dimanche 31 août 2008

Le prochain amour

On a beau n'être que fin août, l'été s'en est allé insensiblement, il a commencé à s'éclipser depuis une bonne quinzaine de jours. Le temps de sentir un dernier souffle de chaleur, tel l'appel d'air d'un train qui passe, pof, il était parti. Pour preuve qu'on a déjà un pied (et même un pied et demi !) dans l'automne, les araignées viennent chercher quelques degrés supplémentaires dans les maisons. C'est tôt. Il y en avait une énorme l'autre soir sur le mur de ma chambre. Sans doute plus terrorisée que moi, la pauvre ! (Et, oui, je sais, on n'a jamais vu de petites bêtes en manger de grosses ;-) !) Pas question de l'estourbir, mais pas question non plus d'aller camper au salon ! Alors nous avons opté pour un modus vivendi, un pacte de non-agression. D'ailleurs mon chat Mascaret, pelotonné contre ma tête, a joué les forces d'interposition entre la bête et moi ! Au matin elle avait disparu - cachée où, bon sang ?!
Le temps est à l'automne, il est gris, malgré un semblant de revenez-y estival. Le temps n'est plus à Sables. Déjà... Et cela m'attriste, comme chaque année au même moment. Je reviens à Muscs Koublaï Khan, dont je m'étais quelque peu lassée au printemps dernier. Il me surprend agréablement et s'accorde bien au temps et à l'humeur de ces journées. Mais j'ai d'autres "projets" en tête. Deux - disons trois - parfums m'ont séduite cet été. Il ne s'agit pas de coups de foudre ! Juste des fragrances qui ont captivé mon attention et dont j'aime la compagnie...
Il y a quelques mois, j'ai eu envie de re-sentir Private Collection de Lauder. Idée saugrenue. Un fleuri vert, à l'opposé de ce que j'aime ! Envie d'un parfum "de dame". Je me suis sans doute dit qu'à mon âge, il fallait passer aux choses sérieuses ;-) ! Je me souvenais d'une odeur d'humus, de forêt équatoriale, de germination qui lui conférait un côté sombre, "vénéneux". Le chrysanthème qui fait partie de ses composants, peut-être, à mi-chemin entre éclosion et putréfaction, avec les images disons morbides qu'il suscite (dans notre culture du moins) ? Une création assez proche de Niki de Saint-Phalle, c'est tout dire. Un reformulation a vraisemblablement eu lieu. La nouvelle version est plus policée, plus "politiquement correcte", moins opulente, plus savonneuse. Elle m'a tout d'abord déroutée. Je me méfie aussi du décalage qui existe entre le souvenir d'un parfum - d'autant plus sujet à distorsion qu'il est lointain - et sa réalité. Nouvel essai en parfumerie quelques semaines plus tard, puis chez moi, à nez et tête reposés. Et là, hum... Je ne dirais pas non à un petit bout de route ensemble ! Le chrysanthème est toujours là. J'ai aimé la finale ambrée, chaude, qui vient contrebalancer cette "verdeur" et arrondir la composition. A noter que LE flacon de Private Collection disponible ne figurait pas sur les rayonnages des parfumeries, mais se trouvait relégué au fond d'un tiroir, accompagné, Dieu merci, d'un testeur... Trop peu connu et demandé... Dommage ! C'est un jus qui pour moi développe toute une atmosphère, fait naître aussi des images plus ou moins stéréotypées. Soirées chics, dîners d'été... Il ne me viendrait pas à l'esprit de le porter dans la journée, en jean... Comme quoi les clichés ;-) ! J'en trimballe une précieuse "flûte" dans mon sac depuis trois mois, et je redoute le moment où le minuscule contenant sera vide.
Safran Troublant de l'Artisan Parfumeur m'a lui aussi... troublée ! Pot-pourri dans une coupelle de porcelaine anglaise. Clous de girofle sur un lit moelleux de pétales de roses vanillés. Un peu trop de roses, d'ailleurs. C'est cette note trop présente qui me ferait hésiter. Et un safran trop volatil pour mon nez, peut-être ! Mais un jus chaleureux, intimiste. Comme un soleil automnal encore chaud. Est-ce ce que j'aimerais porter cet automne, voire cet hiver ? L'engouement survivra-t-il à l'échantillon qui m'a été gentiment offert à la boutique L'Artisan Parfumeur de Rouen (où je venais m'enquérir de la disparition annoncée de Dzing, un musc que j'ai beaucoup aimé. D'après la vendeuse, il n'en serait rien !) ?
Et puis il y a L de Lolita Lempicka, que j'ai redécouvert grâce à Ambre Gris. Une bouffée pétillante d'agrumes suivie d'une vanille un peu "salée" qui rappelle les petits-beurre ou les croquants à la noix de coco Bonne Maman ! Cette abondance de douceurs s'articule avec un fond boisé où je remarque particulièrement le vétiver. Un parfum "léger", sans arrière-pensées, sans discours sous-jacent, sans prise de tête. Rien que du bonheur ! J'ai plus d'une fois failli craquer. Pourtant il est pour moi tellement associé à l'été que j'envisage mal un automne avec lui. A moins qu'au contraire il n'apporte le rayon de soleil nécessaire aux jours gris...

