lundi 16 mars 2009

Le dernier salon où l'on lit

A mon grand regret, je n'irai pas au Salon du Livre cette année. Longtemps j'ai été fidèle à ce rendez-vous. La première fois, c'était il y a dix ans. Je ne savais pas ce qui m'attendait à l'autre bout du périphérique parisien, après 200 km d'une autoroute bien "trafiquée" et quelques encombrements. Ce fut la révélation. J'étais dans un temple dédié au dieu-livre. Des bouquins partout ! Je ne savais plus où donner de la tête. Je courais partout, tout juste si je ne poussais pas de cris pour accompagner mes galopades frénétiques, telle un singe découvrant une immense forêt de cocotiers... Une pause sandwich-bière fut la bienvenue, toujours dans une atmosphère très "livresque".
L'après-midi - l'heure du départ approchait - je me suis attardée au stand des éditions Phébus, qui publie entre autres Francisco Coloane. J'ai eu une période Coloane au milieu des années 90. Son œuvre contient quelques-unes des images les plus fortes, les plus marquantes de mon champ littéraire. Posé sur une table, un livre a attiré mon attention : La boîte en os. Un roman signé d'une inconnue, Antoinette Peské, et dont la couverture s'ornait d'une impressionnante Vanité. Point de façon plus saisissante, plus directe de montrer la mort, des êtres et des choses, et même du savoir si chèrement acquis. Je l'ai pris dans mes mains, j'ai lu la quatrième de couverture, ai ouvert une ou deux pages au hasard, l'ai reposé avant de m'éloigner du stand. Puis je suis revenue, comme sous l'effet d'un sortilège, ai effectué le même manège avant d'emporter le bouquin à la caisse. Je ne suis pas spécialement portée sur le macabre, mais il y avait autre chose. Quelque chose qui me retenait. Je ne pouvais pas ne pas ... (Je dois être coutumière du dialogue avec les objets inanimés.) Le livre m'avait choisie.
J'ai été emballée.
Comment le présenter, le résumer ? Même partagé, l'amour n'est pas simple, alors ici... L'auteur met en scène un homme que la passion et l'exigence mènent à la folie. Il se heurte à l'impossible "possession", à la désespérante altérité. Des limites qu'il a choisi de refuser, entraîné de plus en plus loin dans la destruction - de lui-même et de l'autre. Au-delà n'existe que la confrontation avec la mort.
Antoinette Peské (1904-1985) maîtrise son récit de bout en bout. Décrire celui-ci comme "gothique" serait réducteur, bien qu'on y retrouve certains thèmes noirs propres à ce registre "éteint" depuis bien longtemps en ce début du XXème siècle. Comment une trame, des personnages aussi sombres sont-ils nés dans l'esprit d'une très jeune femme - elle avait 20 ans lorsqu'elle écrivit ce roman ?
La boîte en os est une œuvre dérangeante, inclassable, à l'image de la couverture initiale, laquelle a été changée, édulcorée : elle s'illustre maintenant d'une toile préraphaélite assez mièvre. Pour ne pas effrayer le lecteur potentiel ? Un roman étrange jusqu'au titre - la boîte crânienne considérée comme un coffret fermé sur d'obscurs secrets. On trouve à présent le bouquin dans la collection "Libretto" de Phébus, maison qui décidément confirme ses choix de beaux textes rares, donnant voix à la prose d'auteurs méconnus.
Peut-être que, plus que le Salon du Livre, je regrette ces moments, ces trouvailles magiques si pleines d'émotions, si exceptionnelles dans une vie de lectrice...

PS : Je viens de lire sur le Net qu'un autre roman d'Antoinette Peské était paru, "Que cherches-tu ?". Je suis tentée, évidemment, même si je redoute par dessus tout la déception. Je vous dirai !