lundi 26 mai 2008

Au bout du bout du quai



C'est mon restaurant préféré à Dieppe. Peut-être mon restaurant préféré tout court.
Un quartier excentré, dans le port de commerce, aujourd'hui bien calme. Rien à voir avec le quai Henri IV où se pressent les uns contre les autres des restaurants pas toujours dignes de ce nom... Il ne faut pas craindre de s'aventurer hors des circuits balisés, hors du touristique, du "joli". D'aller au bout du bout du quai, là où la terre ferme s'arrête, où on entre en pur monde maritime. Cours de Dakar, quai de Norvège. De ces noms qui font rêver. Qui emmènent ailleurs. On passe du Sénégal à Oslo. J'aime la Norvège. Je vous dirai peut-être pourquoi un jour. Je n'y suis jamais allée. En attendant, la Norvège, elle est à Dieppe. Son âme imprègne ces quais, ces entrepôts de mareyeurs qui posent un décor à la Mac Orlan que les yeux incapables de poésie verront austère et triste. J'imagine les bateaux chargés de grumes*, de bois odoriférants venus de profondes forêts scandinaves. L'animation d'autrefois, dont il ne reste rien...
C'est dans ce cadre que se trouve Le Comptoir à Huîtres. Je l'ai découvert voici près de deux ans, à la faveur d'une errance sur les quais, en quête de sujets pour mon zap** sans doute... ou attirée par ce nom magique de Norvège. La première fois, je ne savais pas de quoi il s'agissait. Juste un nom que j'avais retenu, des lieux que j'avais déjà repérés. Un coup d'œil à la carte. La maison ne reculant devant aucun sacrifice, et "pour une fois", me suis-je dit, j'ai poussé la porte.
Ce restaurant, c'est mon luxe. Pourtant rien de clinquant ici. D'immenses bouquets colorés ornent toujours la salle et la façade. Le décor, carreaux de faïence peints et homards géants grimpant aux murs, est inspiré par la mer. Beaucoup de toiles, aussi... Le maître des lieux est amateur de peinture et compte des artistes parmi ses amis.
Midi ou soir, l'établissement est toujours très animé. Son nom n'est pas usurpé. Ici l'huître est reine. Bon, j'avoue ne pas être fan de la bestiole. Mais elle ne constitue pas la seule proposition, et il y a de quoi se rattraper. Sur la carte, pas de poisson. Que des fruits de mer. Mollusques et crustacés. Déclinés de toutes les façons. Servis crus sur d'immenses plateaux, cuits à la plancha ou en "nage", des moules de Barfleur aux somptueux homards bretons. Risotto, ratatouille niçoise ou délicieuse purée aux olives et à l'ail les accompagnent... Simplicité, raffinement et abondance... Et les desserts...
Un apéritif pour se mettre en train ? Je vous recommande l'americano maison. Le ti punch aussi.
Et puis on est bien accueilli, et cela compte beaucoup. Le patron, Stéphane Barq, règne avec "poigne", dynamisme et sourire sur une équipe adorable. Le service est effectué par deux jeunes gens attentionnés, serviables, aux petits soins. Je me sens bien ici. J'aime l'ambiance, jamais guindée. Je passe au "Comptoir" des moments d'exception. A la fin du repas je commande souvent un deuxième café, histoire de prolonger la soirée. De faire durer le plaisir d'être là. Car le temps passe toujours trop vite...
A chaque visite, trois ou quatre fois par an, s'ajoute le souvenir des moments sans prix vécus ici. Des moments simples, réconfortants. Au cœur du monde portuaire, loin de l'agitation de la ville, c'est un lieu où revenir. Une petite partie de mon histoire dieppoise s'écrit là...
Comme lorsque je quitte Dieppe ou Rouen : quand, la prochaine fois ?

Monsieur Barq, un déjeuner ou un dîner chez vous, c'est une fête.


Le Comptoir à Huîtres
12, cours de Dakar
Quai de Norvège
76200 Dieppe
02 35 84 19 37

Fermé les dimanches et lundis.

