D'autant  plus que leur géniteur ne manque pas d'humour. Ni de sens de la dérision. Quelques formules bien senties émaillent le récit. Si le tableau n'est pas des plus réjouissants, son Islande est moins noire que celle d'Indridasson, plus souriante.
Alors, des clichés ? Non. On est loin des engrenages bien huilés et implacables - et artificiels - de beaucoup d'auteurs anglo-saxons et autres. C'est peut-être l'omniprésence de ce pays et de sa culture dans ces  romans qui fait leur originalité. Et si finalement leur véritable héroïne n'était autre que cette île, où riche mémoire millénaire et  force des aspirations consuméristes semblent vouées à ne jamais trouver d'équilibre ?
Deux bouquins qui méritaient un Arctique de fond.

Le temps de la sorcière et Le dresseur d'insectes sont tous deux parus chez Points Policier.

lundi 9 novembre 2009

Le prochain amour 3

Je suis retombée voici peu dans les bras de L'Heure Bleue et notre histoire n'est pas près de finir. Je vous en ai beaucoup parlé. C'est ma drogue, mon parfum-pansement. Le seul que j'ai envie de porter chez moi, avant de me mettre au travail ou le soir, quand j'ai enfilé robe de chambre et pantoufles.
Mais voilà, je crois toujours au Graal. Au parfum idéal. Les parfums "de niche" connaissent une telle prolifération qu'il en existe bien un ou deux avec lequel j'aurais envie de faire un bout de route... Mais pas question de porter un jus auquel je ne serais pas attachée ! Je m'emploie donc à élire celui que le Père Noël voudra bien déposer dans mes petits souliers. S'il est décidé...
Le Martien trouve toujours la femme du voisin plus verte.
Je cherche donc un parfum, ou m'imagine en chercher un, car le coup de foudre ne se décrète pas.
J'ai passé commande sur decant-me.com. Un "decant", je le sais depuis peu, est un échantillon, un peu de parfum logé dans une minuscule fiole en verre, ou "flûte", et directement tiré du flacon d'origine. Ça permet de découvrir une fragrance et de se familiariser avec elle avant le Grand Achat.
Dans ma commande, La Petite Robe Noire de Guerlain, qui suscite sur les blogs et les forums des avis contradictoires : vilipendé par les uns, encensé par les autres...  Injure suprême : c'est pas un Guerlain ! Impossible de se faire une opinion sans l'avoir senti !
Je ne me suis pas spécialement tournée vers les nouveautés. Je connaissais déjà Cuir Mauresque et  Rahat Loukoum de Serge Lutens et avais besoin de me les remettre en mémoire.
Mon petit paquet est arrivé jeudi. L'envoi est rapide et soigné. Les fioles sont emballées individuellement et, bien protégées dans leur plastique à bulles, glissées dans une charmante pochette lamée. Un petit mot les accompagne, et je suis très sensible à cette attention. Un raffinement à la hauteur du contenu !
Rahat Loukoum est une merveille, mais je ne sais pas si j'aimerais le porter, plus "accro" au musc vigoureux, "puissant et doux" comme le chat de Baudelaire, de Muscs Koublaï Khan. Cuir Mauresque me rappelle Narcisse Noir de Caron...  La Petite Robe Noire... hum, je suis très partagée... Mais l'illusion finale de macaron à la framboise est saisissante ! Une note qui s'inscrit dans Ladurée...
Je vous en reparlerai.
Je trouve fantastique de pouvoir découvrir ces parfums rares chez soi, sans courir dans les temples parisiens qui les gardent jalousement (bien qu'une visite y soit très agréable, je ne dis pas le contraire !) !
Sur leur site, Nathalie et Véronique Bessard, deux sœurs passionnées, proposent une large palette de fragrances d'aujourd'hui et d'hier, connues et moins connues, parfois oubliées. Des créations Guerlain, Chanel, Annick Goutal, Serge Lutens, Hermès, Robert Piguet, Éditions de Parfums de Frédéric Malle deviennent ainsi accessibles aux nez curieux ou nostalgiques.
Les frais de port, 2,20 €, sont très raisonnables.
Nathalie et Véronique ont également leur blog :
http://lesateliersduparfum.typepad.fr/les_ateliers_du_parfum/
Je dresse la liste des noms qui figureront dans ma prochaine commande. Et si le coup de cœur était au rendez-vous ?



vendredi 6 novembre 2009

Un Auvergnat (volant)



Avril 1989. Le vol Nice - Roissy-Charles de Gaulle est bien secoué. Tous les génies des airs semblent s'acharner sur la malheureuse carlingue, tantôt projetée aux cieux, tantôt précipitée vers les abîmes. Du moins est-ce ce que je m'imagine. Collée contre le hublot, peu habituée à l'avion, tétanisée, je m'attends à ce qu'un gros pépin arrive. Mon voisin ne se démonte pas, il reste imperturbable dans la tourmente. J'admire son flegme. C'est un monsieur distingué à fine moustache et cheveux blancs qui peut avoir la soixantaine. Il engage la conversation. Peut-être a-t-il perçu ma peur, mon inquiétude. C'est un pilote retraité d'UTA. A son actif, trente années de vol sous les couleurs de cette compagnie.  D'où le calme olympien, le détachement, même. Je n'aurais pu mieux tomber. C'est un homme charmant. Il me parle avec gentillesse. Il ne se moque pas de moi. Il me rassure, sans m'infantiliser. Il m'apprend des choses intéressantes sur l'aéronautique. Par exemple que les structures métalliques situées en bordure des pistes servent à dégivrer les pare-brise des avions. Je ne le savais pas. Je m'accroche à ses paroles comme autant d'informations vitales. Le temps passe, j'oublie ma trouille et la zone de turbulences s'éloigne. L'appareil se pose à Roissy. Le voyage a été, en fin de compte, trop court...
Je remercie mon voisin. Je me suis enrichie à son contact, si bref ait-il été. Je déborde de gratitude. Puis nos chemins se séparent.
J'aime me trouver près de gens de savoir. J'ai eu la chance de tomber, non seulement sur un pilote aguerri, mais sur un sage. C'est l'espèce la plus rare. C'est pourquoi ça n'arrive pas tous les jours.
Faut-il prendre l'avion plus souvent ?
De cette histoire je conclus qu'il faut toujours avoir un ancien pilote d'UTA (ou d'une autre compagnie) sous la main. Pour vous guider, pas seulement dans les aléas de l'espace aérien, mais en toutes circonstances, dans les turbulences de la vie. Quelqu'un à qui passer le manche quand les éléments s'agitent vraiment trop autour de vous. Mais les Auvergnats, surtout volants, sont rares. Ils préfèrent leurs volcans, leurs lacs, leurs sources thermales et leurs brebis. On s'en trouve réduit à tâcher de garder le cap soi-même, à compter sur ses propres instruments de navigation. On fait ce qu'on peut.
On croise parfois un ange...
Merci, Monsieur...

Photo : Philippe Noret - AirTeamimages
Union des Transports Aériens - Boeing 747 F-GEXB