Alors, le prochain amour ? Un de ceux-là ? Ou un non encore senti, mais espéré ?...

vendredi 15 août 2008

Le sourire du marin inconnu

Triste constat ce jeudi matin dans la chambre normande du quai du Havre où j'ai établi mes quartiers d'été. Mes pieds ont bien morflé. Dessous, un peu plus bas que les orteils, ils s'ornent d'énormes ampoules. Les décos de Noël des Champs-Elysées, c'est rien à côté ! Perçage, désinfection, pansements. Je suis parée - enfin, il faut le dire vite - à appareiller.
Les bateaux, ce sera pour cet après-midi. Toujours ce besoin de me fondre dans le cœur de la ville, d'en retrouver les contours. La matinée se termine par un café à la Brasserie Paul, un lieu que je suis heureuse de retrouver. Il est immuable, rassurant. Mais là comme ailleurs on ne s'attarde pas...
Il est l'heure de déjeuner. Le Big Ben Pub (dit "le Big") propose une petite restauration le midi. Il est niché au pied du Gros Horloge. C'est un endroit "hanté", où il suffit d'un claquement de doigts pour convoquer les souvenirs. Je pénètre dans cet antre tout de pénombre et de bois luisant. Et un double croque-monsieur au chèvre, un ! Je choisis pour l'accompagner une bière belge d'abbaye, la Saint Idesbald. Je connais. Pas la bière, mais le nom et l'endroit. C'est sur la côte belge. J'ai passé mes toutes premières vacances dans la ville juste à côté. J'avais trois mois.
On m'apporte quelque chose qui a, en gros, le volume, disons, des Bienveillantes. J'ai eu le yeux plus gros que le ventre... mais c'est délicieux ! On déjeune au calme, dans la semi-obscurité. Contraste avec l'agitation du dehors. Des touristes photographient le "Gros". Du monde, du monde. Mais les vieilles pierres du Big sont bien amarrées et le fleuve de la rue ne m'entraîne pas...
A moi les quais, les bateaux... la foule ! Rive gauche, aujourd'hui. La pluie s'est mise à tomber. Pluie drue, lancinante, têtue. Le franchissement du pont Guillaume est un exploit en soi. Files compactes, montantes et descendantes, de visiteurs dans les escaliers. On se bouscule, et la politesse n'est pas à l'ordre du jour pour certains (elle ne l'est sans doute jamais). Malgré le temps la file s'allonge à la coupée du Vespucci. Je dédaigne le géant italien. Le Mir aussi. Il faut pour approcher du navire viking Dreknor franchir des passerelles peu rassurantes. Un peu plus loin, l'Artémis. Bon, je suis ici pour visiter des bateaux ! Je m'engage sur la première coupée. Sous les pieds le ponton tangue et roule. On se croirait en mer. Le voilier constitue un abri précaire - et relatif ! - contre la pluie. Discussion avec un organisateur de l'Armada. Mais il ne faut pas traîner pour quitter le bateau, car d'autres visiteurs attendent...
A terre, les pieds barbotent dans des sandales qui font eau, les cheveux sont trempés. C'est la Berezina ! Retour rive droite dans les mêmes conditions. J'échoue dans un café installé sous chapiteau. C'est la pagaille. Il me faut patienter un quart d'heure à la caisse pour obtenir un café qui me requinque à peine.
Il pleut tant que mon téléphone portable prend l'humidité dans mon sac à main. Les touches ne répondent plus ! Je dois en changer en catastrophe. Il y a un espace SFR rue du Gros, côté Vieux-Marché, où je suis très rapidement et très bien accueillie. Je sors de là un nouvel appareil dans mon sac. Mais je me rends compte qu'un coup de sèche-cheveux suffit à rendre la forme à mon "vieux" téléphone... Telle est la technologie du XXIe siècle...
Dernier soir. Dîner créole rue du Vieux-Palais. Dehors, c'est un défilé ininterrompu. On va vers les quais, on en remonte. Des uniformes émergent du flot, tels des îlots sombres. Non, ce n'est pas "comme d'habitude". L'atmosphère, la "saveur" de cette soirée que je perçois dans un kaléidoscope d'éléments disparates mais qui me disent tous : "Tu es en Normandie. Tu es à Rouen. Tu es un peu chez toi. C'est l'été. C'est la fête". Rouen est transfigurée. Je l'aime - aussi - comme ça. Comment se fait-il que, malgré la quiétude de ce moment, de ces moments, je me sente en dehors de l'animation, de la liesse, sans attaches ? Sans autres liens, sans autre appui que ce qui me relie au passé et va se délitant sous l'effet du temps et des caprices du ciel comme un drapeau fatigué ? Exilée et à jamais étrangère ?
Pourtant - est-ce le ti punch ? - je suis bien, dans mes contradictions mêmes...
Après un tour nocturne sur la rive droite, je rentre à l'hôtel en longeant le quai du Havre. Un marin mexicain en grand uniforme m'adresse en me croisant un sourire spontané, lumineux. Le premier sourire de marin de cette Armada. Cafard. Je rentre demain. Ces sourires déchirants sont les plus beaux, bien sûr. On ne les reverra plus jamais. Jamais est bien l'un des seuls mots qui aient encore un poids dans une vie humaine. Enfin, je l'espère, même si ce mot est aussi le plus désespérant. Comme une chanson de Brel. Comme un poème de Baudelaire. Mais les poèmes ne sont pas la vie. Et la vie vous touche en plein cœur, en pleine chair.
Demain je quitte Rouen.