*Un mot que ma mère m'a appris à Dieppe alors que j'avais sept ans. Ou peut-être six. Je me souviens très bien des circonstances de cette découverte. J'étais étonnée qu'un mot puisse être si proche d'"agrume" et en même temps si éloigné par le sens. Merci, Maman ;-) !
**Z'appareil numérique... mais vous devez le savoir maintenant !

mercredi 21 mai 2008

Comme à Ostende et comme à Dieppe


Ce n'était pas mon week-end le plus réussi. Il a plu les deux tiers de la journée de dimanche. Pas des gouttelettes, des hallebardes. On nous a servi des moules à l'odeur suspecte dans une brasserie du quai Duquesne dont je tairai le nom. Le patron et la serveuse nous ont fait la gueule, par-dessus le marché ! Je me suis promis de ne plus y aller. C'était depuis un an un de mes "points de chute" dieppois, mais la perte est-elle si grosse finalement ? Question réthorique, bien sûr ! J'ai eu froid. Et, drame suprême, je n'ai rien vu de tentant dans les vitrines.
La Normandie, je la vois et la voudrais parfaite. Mais pourquoi faudrait-il que tout soit toujours réussi, hein ? Tout ne peut pas toujours être parfait ! L'idéal, la perfection ne sont pas de ce monde. Dieppe vit, oscille, change d'humeur à un rythme qui n'est pas forcément le mien. Parfois la représentation refuse de se superposer à la réalité, mais c'est le pari, le risque de vivre, et il me faut accepter cela. Je l'ai compris, je crois. Deviendrais-je philosophe ?
J'ai découvert le château de Miromesnil, où est né Maupassant. Un peu chère, la visite, soit dit en passant (et, non, ce n'est pas pour la rime !) ! Bel édifice dont j'ai tout de même préféré la façade "invisible", visage de briques plus rustique et plus noble. Chapelle, pièces du rez-de-chaussée, jardins parcourus avec un guide agréable - le maître des lieux si j'ai bien compris ! On zappe la chambre natale de Guy. Pas d'émotion particulière... du moins pas liée au grand homme, un de mes auteurs préférés pourtant (lire : un des plus consolateurs, des plus aptes à entretenir mon inextinguible nostalgie). La veille, visite nocturne du château-musée de Dieppe à l'occasion de la Nuit des Musées. Magique ! Un musée la nuit, c'est presque un interdit transgressé, un fantasme réalisé. Entre les vitrines aux ivoires sculptés, les toiles de Boudin, Pissaro, Sisley, les maquettes de bateaux réunies dans un ensemble quelque peu disparate mais attachant, on bascule dans l'irréel. Mais c'est la fête. Les visiteurs se pressent, les enfants courent. On se perd dans les allées, on se trompe de sortie, on se tord les pieds dans les pavés, mais ce n'est pas grave, c'est juste délicieusement angoissant, dans cette montée éclairée par des torches, cette cour, baignée d'une lumière jaune vacillante, qui doit ressembler à ce qu'elle était au Moyen Âge...
J'ai aussi goûté l'Oban, tourbé mais pourtant miellé et suave, dont il faudra que je m'offre une bouteille un jour...
Pourtant j'ai ressenti cette fois-ci quelque chose qui ressemblait à de l'ennui (hum hum, je crois bien que j'ai fait une litote...). Comme un vide que j'emporterais toujours avec moi. Mise face à face avec mon errance, peut-être. Ni avec, ni sans. Ni là, ni ailleurs. Pourtant, dès que je tourne le dos à la mer et sors de Dieppe, le manque s'installe. Un manque de tous les instants. La route du retour se déroule, la Normandie s'effiloche, s'éloigne, disparaît. Quand, la prochaine fois ? Vais-je "tenir" jusque là ?
En attendant, écrire, parcourir les cartes routières, rêver, se forger des certitudes face à un horizon brumeux...